Merci à Rouge de m’offrir la possibilité de m’adresser en toute liberté aux militants de la LCR. J’ai été choqué lorsque j’ai lu, dans Politis, le tir groupé de Martelli, Coquerel, Boislaroussie, Debons, Bavay et Salesse contre l’intention de la LCR de contribuer à la création d’un nouveau sujet politique. Choqué de les voir d’emblée condamner un projet avant même que celui-ci ait vu le jour et qu’il soit possible de mesurer l’ampleur de la mutation voulue par la LCR. Ma réaction est différente. Je ne claque pas la seule porte qui s’ouvre. Ce qui ne signifie pas naïveté ou ingénuité. Je ne dis pas « oui » à la LCR. Je dis : voyons ce qu’il en est.
On trouvera sur le site de la Ligue ainsi que sur mon blog (http://rmjennar.free.fr) [1], l’échange que je viens d’avoir avec Daniel Bensaïd. J’ai exprimé mes préoccupations les plus fortes sur la double et égale centralité de la question écologique et de la question sociale, sur la démocratie dans un parti et dans la société, sur les libertés fondamentales, sur réforme et révolution, sur le public auquel s’adresse le projet NPA [nouveau parti anticapitaliste, NDLR]. Les réponses de Bensaïd sont encourageantes. Elles dégagent le chemin. Mais elles doivent se concrétiser en décisions de la part de la LCR elle-même.
Depuis que j’ai proposé ce dialogue, j’ai reçu des dizaines de commentaires. Quelques-uns négatifs, beaucoup approbateurs, mais plus nombreux encore chargés d’interrogations. C’est ce questionnement dont je veux me faire ici le porteur. J’invite les lecteurs de Rouge à réfléchir à ces préoccupations de gens qui ne rejettent pas d’emblée le projet NPA.
Je commencerai par la plus délicate : l’affaire Picquet. Délicate, parce que la LCR n’est pas le NPA et je refuse le procès d’intention. Mais il me faut l’évoquer parce que de très nombreux correspondants y ont vu une raison majeure de ne pas créditer la LCR d’une volonté réelle de transformation. Ils y ont vu ce qu’ils rejettent le plus fortement dans le fonctionnement actuel des partis politiques. Ils m’ont écrit en substance : tu te trompes en pensant qu’un nouveau sujet politique en phase avec les aspirations profondes des citoyens non encartés puisse naître d’une LCR qui se comporte ainsi.
Deuxième questionnement, qui complète le premier : quelle structure pour ce nouveau parti ? Je ne retiens que l’interrogation de ceux qui acceptent que toute action collective implique un degré d’organisation et qui conviennent que les choix engagent ceux qui les prennent. Comment éviter que la délégation et la hiérarchie dans laquelle elle s’exprime ne confisquent la souveraineté du citoyen-militant ? Comment satisfaire les exigences de transparence, de reddition des comptes et de circulation des informations ?
Troisième questionnement : comment gérer fructueusement la rencontre entre la culture politique des militants de la LCR et la culture politique de gens qui n’appartiennent à aucun parti, mais qui sont engagés dans des activités citoyennes comme la défense des droits humains, l’écologie, le refus du nucléaire, le rejet d’un modèle économique fondé sur la croissance et le productivisme ? Comment organiser la militance commune entre des gens baignés dans le marxisme-léninisme et des gens qui ne se retrouvent pas dans l’analyse marxiste et qui n’ont que faire de Lénine ou de Trotsky pour changer la vie et la société ?
Cher(e)s militant(e)s de la LCR, nous savons les combats que nous sommes capables de mener ensemble. Nous l’avons vérifié dans le rejet du traité constitutionnel européen et nous le vérifions lorsqu’il s’agit de lutter contre les licenciements dans les entreprises qui font du profit, contre les délocalisations, contre la casse sociale, contre le néopétainisme dominant, contre l’OMC, le FMI, la Banque mondiale. Nous avons montré que nous étions capables d’être « anti » ensemble. Le projet NPA nous lance, à vous comme à nous, un défi formidable : serons-nous capable de proposer et de porter ensemble une alternative à la hauteur des enjeux du XXIe siècle ?