Pourquoi cet éclatement de la coalition ?
En dépit de sa cinglante défaite électorale, en février, le président Pervez Musharraf n’a jamais accepté de réinstaller dans leurs fonctions la soixantaine de juges qu’il avait limogés en novembre 2007. Or, sur cette question, les deux partis qui ont remporté le scrutin, le Parti du peuple pakistanais (PPP) et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawaz Sharif, ont des opinions radicalement divergentes. Ambiguës pour le PPP, dont le nouveau chef, Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto, n’a jamais voulu une véritable confrontation avec Musharraf. Tranchée, en revanche, pour Nawaz Sharif, qui avait fait du retour immédiat des juges dans leurs fonctions la condition de sa participation à l’actuelle coalition. Il est d’autant plus combatif sur cette question qu’il avait été lui-même renversé en 1999 par Musharraf, quand ce dernier a pris le pouvoir. En mars, Zardari et Sharif ont signé un accord qui prévoyait la réinstallation des juges fin avril, puis avant le 12 mai. Las de voir le PPP traîner des pieds sur cette question, l’ex-Premier ministre a décidé de quitter la coalition tout en promettant de continuer - « pour l’instant » - à soutenir le gouvernement au Parlement.
Pourquoi le retour des juges est-il un enjeu fondamental ?
Musharraf avait limogé les juges pendant l’état d’urgence craignant que la Cour suprême invalide sa réélection pour cinq ans en octobre 2007. Or, si les 13 juges retrouvent leurs sièges, ils pourraient reprendre leur procédure d’invalidation. Iftikhar Chaudry, le chef de la Cour, engagé dans une lutte acharnée contre le Président, apparaît toujours aussi déterminé.
Pourquoi le PPP n’est-il pas aussi ferme sur la question des juges ?
Prêt à tout pour accéder au pouvoir, Zardari n’a jamais exclu de s’entendre avec Musharraf. Du temps de Benazir, un accord plus ou moins secret, conclu à l’automne 2007 sous l’égide de Washington, avait même été trouvé entre la défunte leader du PPP et le militaire pour un marchandage du pouvoir. De plus, l’actuel chef du PPP est hostile au retour du juge Chaudry, qui s’est opposé au décret de Musharraf amnistiant Benazir et Zardari de nombreuses accusations de corruption et mettant fin à leur exil.
Cet éclatement de la coalition annonce-t-il un retour à l’instabilité ?
D’ores et déjà, la Bourse de Karachi a perdu cinq points la semaine dernière, après une période d’embellie. La défaite de Musharraf, devenu très impopulaire, avait en effet suscité beaucoup d’espoir au Pakistan. Selon les observateurs, le scrutin avait été « le plus démocratique » depuis 1970. Il s’était accompagné de l’écrasement des partis islamistes, certains liés à la guérilla des talibans. Le PPP ne disposant pas de la majorité absolue, il lui faut gouverner avec l’appui de petites formations ralliées à la coalition. Son pouvoir sera fragilisé car une frange importante de l’opinion et de la société civile réclame le départ de Pervez Musharraf. Ce qui semble se dessiner, c’est pourtant une cohabitation avec l’actuel chef de l’Etat - et des partis qui lui sont fidèles -, à condition qu’il renonce à certaines prérogatives.
Quel rôle joue l’armée ?
Différence de taille avec Musharraf, son successeur, le général Ashfaq Kiyani s’emploie à éloigner l’armée des institutions civiles et à la guérir du traumatisme provoqué par ses humiliantes défaites, l’année dernière, face à l’insurrection islamiste. La récente trêve conclue avec les talibans lui permet actuellement de mieux se former à la lutte contre l’insurrection.