Le 17 avril 1980 fut un jour de fête, non seulement à Harare, la capitale du Zimbabwe, mais dans l’ensemble du continent africain. Un jour de fête qui célèbre, après de nombreuses luttes civiles et armées, la chute du régime d’apartheid de Ian Smith en Rhodésie, qui deviendra le Zimbabwe. À la tête de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), Robert Mugabe prend le pouvoir. Mais l’absence de démocratie et les pratiques bureaucratiques entraîneront le pays dans une catastrophe économique et sociale : inflation galopante (150 000 % en janvier 2008), pauvreté exponentielle et chômage endémique.
Juste après son arrivée au pouvoir, la direction de la Zanu-PF – Mugabe en tête – prendra soin de ménager le pouvoir de la bourgeoisie blanche. Cette collaboration permettra au pays de bénéficier d’une avalanche d’aides au développement. Elle permettra surtout à la classe dirigeante de jouer un rôle d’intermédiaire qui, moyennant rétribution, permet aux entreprises d’importer, d’accéder au change de devises, de remporter les marchés publics. Ce système bureaucratique sera battu en brèche par la crise économique, qui ne cessera de s’aggraver. Dans les années 1990, Mugabe en sera réduit à demander l’aide du FMI et de la Banque mondiale, qui appliquera sa politique d’ajustement structurel : libéralisation, dévaluation de la monnaie, réduction des dépenses publiques et privatisations.
Après la rhétorique socialiste des années 1980, qui a permis de couvrir les agissements de corruption du pouvoir, Mugabe lance l’indigénisation de l’économie, une façade pour légitimer la spoliation des actifs du Zimbabwe par les cercles dirigeants. Dans le même temps, s’accélèrent les expropriations des terres détenues par les fermiers blancs, qui les avaient usurpées lors de la colonisation du pays. Mais cette réforme agraire profite avant tout aux dirigeants et aux anciens combattants.
La victoire du Mouvement démocratique pour le changement (MCD) aux élections du 29 mars dernier traduit l’opposition grandissante de la population. Conduit par Morgan Tsvangirai, le MDC est apparu dans les années 1990, quand les syndicats menèrent bataille contre les mesures du FMI. Devenant la seule force crédible d’opposition contre le pouvoir de Mugabe, il rassemble des forces sociales hétérogènes, allant des habitants de bidonvilles, dont certains ont été expropriés dans des conditions scandaleuses, aux chefs d’entreprise, en passant par des fermiers blancs.
Actuellement, le Zimbabwe est en équilibre. D’un côté, une Zanu-PF affaiblie et minoritaire, désormais incapable d’organiser des fraudes électorales sur tout le territoire mais gardant la mainmise sur l’armée ou la police, et bénéficiant du soutien de l’organisation des anciens combattants, la ZNLWVA. De l’autre, un MDC ayant conquis électoralement une grande partie des campagnes qui soutenaient traditionnellement le pouvoir, mais qui souffre d’une faiblesse de structuration et est incapable d’imposer sa victoire électorale. Son appel à la grève générale fut en effet peu suivi.
Alors que Mugabe engageait un recomptage des voix dans les bureaux de vote où la ZANU-PF était minoritaire, il ordonnait des expropriations de terres au profit de ses partisans. Ainsi, Mugabe s’est ménagé la possibilité de proclamer un décret d’état d’urgence du fait des violences provoquées par les réquisitions des fermes.
Les puissances occidentales dénoncent la brutalité du pouvoir de Mugabe. Pourtant, pendant des décennies, elles ont soutenu les régimes racistes d’apartheid, les auteurs de crimes comme les Taylor (Liberia) ou les Hissène Habré (Tchad) et elles continuent d’appuyer les Paul Biya (Cameroun), les Idris Deby (Tchad) ou les Mélès Zenawi (Éthiopie) qui livrent leur pays en pâture aux puissances impérialistes. Notre opposition à la dictature est tout autre. Elle se fonde sur la solidarité avec la population du Zimbabwe qui, au prix de mille souffrances, a abattu l’apartheid, victoire dévoyée par Mugabe, mais qui montre que les luttes peuvent renverser des obstacles qui apparaissaient insurmontables.