- La fin d’un cycle
- Lui s’occupe de l’antipolitiqu
- Le nouveau mouvement
- La gauche et le mouvement
- Le bilan du gouvernement
- La fin de Rifondazione
- L’occasion perdue
- La matrice social-démocrate
- Une identité alternative
- Propositions actuelles
- Une Constituante anticapitalis
- L’organisation politique (…)
- La mixture de la Gauche (…)
Je dois avouer que j’éprouve une certaine émotion à introduire les débats de cette assemblée, qui, de facto, représente le premier congrès national de Sinistra critica (Gauche critique). Nous avons parcouru ensemble beaucoup de chemin, depuis que nous avions présenté la motion [1] pour le congrès du Parti de refondation communiste (PRC). Nous avons construit un collectif, une confiance réciproque, des réflexes communs. Et nous avons aussi produit des faits politiques — je pense surtout au 9 juin [2] contre Bush. Nous avons construit une pratique collective faite de démocratie et d’écoute réciproque.
Dix mois ont passé depuis que Franco Turigliatto a été expulsé du PRC. Ce fut un grand événement fondateur qui a fait que beaucoup d’entre nous se sont retrouvés ensemble. Au cours de ces mois nous avons discuté comment maintenir notre projet, comment raccorder les temps différents de chacun, comment transformer la rage ou la déception en une proposition qui convienne à toutes et à tous. Et nous sommes ici. Nous avons décidé de convoquer une conférence, avec des délégué(e)s, et non un meeting, pour lequel il y aura aussi le temps. Mais au cours de ces trois jours nous allons privilégier la réflexion et le travail politique.
Car nous fondons un projet dans un contexte très difficile. Nous ne regardons pas en arrière et nous relevons le défi, mais nous ne devons pas nous raconter des histoires et ne devons pas cacher la difficulté de l’entreprise.
La fin d’un cycle
La phase actuelle se déroule sous les signe de la clôture du cycle politique. D’un cycle politique bref, celui du gouvernement Prodi, mais surtout d’un cycle politique long, qui a jailli de la précédente crise italienne en 1991-1992. C’était la fin de la bipolarité à l’italienne incapable de réaliser sa priorité : garantir une gouvernabilité pour pouvoir gérer le conflit social et permettre à l’Italie de résister dans la compétition globale au cœur d’une crise de consensus qui mettait en danger l’ensemble du système. Contrairement aux lamentations de Montezemolo [3], selon qui le pays n’était pas gouverné depuis au moins douze ans, il faut souligner que l’Italie fut depuis gouvernée en suivant une ligne descendante du libéralisme, fournie à des doses variables selon qui était au gouvernement. Mais les salaires, les droits sociaux, l’accès à la santé, au bien-être ont tous suivi la courbe descendante, à l’image d’une Bourse en perdition, alors que la précarité connaissait pour sa part une croissance ininterrompue. Et cela a continué sous la mixture du libéralisme et de l’autoritarisme, caractérisant aussi bien le premier que le second gouvernement Berlusconi, mais aussi le premier et le second gouvernement Prodi.
De quoi parlent ceux qui sont morts au travail, comme à Turin ? De quoi parlent les millions de précaires ? Et ces travailleurs roumains qui s’alignent sur les routes à la fin de la journée pour pouvoir travailler ne serait-ce que quelques heures ? De quoi d’autre, sinon de la dégradation des conditions du travail face à des profits croissants ?
Au cours de ces quinze années l’Italie a cherché à s’adapter à la concurrence internationale, de plus en plus explicite et impitoyable, fondée sur des guerres commerciales et des guerres tout court. Elle a tenté de préserver ses parts de pouvoir et de se procurer des « bases » spécifiques. Par exemple en envoyant des soldats — désormais dix mille de manière stable — sur les divers théâtres de crise, pour compter dans le jeu diplomatique. C’est pour cela que l’Italie a retiré ses soldats de l’Irak, afin de les déplacer, ce qui est plus utile pour peser politiquement, vers le Liban et c’est aussi pour cette raison qu’elle ne compte pas les déplacer de l’Afghanistan, ce que la Gauche savait parfaitement en signant les accords !
Mais la bipolarité majoritaire, qui a servi à réaliser cette insertion internationale, ne suffit plus aujourd’hui. Car malgré les « succès » économiques et militaires elle n’a pas été capable de préserver le consensus. Le conflit social est allé croissant au cours des années du gouvernement de Berlusconi et il ne s’est pas dilué au cours des années de centre-gauche, tout en multipliant les désillusions.
La société italienne, le prolétariat moderne, sont toujours plus divisés et fragmentés, atomisés et démoralisés. La précarité est au centre de cette condition et elle est de plus en plus visible.
Et si la bourgeoisie a augmenté ses profits et sa force politique, elle n’est pas au mieux : elle vit une phase d’incertitude, voit s’appauvrir certains de ses secteurs et est effrayée par le scénario mondial toujours plus mauvais.
Il lui faut un système stable et en même temps moins rigide, plus malléable. L’idéal serait de son point de vue une Grande coalition, comme en Allemagne. Ce sera probablement la voie obligatoire, mais une telle grande coalition, qui constitue une réponse dans une période de difficultés accrues, est déjà en crise en Allemagne, avec un SPD pressé sur sa gauche et un CDU qui aspire à regagner pour lui seul le centre de la scène politique. Même là, la formule ne garantit pas le consensus social, car la société est beaucoup plus intolérante et étrangère au cadre politique que ce qu’on imagine.
Le libéralisme veut développer les instruments lui permettant d’imposer ses choix. Ce n’est pas par hasard qu’il a salué avec beaucoup d’enthousiasme la naissance du Parti démocrate (PD), le nouveau parti de la bourgeoisie italienne à vocation européenne [4]. Il veut développer l’offre car ses recettes ne fonctionnent plus et ne convainquent plus. Il y a une crise du consensus.
Qu’ils ne soient plus capables de convaincre, nous l’avons vu au cours des années précédentes au travers de la grande mobilisation internationale qui a mis en avant le thème de la contestation du libéralisme — souvent avec un « anticapitalisme latent » (je promets que ce sera la seule citation positive de Bertinotti !) — qui a fondé les bases d’une contestation du système. Et si aujourd’hui les dynamiques semblent régresser — même si dans leur dimension internationale les choses sont beaucoup plus mouvantes — il nous semble que cette critique a ouvert des failles dont jaillit encore une énergie positive.
Lui s’occupe de l’antipolitique [5] ?
Une partie de cette critique a même nourri la soi-disante antipolitique, qui est un élément important de la réalité italienne, non seulement un signal inquiétant, mais un véritable phénomène social que personne ne veut sérieusement analyser, dans l’espoir — qui est une illusion — que la réforme électorale fera disparaître les anomalies et rétablira la normalité. Pourtant une profonde analyse est nécessaire et le phénomène nécessite une attitude pas banale.
Nous ne proposons pas d’épouser les thèses de Grillo [6], qui sont un chef-d’œuvre de désintérêt et d’esprit réactionnaire, mais si par antipolitique on entend le refus de la politique des appareils et de la division en classes, le rejet de ces nouveaux notables qui proposent toujours la même soupe libérale, alors comme nous sommes contre une telle politique, nous sommes prêts à reprendre à notre compte un peu d’antipolitique. Un peu ; c’est-à-dire la partie qui correspond à une critique de la politique, à une critique de classe de la démocratie indirecte et à une contestation radicale des mécanismes de privatisation de l’économie et de la politique qui vont de pair.
La reconstruction d’une force anticapitaliste, justement « anti », passera nécessairement par la récupération de ces instances, aussi à travers les formes de rébellion et de bouleversement du « politically correct » : une force qui sera vraiment hors des deux pôles, hors des compatibilités et hors des mécanismes et des rituels de la politique du palais !
Le nouveau mouvement
Pour le construire, il faut parier sur le mouvement, sur les mouvements et les conflits.
Il est clair que le mouvement [altermondialiste] n’est plus celui qui a fait la manifestation de Gênes [en juillet 2001] — le moment de sa naissance. De nombreuses luttes et de nombreux conflits persistent, mais ils sont aujourd’hui beaucoup plus localisés et aussi beaucoup plus diffus. Ils disposent d’une charge radicale et de très haut potentiel de participation. Il suffit de regarder Vicenza ou Val di Susa [7]. C’est là que réside une réponse active à la crise de la politique.
Il est fondamental de ne pas laisser ces réalités-là isolées, comme il est important qu’elles ne se replient pas sur elles-mêmes.
Un objectif toujours actuel c’est de renforcer les liens et les relations stables, au moins au niveau de la communication, de renforcer les « pactes », pour qu’ils jouent réellement le rôle de sujet et ne soient pas réduits aux seuls groupes politiques. Ces derniers ne doivent pas pour autant être diabolisés pour autant qu’ils aident à réaliser les tâches (mais non lorsqu’ils visent seulement leur propre mise en valeur ou s’ils tentent d’institutionnaliser le mouvement).
Le mouvement doit préserver son autonomie comme une relique. Et, évidemment, développer sa radicalité et son unité à la base, en sachant qu’aujourd’hui la première est la condition de la seconde et pas le contraire. Le contraire c’est la volonté d’imposer une unité par haut, fondée sur la politique institutionnelle de la gauche qui tente de construire un impossible pont entre la « lutte » et le « gouvernement ».
Donc, la centralité des mouvements.
L’agenda est déjà fixé :
* Vicenza et la guerre : Tous à Vicenza le 15 décembre, mais aussi la journée de mobilisation du pacte contre la guerre le 26 janvier ;
* la précarité : Le 20 octobre [8] fut seulement une tournée sonore, mais il a montré la disponibilité pour la mobilisation. Le million des « non » au référendum [9] n’a pas pesé sur le parlement mais il ne doit pas être dispersé. Ne commettons pas l’erreur commise lors de l’article 18 [10]. Soutenons le référendum pour l’abolition de l’article 30, renforçons le pacte, déterminons des nouvelles échéances. Le nouveau féminisme et les droits civiques, en partant du beau succès du 24 novembre [11] et de l’engagement des femmes qui ont démontré une radicalité et une détermination dignes d’autres temps.
* Les biens communs et la bataille pour la défense écologiste du territoire ;
* La lutte des immigrés et l’antiracisme. Ce qui est arrivé sur la sécurité représente une ligne de partage des eaux et le point le plus bas de la gauche. Car le silence de ce soir, lorsque s’est produit l’homicide du Tor di Quinto, et que le gouvernement a convoqué un Conseil de ministres extraordinaire, a pesé plus que le vote du parlement. Ce fut l’absence d’un point de vue opposé, alternatif, qui devrait être la principale tâche d’une force de gauche.
Telles sont nos priorités aujourd’hui. L’agenda du mouvement c’est l’agenda de la Gauche critique.
La gauche et le mouvement
Maintenant nous voyons la gauche du gouvernement qui tente la récupération. Après plus d’une année de silence elle s’occupe maintenant de Vicenza. Elle lance des appels, veut reconstruire des liens, pose des questions et écrit des lettres.
Nous pensons, bien sûr, que si le mouvement fait face à des difficultés, ce n’est pas simplement du fait des choix gouvernementalistes de la gauche politique et institutionnelle. Il y a d’autres faiblesses — les limites de l’organisation, le poids des défaites, l’insuffisante interaction avec le monde du travail, et bien d’autres. Mais je vous invite à réfléchir sur une analogie internationale.
Dans trois pays centraux du mouvement international — au Brésil, en Italie et en France — ceux qui ont guidé la dynamique de Porto Alegre, la gauche a imposé les choix gouvernementalistes. Soit en remportant les élections, comme au Brésil ou en Italie, soit en étant candidats à gouverner avec la social-démocratie, comme en France. Et le mouvement s’est divisé. Et il a été enrayé. Ce qui est arrivé en Italie nous semble fournir une importante explication : en allant au gouvernement la gauche a déconstruit le mouvement et l’a leurré avec la perspective « de la lutte et de la gouvernance ». Illusions bien répandues et l’on voit les décombres qu’elles ont produites sous nos pieds. Il ne sera pas facile de reprendre le chemin.
Le bilan du gouvernement
Même si le gouvernement Prodi devait encore perdurer un peu, il faut dénoncer sa faillite. Car cette faillite, c’est celle de la gauche à commencer par celle du Parti de refondation communiste.
Nous parlons ici d’un gouvernement qui a accru de manière exponentielle les dépenses militaires sans tenir compte de toutes les demandes des mouvements, qui a offert des milliards aux entreprises, qui a activement travaillé pour une réorganisation capitaliste-financière — depuis Intesa San Paolo jusqu’à Telecom, depuis les manœuvres autour d’Alitalia jusqu’à celles de la place de l’Italie en tant que pays fort de l’Union européenne. Un gouvernement qui peut aller bras dessus, bras dessous avec Zapatero et avec Sarkozy en même temps, car sur les politiques sociales Zapatero et Sarkozy ne disent pas des choses très éloignées.
C’est un gouvernement fier d’avoir offert des miettes de charité aux plus faibles : un bonus aux invalides et des augmentations dérisoires des plus basses retraites.
Un gouvernement qui s’est appuyé, dès le début, sur la concertation entre les syndicats et les entreprises sans laquelle il n’aurait pas été capable de tenir une seule journée. Un gouvernement de classe, oui, mais de la classe adverse !
Et surtout, c’est un gouvernement qui a réussi à intégrer la loi 30 [12] en l’aggravant par un décret sur la sécurité, allant plus loin que Bossi-Fini !
C’est pour toutes ces raisons que nous sommes dans l’opposition : nous nous sommes opposés sur la guerre, puis sur le Document de programmation économique et financière 2007-2011, puis sur les lois les plus inacceptables.
Aujourd’hui l’opposition de la Gauche critique est bien visible avec le refus de voter la confiance sur les lois antisociales à la Chambre et sur le décret sécuritaire au Sénat. Nous avons pris le temps nécessaire pour vérifier ce que fait le gouvernement et nous sommes déjà dans l’opposition !
Il faut bien garder à l’esprit que la gauche, en premier lieu Rifondazione, a tout couvert : la guerre, les lois antisociales, la sécurité, les dépenses militaires, le G8 (Zanotelli), le recul fiscal, la limitation du PACS.
En réalité l’attaque contre Prodi vise à faire oublier tout ceci. Et elle sert à couvrir le dernier piège, le plus grand et le plus pervers, le baiser de la mort. Pour favoriser la nouvelle recomposition et donc la naissance de la Gauche arc-en-ciel, Rifondazione se dresse en équilibre sur l’axe allant de Veltroni à Berlusconi. Le bipartisme à vocation majoritaire, c’est-à-dire une restriction démocratique à venir, une limitation du pluralisme, une tentative ultime d’obtenir le consensus en trichant sur les résultats électoraux, avec des seuils de barrage dignes de Poutine et avec l’abolition, d’office, des partis et de la culture politique, bénéficie d’un secours rouge.
Même la défense traditionnelle du pluralisme et de la démocratie fondamentale risque d’être ainsi sacrifiée sur l’autel des convenances de l’appareil voire carrément personnelles. Il faut être bien clair : ils nous ont tenus enchaînés à la peur du « monstre » Berlusconi et aujourd’hui ils l’érigent en génial réorganisateur de la politique italienne en contemplant l’hypothèse d’un axe avec lui et son alter ego.
Le paradoxe, c’est que si nous voulons préserver les contenus de la démocratie, l’actuelle loi électorale est la meilleure de tout ce tohu-bohu. Et donc si notre vote devait être décisif, je proposerais d’empêcher toute aggravation du « Porcellum » [13].
La fin de Rifondazione
Cela aussi témoigne de la fin du cycle de Refondation communiste. Nous le disions depuis des mois. Dès demain, cela sera visible avec le nouveau logo alors que le symbole du PRC ne sera plus présent sur les affiches électorales et, de fait, il s’agira de la disparition du sujet politique que nous avions construit sous le nom de Rifondazione. Et ce sera fait sans que les militants aient leur mot à dire !
Le nouvel logo, qui n’a que quelques jours, est d’ailleurs connu et fort parlant : il indique un sujet dilué dans l’arc-en-ciel, entièrement estompé et perdant ses références historiques. Comme l’a dit Franco Piperno dans une interview à Liberazione, « le nouveau symbole traduit le besoin de l’indétermination ». Vous pouvez demander à chacun des autres secrétaires fondateurs du nouveau sujet qui ils sont et ce qu’ils veulent. Vous aurez non seulement quatre réponses différentes mais de plus ces réponses brilleront par l’indétermination et la généralité. Même l’option réformiste « forte » — que sont les nationalisations — n’est pas avancée vigoureusement.
Bien sûr, tout cela peut être attractif, ne le sous-estimons pas, peut attirer des consensus. Car dans la phase de stagnation et de démoralisation l’appel à l’unité exerce un charme certain. Mais dans ce processus le projet de la recomposition d’une gauche de classe se perd et on ne vise qu’à occuper électoralement l’espace laissé libre par la DS tout en n’oubliant pas la nécessité de rester à la traîne du Parti démocrate dans une perspective de gouvernement. C’est cela la véritable identité.
Pour notre part nous ne fétichisons pas les symboles. Les symboles représentent des contenus et indiquent un projet politique. Pourquoi à chaque tournant qui conduit à la modération se débarrasse-t-on de la faucille et du marteau ?
Nous ne sommes pas nostalgiques et nous ne nous soûlons pas avec les drapeaux rouges. Mais en les voyant jetés à la poubelle, nous vient la volonté de les préserver. Et nous les affichons car ils représentent un de nos symboles, ce lien à ce qu’il y a de meilleur dans l’histoire du mouvement ouvrier dont nous n’entendons pas nous débarrasser.
Faisant face à sa faillite, le PRC change de terrain de jeu. Cette faillite se mesure mathématiquement. Rifondazione a travaillé activement et de manière convaincue — vous souvenez-vous du climat du congrès ? — pour le gouvernement avec l’objectif de battre la droite, d’ouvrir ce gouvernement aux instances des mouvements, de changer le pays grâce à une Grande Réforme permise par une « bonne bourgeoisie » qui, selon la vision de Bertinotti, était présente. Maintenant les droites sont plus fortes que jamais dans le pays réel, les mouvements sont tous contre le gouvernement et n’hésitent pas à s’ériger contre lui, le changement a évidemment échoué et la bourgeoisie est juste bonne pour mettre avec Marchionne [14] une bombe à retardement sous le contrat de travail des métallurgistes et pour construire, avec Padoa Schioppa [15], une politique d’assainissement libéral dont seuls les entrepreneurs vont profiter.
Ils parlent de la faillite de Prodi pour cacher leur propre faillite. Car si la gauche est à son année zéro, qui en porte la responsabilité ? Peut-être que si nous avons perdu les dix ans de refondation communiste nous le devons à la désinvolture de ceux qui se sont alliés deux fois avec Prodi, à leurs zigzag improvisés et téméraires !
Si aujourd’hui nous décidons de mettre fin à un parcours politique, nous le faisons en partie pour nous mettre à l’abri de cette désinvolture et de ces pirouettes écœurantes !
L’occasion perdue
Tout cela fait penser à une occasion perdue. Car si le PRC est perdu — et il l’est à coup sûr ! — ce n’est pas parce qu’il est devenu tout d’un coup gouvernementaliste mais parce qu’il a décidé, à un certain moment, de valoriser dans son histoire complexe et contradictoire l’âme réformiste et dévouée au compromis qui provient des racines du Parti communiste italien, ce parti de lutte et de gouvernement qui en réalité mettait la lutte de côté et cherchait, sans réussir dans son cas, à pratiquer la voie du gouvernement. L’entrée dans le gouvernement est en réalité le résultat d’une défaite qui n’a pas permis de réaliser ce pourquoi Rifondazione a été fondé : une tentative de reconstruire une dimension et un outil de classe capable de s’opposer à la stabilisation capitaliste en cours. Cette vocation a été assumée durant quelques dix ou douze années, durant la période ou le PRC est resté en dehors des pôles et s’est préservé de la normalisation. L’accès au gouvernement — bien mis en évidence par le choix de s’arroger le rôle du président de la Chambre — a mis fin à cette anomalie : Rifondazione a clos toute tentative visant à construire un corps politico-social qui reconstruise l’identité anticapitaliste. Le PRC est ainsi devenu une « refondation manquée » qu’aucun virage ne permettra plus de reconstruire.
C’est pour cela que nous parlons de la fin d’un cycle et d’une expérience terminée. Même un éventuel retour dans l’opposition ne pourra plus remettre en marche la machine que nous avions connue, par ailleurs durant un temps assez bref et dont les prestations n’étaient pas totalement satisfaisantes. La politique n’est pas comme un film, qu’on peut arrêter à un certain point, revenir en arrière et remettre en marche. On ne revient pas aux origines.
La matrice social-démocrate
La gauche arc-en-ciel est le produit naturel de ce noyau sauvé de la traversée des dernières années : un réformisme tempéré, de matrice social-démocrate, à vocation gouvernementale. Seulement ce réformisme se présente au moment où les marges de manœuvre réformistes sont minuscules voire épuisées. Il suffit de regarder les questions sociales : des grandes proclamations, une gymnastique militante et finalement rien. Rien n’a été obtenu et ce fut un désastre, comme en témoigne la déception du 20 octobre.
Évidemment, la réduction des marges de manœuvre n’est pas seulement un facteur objectif, c’est aussi le produit même du facteur subjectif, du comportement du social-libéralisme et du syndicalisme institutionnel qui jouent un rôle actif dans le processus de démoralisation et de décomposition. La CGIL [16] a fourni une contribution active et criminelle dans cette phase : elle a consciemment conduit des millions de travailleurs à accepter une médiation qui aggrave leurs conditions de vie et a même fini par s’opposer à quelques améliorations parlementaires. Une indécence jamais encore vue.
Une identité alternative
Ici, nous voulons repartir sur la base d’un anticapitalisme tant en ce qui concerne le programme que les idées à court terme. Nous restons ancrés à gauche, une gauche qui veut rompre avec le capitalisme, le renverser et construire un « ordre nouveau » [17]. Nous restons partisans d’une hypothèse révolutionnaire qui passe par la participation et l’auto-organisation des masses, d’une hypothèse de propriété publique et sociale, de production collective et de l’autogestion démocratique comme forme avancée des rapports sociaux. Utopie ? Bien, l’utopie est une grande force qui déplace les colosses et nous restons très attachés à l’utopie.
C’est pour cela que nous faisons « l’éloge de l’opposition ». Car nous revendiquons notre indisponibilité pour gouverner le capitalisme. Parce que la gauche de classe doit accumuler des forces, faire apparaître les formes d’autogestion sociale, modifier de manière draconienne les institutions, qui ont été conçues pour jouer le rôle du chien de garde du système, et construire sa force et son pouvoir au sein de la société et dans la structure socio-économique. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle pourra poser la question du gouvernement.
Propositions actuelles
Nous avons déjà fait l’expérience du gouvernement et nous sommes déjà dans l’opposition.
Rifondazione voudrait faire et refaire cette expérience pour masquer la centralité de la loi électorale. Nous ne participerons pas à un jeu qui ne sert qu’à perdre du temps, à faire naître la Chose arc-en-ciel et a masquer le véritable affrontement qui porte sur la loi électorale.
Le renvois du congrès [18] est l’épilogue de cette volonté de gagner du temps. C’est une véritable séquestration de la démocratie. Il n’y a pas de doutes : tout sera décidé avant et le congrès sera appelé à ratifier ces décisions. Un triste épilogue.
C’est pourquoi nous déclarons que notre expérience dans le PRC s’est conclue et nous construisons un nouveau projet. Nous ne parlons pas de scission car il s’agit d’une amère constatation de parcours divergents : il y a une majorité qui veut rassembler la gauche réformiste et il y a nous, et pas seulement ceux qui sont ici, qui voulons construire une gauche de classe, anticapitaliste, indisponible pour le gouvernement.
La naissance de la Gauche arc-en-ciel, un an et demi après l’apparition de ce gouvernement désastreux, qui a montré le véritable visage de cette gauche — et finalement la décision de renvoyer le congrès jusqu’à ce que tout soit réalisé, nous fait dire, comme l’aurait dit n’importe qui, que « nous nous arrêtons ici ». Nous ne vous suivons pas, nous nous défendons nous-mêmes et — nous l’espérons — nous offrons une hypothèse politique à ceux qui voudraient continuer le travail entrepris en 1991 et réorienté en 2001.
La Gauche critique se transforme en un Mouvement politique et poursuit son projet autonome. Dans les jours qui viennent nous démissionnerons du PRC et les quelques élus institutionnels qui se réfèrent à nous vont constituer des groupes de la Gauche critique, à commencer par la Chambre des députés. Une histoire se termine, ce qui nous fait beaucoup de mal, parce que nous savons reconnaître la défaite. Et la faillite de Rifondazione est une défaite, il n’y a pas de doutes.
Mais une autre histoire commence et de cela nous sommes fiers.
Nous annoncerons notre choix au Conseil politique national du PRC le dimanche prochain dans une lettre ouverte et nous ferons de même au niveau local. Nous organiserons des rencontres provinciales pour expliquer à ceux qui sont inscrits au PRC ce que nous pensons et ce que nous voulons faire.
Très vite nous construirons des cercles territoriaux et thématiques de la Gauche critique en ouvrant ainsi une campagne d’inscriptions et d’autofinancement.
Une Constituante anticapitaliste
Nous ne nous transformons pas ni ne voulons autoproclamer un petit parti. Nous construisons dès aujourd’hui la Gauche critique comme un mouvement, le Mouvement pour une Gauche Anticapitaliste. Nous voulons ainsi amorcer une dynamique de mouvement et de politique globale. Une dynamique visant à faire s’exprimer une rébellion qui, en absence de moyens adéquats, devra emprunter des routes imprévues et, quelque fois, dangereuses.
Pour faire cela, nous voulons nous ouvrir, et donc proposer au plus grand nombre une phase de Constituante de la gauche anticapitaliste.
Si les conditions pourront être créées, si d’autres se mettent en mouvement ou se rendent disponibles pour s’engager au niveau du projet politique, nous pensons qu’il sera possible de construire une Coalition de la gauche de classe capable de jouer un rôle dans la société et sur la scène politique italienne.
Trois conditions doivent être remplies si nous voulons pouvoir faire naître et faire avancer cette proposition :
1. Le lien avec le mouvement. Nous ne proposons pas que le mouvement ou des secteurs du mouvement se transforment en un parti ou un sujet politique. Nous pensons qu’il existe des domaines spécifiques, des vocations différentes et des rôles particuliers. Mais le lien avec le mouvement, dont nous nous sentons être une partie active, est important. Et il est essentiel de ne pas singer les erreurs et les désastres de Rifondazione, soit en ce qui concerne la confusion des rôles, soit en ce qui concerne sa prétention à représenter le mouvement au sein des institutions. En somme, il faut un rapport égalitaire, mais dans la clarté des rôles et des responsabilités.
2. L’anticapitalisme en tant que choix fondamental, c’est-à-dire une adhésion à une vision de classe cohérente, qui exclue les alliances de gouvernement et des compromissions avec le social-libéralisme et qui a une vocation non gouvernementaliste.
3. Le rejet de la centralité des institutions dans le travail politique futur. Il faut révolutionner cet aspect de la politique. Il faut mettre fin aux prérogatives exclusives, à la corruption morale et matérielle, aux privilèges et aux obsessions institutionnelles. Pour cela il faut réduire de manière draconienne les indemnités — véritable piège qui pousse les parlementaires à le demeurer toute leur vie, garantir la rotation des charges et le rapport direct avec la société, en somme, une autre idée de la politique.
Évidemment, nous ne voulons pas exclure la participation électorale. Au contraire, nous discuterons de l’expérience déjà acquise et nous voulons nous essayer sur ce terrain en employant, évidemment, la faucille et le marteau.
Mais nous n’avons pas l’intention de faire d’une vieille façon d’agir, que nous voulons écarter, l’épreuve décisive ou fondatrice. Ceci doit être exclu et nous devons l’empêcher de revenir par la fenêtre.
L’organisation politique nécessaire
La décision de ne pas proclamer un parti mais d’ouvrir une phase constituante, d’ouvrir la porte à d’autres secteurs qui pourront se mobiliser, ne signifie nullement que nous penchons vers une conception minimaliste de l’organisation.
La Gauche critique veut se construire et s’organiser. Et toutes nos énergies doivent servir à cela, dès maintenant et rapidement. Cela passe par la construction des coordinations régionales, par des séminaires régionaux que nous devons tenir au cours dès l’année prochaine, par l’organisation d’une large campagne politique que nous soumettons à la discussion.
Il faut une campagne sur les éléments sociaux et politiques de notre programme, avant tout sur les questions sociales, sur la difficulté de vivre à la fin du mois, sur les droits sociaux qui nous sont niés, pour arriver au printemps à un nouveau rendez-vous, cette fois-ci de masse, organisé directement par la Gauche critique !
Bien sûr nous ne renonçons pas à proclamer nos idées, y compris sur le terrain de l’identité à laquelle nous tenons même si nous n’entendons pas nous proclamer ni être appelés trotskistes, pour la simple raison que nous somme beaucoup plus que cela.
Car nous nous reconnaissons dans la Commune de Paris et dans 1917 de Russie, dans les révolutions espagnole de 1936 et hongroise de 1956, dans le Mai 1968 et dans les années 1970, dans le protagonisme ouvrier, dans l’imagination au pouvoir, dans la lutte de classes et dans les conseils ouvriers, dans le féminisme radical, dans les occupations étudiantes et dans la critique de l’économie politique.
Nous voulons être le mouvement qui abolit l’état des choses, à l’instar de Che Guevara et de Rosa Luxemburg, de Lénine et de Trotski, de Malcolm X et du marxisme indigène sud-américain : un fil rouge de la recherche et une pratique politique toujours présentes au service de l’actualité de la révolution sociale et politique pour transformer la réalité.
Si nous devons donc synthétiser notre identité, nous n’avons pas de catégorie plus précise que celle de la révolution. Oui, la révolution !
Nous pensons à la révolution parce que sans elle les réformes ne sont pas possibles. A une révolution qui ouvrira la voie à l’irruption de la créativité et de la subjectivité réprimées — souvent réprimées par l’alchimie de la politique des classes et des appareils — et qui permettra de réaliser une démocratie radicale, absolue, un saut qualitatif par rapport à la farce de démocratie que nous vivons maintenant. Une révolution comme possibilité.
Et encore une révolution en tant qu’unique solution face à la barbarie et à la catastrophe qui nous menace, une révolution comme nécessité.
Dans le manifeste programmatique nous avons largement développé au sujet des scénarios de guerre et du désastre environnemental qui menacent. La catastrophe est là et nous ne savons pas à quelle heure elle va se réaliser. La révolution est donc un des instruments pour l’endiguer, pour l’arrêter. C’est une belle image qui jaillit d’un penseur marxiste encore trop peu exploré, Walter Benjamin, qui écrivait : « Peut-être les révolutions sont le recours contre ce qui freine l’émergence de l’art du genre humain » pour empêcher l’éternel retour de la catastrophe.
Tout ceci semble être en dehors du marché de la politique et souvent nous conduit à nous sentir bien seuls. Du reste, dans ce passage politique, nous choisissons le « contretemps », nous avançons dans la direction « obstinée et contraire » pour citer De André, mais en réalité, croyez-moi, si nous sommes seuls, nous ne sommes pas isolés, parce que dans les luttes, dans les soulèvements sociaux, dans le devenir concret du mouvement nous nous sentons à notre aise.
La mixture de la Gauche critique
Mais l’identité n’est pas seulement une récupération symbolique ou un programme abstrait, c’est aussi l’identité matérielle, la chair et les os de nous toutes et de nous tous.
La Gauche critique ce fut le vote de Franco [19], l’unique opposition institutionnelle de gauche, maintenue dans les condition difficiles qui a fait honneur à lui et à nous. C’est aussi la générosité des camarades élus qui offrent leur petite « carrière » politique pour le projet commun en y sautant sans parachute d’aucune sorte. C’est finalement l’instrument politique dont je voudrais citer trois protagonistes qui témoignent à la fois de notre pluralité et de notre potentiel :
1. Ces camarades ouvriers, par exemple ceux de Mirafiori, mais pas seulement, qui continuent à ne pas s’avouer vaincus et se déclarent disponibles pour recommencer ;
2. Les étudiants et tant de jeunes, qui constituent l’âme de ce projet et sans qui il n’y aurait pas de Gauche critique ;
3. Les camarades qui contribuent non seulement à construire un nouveau mouvement féministe, avec la radicalité que nous avons vue, mais qui cherchent sérieusement à affirmer cette organisation en tant qu’organisation sexuée.
La Gauche critique, c’est cette mixture. Et je pense que c’est un mélange adéquat pour faire nos preuves. Ce sera dur, nous ne devons pas nous le cacher. Au contraire, nous devons insister encore lors du moment qui nous semblera le plus difficile. Après l’éloge de l’opposition nous devrons faire celui du contretemps.
Donc, ce sera difficile. Mais ce n’est pas par hasard que c’est ce cri de bataille, cette expérience qui a reconstitué une dynamique du mouvement, ceux de No Tav ( [20] qui fêtent aujourd’hui justement l’anniversaire de la prise de Venaus. Comme eux, comme ceux de No Dal Molin [21], nous ne regardons pas vers le passé. Nous sommes parvenus jusqu’ici, nous pouvons encore aller de l’avant, cela en vaut encore la peine.