La série de grèves avec occupations, débutée le 15 avril par plusieurs centaines de travailleurs sans papiers, a ouvert une magnifique brèche dans la politique de Sarkozy et du ministre de l’Identité nationale, Brice Hortefeux. L’engagement du mouvement syndical, notamment de la CGT, est un fait majeur. Il ne s’agit plus, pour les syndicalistes, de soutenir de loin les revendications des sans papiers. C’est en se positionnant en acteur direct de la lutte pour la régularisation que le mouvement syndical a changé la donne. C’est en utilisant l’arme de la grève en tant que travailleurs, que les sans-papiers ont montré à la société qui ils sont : des salariés surexploités, que chacun peut croiser sur son lieu de travail, à l’heure du ménage des bureaux, au restaurant à midi, dans le chantier d’à côté… C’est un choc similaire à celui qu’a produit le Réseau éducation sans frontières (RESF), en montrant à l’opinion que le sans-papiers, c’est le voisin qu’on croise en allant chercher ses enfants à l’école.
Sans les grèves avec occupations, les patrons auraient continué à faire semblant de ne rien savoir de l’irrégularité de leurs employés, alors que c’est pour leur vulnérabilité qu’ils les ont employés, en toute connaissance de cause. Les grèves ont obligé le patronat à se tourner vers le gouvernement pour réclamer les régularisations. Cela ne peut pas tomber plus mal pour Sarkozy, qui s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne et à jouer les matamores, en imposant aux autres États de renoncer à toute régularisation massive.
Dans ce contexte, le gouvernement joue la montre, le pourrissement du mouvement et les manœuvres de division. Une nouvelle vague de grèves avec occupations est inévitable. L’heure est au soutien concret, matériel et politique, aux grévistes des sites occupés. Multiplions les collectifs de soutien unitaires, avec les syndicats, les partis, les associations, les jeunes, les citoyens de tous âges… C’est une épreuve de force de tout le monde du travail contre le gouvernement qu’il faut engager. La suite en dépend, contre les rafles et pour la régularisation de tous les sans-papiers.
(Editorial)
Amplifier la solidarité unitaire
À la peine dans les sondages, Sarkozy comptait se refaire une santé en intervenant sur le terrain de l’immigration. Les grèves avec occupations de plusieurs centaines de travailleurs sans papiers l’ont fait tomber sur un os.
Même Fillon, selon Le Canard enchaîné, a dû se faire une raison : « On est obligés de revoir notre politique de l’immigration. On ne peut rester sourds à la grève des salariés sans papiers. Alors même que le Medef et les fédérations patronales réclament leur régularisation. Le slogan simpliste : “Sans papiers égale dehors”, c’est terminé. »
D’abord tentés par la répression, les patrons ont pris la mesure de la détermination des grévistes. Le 22 avril, la fédération des entreprises de la propreté a demandé l’expulsion des occupants de ses locaux. Mais sa plainte a été jugée irrecevable par le tribunal, le 25 avril. Le patronat s’est divisé. Aujourd’hui, la fédération patronale de l’hôtellerie dit en substance, à Hortefeux : d’accord, pas de régularisation massive, on a seulement besoin de près de 50 000 régularisations dans ce seul secteur. Le gérant de la société Konex annonce la création d’un groupe des entreprises pour la régularisation des sans-papiers. Sarkozy a répondu qu’avec 22 % de chômeurs parmi les immigrés en situation régulière, il n’y a pas besoin d’embaucher des sans-papiers. La preuve que si ! La différence entre les grévistes et le patronat, c’est que les premiers veulent leur régularisation pour être considérés comme des travailleurs à part entière et faire valoir leurs droits, améliorer leur situation par leurs luttes, et non rester surexploités.
Le quarantième anniversaire de Mai 68 est ainsi marqué par les sans-papiers. Ce sont eux qui ont créé l’événement, en défilant par milliers dans les cortèges syndicaux du 1er Mai. Et, par-delà les sites occupés, d’autres luttes convergent. Défiant les rafles, les Ch’tis sans papiers du collectif 59 ont marché de Lille à Paris, où ils arrivent cette semaine. Il faut les accueillir dignement, le 10 mai, place de Clichy, à 15 heures. Ceux des Hauts-de-Seine occupent une église à Nanterre, certains ayant commencé une grève de la faim. Le 7 mai, à Bruxelles, un rassemblement européen a conspué cette « directive de la honte » que le Parlement examinera ce printemps, et qui prévoit des rétentions allant jusqu’à dix-huit mois et des interdictions du territoire européen de cinq ans à l’encontre des expulsés.
Le 29 avril, Jean-Pierre Dubois (LDH), Patrick Peugeot (Cimade), Bernard Thibault (CGT) et François Chérèque (CFDT), ont écrit à Fillon, estimant que les propositions d’examen au cas par cas, dans chaque préfecture, « ne sont pas satisfaisantes », et demandant une réunion sous son autorité des « ministères concernés, organisations syndicales, organisations patronales, associations de défense des droits des étrangers et représentants des étrangers sans papiers ». L’objectif de dégager « un règlement juste et adapté à la situation actuelle des travailleurs sans papiers ». Il dépend de l’amplification de la mobilisation que cette hypothèse ressemble davantage à un Matignon de 1936 qu’à un Grenelle de l’environnement de 2008. Sur France Inter, le ministre de l’Identité nationale, Brice Hortefeux, a déclaré qu’il n’y aurait que « quelques centaines de régularisations », sur le millier de demandes déposées, pour ne pas donner de « prime à l’illégalité ». 200 ou 900 ? Les préfectures se repassent la patate chaude, en jouant sur les adresses. Celle du 93 n’annonce que douze régularisations. La CGT insiste : ce sont les préfectures du lieu d’occupation, et non du lieu d’habitation qui doivent instruire la demande.
Le gouvernement compte s’en tirer en jouant le pourrissement du mouvement et les provocations. Ainsi, devant la coordination parisienne des collectifs de sans-papiers venue, le 30 avril, déposer un millier de demandes de régularisation, la préfecture de police de Paris a refusé de les prendre en prétendant qu’ils devaient être présentés à la CGT, en vertu d’un « accord » entre la centrale et le gouvernement. En fait d’« accord », Hortefeux a seulement donné instruction aux préfets d’examiner le millier de dossiers de grévistes et de piquétistes déposé par la CGT et Droits Devant !!, sans contrepartie, puisque les occupations de sites et la grève continuent. Mais la provocation a fonctionné, puisqu’une dommageable occupation de la Bourse du travail de Paris par la coordination 75 s’en est suivie, dès le 2 mai, et que le poison de la division a été distillé.
Eviter la division
Autre signe de la volonté de jouer le pourrissement, les cuisiniers du café La Jatte, à Neuilly (Hauts-de-Seine), les premiers à avoir arraché des autorisations provisoires de séjour, n’obtiennent que des renouvellements de courte durée. Client habituel dudit café, Sarkozy a cru intelligent de manier l’amalgame dans des propos sentant fort le bourgeois : « On ne devient pas français parce qu’on travaille dans la cuisine d’un restaurant. » C’est au moins l’aveu que, sous son pouvoir, il devient au moins aussi difficile d’avoir un titre de séjour que d’acquérir la nationalité française.
En dépit des provocations, la lutte continue et ne peut que s’amplifier. Comme le déclare l’association Droits devant !!, investie depuis le début dans ce mouvement avec la CGT : « D’ores et déjà, des centaines de sans-papiers, dans des dizaines d’entreprises d’Île-de-France mais aussi de province, se déclarent prêts à rejoindre le mouvement et à entamer à leur tour des grèves. » L’heure est à l’amplification du mouvement et à la multiplication des collectifs de soutien unitaires. Les travailleurs en grève ont aussi des loyers à payer. Les collectes d’aide financière et les pétitions sont un moyen de populariser cette lutte. Ainsi, au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), le collectif de solidarité avec les travailleurs sans papiers, qui occupent la Seni (société de nettoyage), a édité un tract expliquant : « Tous ceux qui ont des papiers ont tout intérêt à soutenir cette grève. Tant qu’il existera des salariés que l’on peut payer moins cher et dont les conditions de vie sont inacceptables, la situation de tous les travailleurs sera tirée vers le bas. » Un effort de pédagogie nécessaire, que les comités de soutien peuvent déployer dans toute la France.
Pour les régularisations et le relogement
Dans la nuit du samedi 26 au dimanche 27 avril, le feu s’est déclaré dans un appartement de l’immeuble du 59-61, rue Charles-Michels, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Cet immeuble, déclaré insalubre et dépourvu
d’électricité – EDF n’ayant pas voulu alimenter normalement l’immeuble – appartient à la ville. Occupé depuis six ans par près de 300 personnes, dont un bon tiers de sans-papiers, il a connu trois incendies. Cette fois, on compte un mort, Bemba Kone, et plusieurs blessés graves. Les habitants revendiquent d’abord la régularisation des sans-papiers et le relogement de tous dans des logements sociaux définitifs. À quoi la préfecture répond par une promesse d’analyse « bienveillante, au cas par cas », et trois centres d’hébergement provisoires. Mais le même préfet avait promis autant de bienveillance, en septembre dernier, pour les sans-papiers expulsés du 33, rue Albert-Walter, un autre immeuble insalubre et squatté de Saint-Denis.
Sur les 22 dossiers déposés pour régularisation, cette « bienveillance préfectorale » s’était soldée par seize obligations de quitter le territoire français (OQTF), et les sans-papiers célibataires campent toujours devant la mairie. Les résidents exigent des garanties sur la régularisation, avant d’aborder la question du relogement. Ils ont refusé les hébergements provisoires et campent depuis dans la cour de l’immeuble. Un comité de soutien s’est constitué sur la ville, et la municipalité a déclaré apporter son soutien total à la mobilisation des habitants de l’immeuble.
Rouge (Au jour le jour)