Une belle note d’espoir, pour moi la plus grande nouvelle de la journée : ce matin, tous les groupes du Sud (G-20, G-33, G-90, ACP, PMA, SIE ou Small Island Economies) se sont retrouvés (plus de 600 personnes dans la salle limitée aux seules délégations officielles) et, dans « un très bon esprit », décident de se constituer dans une sorte de « supergroupe » et de travailler ensemble sur ce qui les unit, et de coordonner leurs votes et leurs voix dans la mesure du possible. L’Ambassadeur, en nous l’annonçant, a dit qu’il ne se faisait pas d’illusions, que ce ne serait peut-être pas solide, mais il avait l’air d’être content et d’espérer quand même. Leur premier dossier sera le « Duty Free Quota Free », ci-après DFQF, pour les moins avancés. C’est à dire un accès aux marchés partout, sans droits de douane et sans quotas. Ce regroupement est une bonne nouvelle ; il aura cinq « facilitateurs » soit un de chaque groupe.
Action symbolique aussi aujourd’hui : avec José Bové, Vandana Shiva et quelques autres, je participais à la remise de paquets de quantités de pétitions auprès de la Commission européenne sur les OGM et notre refus de les consommer et de les planter. Vous savez que le verdict dans le litige OGM (actuellement devant l’Organe de règlement des différends) sera prononcé début janvier. Il doit être déjà prêt et, normalement, nous devrions perdre, si l’on peut en juger d’après le cas « boeuf aux hormones ». L’OMC a choisi justement de ne pas l’annoncer avant Hong-Kong pour ne pas nous donner de grain à moudre. Pascal Lamy devait venir ramasser nos pétitions, mais il a dépêché un sous-directeur à qui nous avons remis aussi un panier de fruits et légumes bio. C’était une aubaine pour les photographes car il n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent à l’intérieur du palais. Chacun de nous a dit quelques phrases, José sur notre volonté de vaincre et (notre) sa détermination d’aller en prison s’il le fallait ; moi sur le fait que l’OMC ne devait pas pouvoir faire sa jurisprudence sans aucune référence aux droits de l’homme ou de l’environnement.
Quelques échauffourées encore aujourd’hui (« Les Coréens affirment que rien ne les arrêtera » d’après de South China Moning Post). On ne peut en avoir aucune idée derrière les murs de verre et de béton du « Conference Centre », une ville en soi. Disons en passant que les Chinois vont nous écrabouiller, nous risquons de devenir un Disneyland pour touristes Chinois dans 10 ans si nous ne prenons pas au sérieux le message de ce pays et ne commençons pas à investir dans l’Europe de la recherche et du bien commun. Hong-Kong, c’est le royaume du Commerce effréné, de la pub clinquante, du capital. Parfait pour ce genre de conférence, très policée dans tous les sens du terme. A l’une des barrières de filtrage, un jeune homme bien habillé et très poli fouille votre sac et ouvre votre bouteille d’eau. Je lui ai demandé ce qu’il aurait fait si j’avais amené de la vodka. Réponse : il l’aurait confisquée, parce que l’alcool est inflammable ; ce serait pour « ma sécurité et celle des autres ».
Deux conférences de presse aujourd’hui, de Peter Mandelson et de nos ministres Christine Lagarde et Dominique Bussereau, donnaient la nette impression que l’Europe ne fera preuve d’aucune souplesse sur l’agriculture et que son offre sur le « développement » est presque aussi creuse que celle des Etats-unis. La France ne bougera pas de sa position (l’offre du 28 octobre est « la limite de la limite de la limite » dixit Bussereau). Quand à Mandelson, c’est un peu l’arrogance faite homme. Il fustige les « grands pays (du Sud) exportateurs agricoles (c’est un code pour dire « le Brésil ») qui ne font que faire monter les enchères et refusent de négocier. S’ils pensent arriver à quelque chose en agriculture en refusant de parler des autres sujets à l’ordre du jour, comme ils le font à présent, ils se trompent lourdement. Jusqu’ici, Mandelson n’a vu que des « fanfaronnades » (« posturing »), mais pas de gens qui voulaient négocier sérieusement. Il explique aux pays du Sud qu’ils doivent aussi baisser leurs tarifs avec une formule NAMA pour encourager le commerce Sud-Sud.
Il fait grand cas de son offre sur le développement des PMA et critique ceux qui, comme les USA, ne veulent pas du DFQF. Même si les PMA augmentaient leurs exportations vers les USA de 50%, cela ne représenterait que trois jours dans l’année des importations totales des USA. Il est vrai que l’offre des USA dans ce domaine est minable et ne rapporterait qu’un penny par jour et par personne aux PMA - tout en leur confisquant 62 milliards de dollars en revenus tarifaires perdus - d’après les camarades américains. Pour eux il s’agit de changer de sujet, de masquer la faillite des négociations et de maintenir la présence de pays pauvres à la table. De toute manière, les USA ne peuvent promettre le DFQF aux PMA, car il faudrait que le Congrès l’approuve, et le Congrès lui a déjà manifesté son hostilité. Vue la crise budgétaire à Washington, la « promesse » de Rob Portman à Hong-Kong revient à dire « je reposerai la question au Congrès ».
Bref, qu’il s’agisse des Européens ou des Américains, l’on détourne l’attention des vrais sujets, l’agriculture, le NAMA et les Services. Nous estimons que le paquet « développement » est vide et on va justement offrir un paquet vide à Mandelson quand il émergera de sa conférence de presse demain...
La Commissaire Fischer Boel nous a rejoint pour parler des dossiers banane et coton. « Ces deux produits sont étroitement liés au package du développement. Notre position sur le coton est claire, nous ne subventionnons pas le coton et nos producteurs dans quelques Etats membres ne représentent qu’environ 2% de la production mondiale. Nous voulons donner l’accès à nos marchés aux PMA. Sur la banane : « Depuis un an nous avons fait de grands efforts et nous allons introduire un tarif only system pour maintenir l’accès pour les pays ACP au tarif de 176 dollars la tonne à partir du 1er janvier 2006. A la fin 2006, nous aurons une évaluation, et s’il y a déséquilibre entre exports Latino-Américains et ACP on pourra rééquilibrer. »
Ces propos de Mme Fischer-Boel ne tiennent pas la route. La Banane ne fait pas partie du paquet « développement ». Nous avons eu par la suite une autre rencontre avec l’ambassadeur d’une petite île qui ne produit guère que des bananes, ce qui nous a permis d’approfondir cette question. Ce dossier va ruiner des économies des îles des Caraïbes comme la Jamaïque.
Charles Savarin (ambassadeur du Commonwealth of Dominica) : « la dimension sociale de la fourniture des services ne peut être négligée et les ACP ont de graves soucis quant à leur prix. Sur la question des bananes : la dispute qui se poursuit depuis bientôt 20 ans (GATT et OMC) a eu pour résultat de donner accès aux très grands producteurs, entreprises transnationales, qui ont déjà 100% des marchés US et Canada ; les ACP ne peuvent concurrencer ces producteurs. Si les Caraïbes ne peuvent plus exporter vers l’Europe c’est la catastrophe ».
Nous sommes devant une menace contre la survie des Caraïbes, mis en concurrence avec des transnationales qui paient des salaires de misère en Amérique latine. Ces mini-pays ont déjà souffert à cause de la baisse d’un tiers du prix payé par l’Europe pour le sucre.
Sur l’AGCS, comme je regrette que la francophonie nous oblige à dire AGCS alors que GATS sonne presque aussi méchamment que Bolkestein. Il est clair que nous sommes devant une tentative de changement fondamental dans la méthode de négociation. Le nouveau texte des services (dit Annexe C) a été entièrement mis entre crochets, c’est a dire qu’il n’y a pas d’accord. L’EU et les USA veulent faire passer la méthode [de libéralisation des services], qui reposait sur une base « de bas en haut », volontaire, à une base « de haut en bas », obligatoire. Autrement dit, un pays ne pourra plus choisir les domaines dans lesquels il se sent prêt à libéraliser et seulement ceux-là. Une note au paragraphe deux se réfère à un autre texte qui contient, lui, les secteurs de services que les pays riches veulent voir s’ouvrir. (Voir cette liste dans le Bulletin No.1). Il s’y trouve beaucoup de services publics et de domaines sensibles.
On veut aussi privilégier les négociations plurilatérales, c’est à dire par groupes. Déjà des groupes de pays se forment qui vont demander la libéralisation dans tel ou tel domaine : ces groupes se nomment les « Amis du Transport » ou les « Amis de l’Energie », etc. La Nouvelle Zélande a déjà établi un groupe « d’Amis » de l’éducation. Bref, l’approche plurilatérale est aussi dangereuse que l’approche numérique de « benchmarking ». Comme le paragraphe 7 actuel dit aussi que les pays « SHALL enter into negociations » « vont (ou doivent) commencer les négociations » quand ils recevront des demandes des « Amis », ils seront coincés. Pour cette raison, les ACP et sans doute d’ici à demain la totalité du G-90 proposera formellement une rédaction où tout cela sauterait. C’est encore pire que l’écriture des motions d’Attac, il faut une attention et une précision de Sioux. La presse et les gouvernements parlent très peu des services, et s’il est vrai que les cibles numériques (ouvrir par exemple 93 sous-secteurs sur 163 pour les PED et 139 pour les riches) ne se trouvent plus dans le texte, le plurilatérale et le sectoriel demeurent. Un autre paragraphe représente l’effort de l’UE de réintroduire le sujet des marchés publics, évacué à Cancun.
Caroline Lucas, la MEP verte, membre du comité parlementaire qui s’occupe du Commerce, confirme que l’EU va être très agressive sur ce dossier, et va garder soit les cibles chiffrées, soit quelque chose d’approchant. Quand je lui ai demandé s’il était vrai que cette Commission était pire que la précédente, elle a abondé dans ce sens ; elle en est presque à « regretter Lamy », c’est dire !
Voila la partie des négociations qu’il s’agira de regarder de très près pour notre campagne AGCS. On parle déjà ici d’un « HongKong 2 » à Genève dans 3-4 mois sur les services. Si les membres acceptent le discours sur les négociations sectorielles et plurilatérales, ils seront obligés de commencer à libéraliser dans plusieurs domaines dont l’énergie, le transport, l’environnement, la santé, la distribution, l’audio-visuel. Les négociations financières vont continuer à partir de leur point d’arrêt de 1997, ce qui impliquera encore plus de libéralisations.
Un sujet que je n’ai pas assez creusé : la décision de l’ORD sur les jeux qui stipule que vous pouvez interdire certaines activités à vos fournisseurs de services nationaux, mais pas ces mêmes activités de la part de fournisseurs étrangers. Le Traitement national ne veut pas dire que vous traitez les étrangers comme les fournisseurs nationaux : vous pouvez et devez traiter les étrangers mieux. Scott Sinclair du Canada craint des accords sectoriels sans négociations du tout. Les pays ne pourraient que mettre des limites, ils ne pourraient pas refuser ; nous sommes dans une situation très dangereuse. Les parlements ne comprennent pas ce qui se passe. L’accès aux marchés (article XVI) veut dire que vous ne pouvez pas limiter le nombre de fournisseurs ou refuser qu’ils aient des activités telles que brûler les déchets par municipalités, interdire la pub dans certains endroits, etc. (voir www.policyalternatives.ca ; lire Alan Gold sur le cas des Jeux).
Un camarade mexicain nous donne l’exemple de l’ALENA qui a libéralisé le secteur bancaire de la même manière : à présent, 92% du système bancaire est entre des mains étrangères : pas de crédit pour les affaires locales, les paysans. 52% de la distribution est sous le contrôle de Wal-MART et il est très difficile d’introduire des régulations.
Briefing avec un officiel de la Commission qui traite du commerce des services : ce briefing au ras des pâquerettes a rendu certains d’entre nous fous furieux. Il nous parlait comme à des enfants, alors que certains dans la salle sont des vrais pros de l’AGCS (pas moi, il y en a de beaucoup plus calés). En gros, l’UE demande, comme le fait le texte de l’AGCS, la libéralisation progressive. La seule chose éventuellement utile était son insistance sur le fait que cette libéralisation peut être obtenue à travers tous les types de négociation (bilatérale, plurilatérale, multilatérale) même si la méthode principale serait celle des demandes et offres que nous avons connue jusqu’ici.
Un dernier briefing avec les quatre Messieurs de l’OMC qui rendent compte de la journée aux ONG : pas la peine, je n’y retournerai plus, nous en savons plus qu’eux.