Pour la dixième fois, et peut-être plus, nous affirmons que la patrie est au bord du gouffre pour ne pas dire qu’elle a déjà un pied dans le vide… Une fois de plus, il nous est facile de pleurer, sur les décombres, les morts, les émigrés et les déplacés forcés et de faire des poèmes sur la vie en commun, l’art de prendre la poudre d’escampette et de mendier l’appui étranger en attendant les solutions, tantôt sur le pont du USS Cole et tantôt de la part d’un Ligue arabe qui ne sait même plus les règles de la politique au Liban…
Cependant deux points sont restés en suspens devant les responsables libanais et les Libanais, en général : à qui incombe la responsabilité de ce qui s’est passé et comment sortir de la crise ? Mais les responsables sont occupés par harangues confessionnelles et les fanfaronnades.
Le peuple se meurt, vive le leader !
Que les parents des victimes dansent ! Et, avec eux, les blessés, les handicapés et les propriétaires des maisons détruites : les leaders sont toujours vivants et capables d’insuffler la vie dans les instincts pour une guerre prochaine, si le régime confessionnel est toujours intact et intouchable. N’est-ce pas le même état d’esprit qui règne aussi sur le régime officiel arabe qui avait transformé la défaite de 1967 en victoire parce que les régimes sont restés, même si la terre fut occupée ?
Revenons à notre sujet. Deux décisions contre la Résistance furent prises. Des protestations s’élevèrent. Le gouvernement refusa d’entendre raison quant à leur application. La guerre éclata. Les regards virèrent du côté du grand bleu, attendant l’arrivée de USS Cole. Les oreilles étaient attentives à ce qui se disait à New York, au Conseil de sécurité, et aussi dans les couloirs de la Ligue arabe…
Les yeux et les oreilles n’ont rien vu ni entendu. Cole était occupé à faire du tourisme et Georges Bush était pris par deux problèmes : l’Irak et la voie menant à Téhéran. De plus, la route de la Palestine, de Gaza en particulier, ne passe plus, aujourd’hui, par le Liban. Il pourra, toutefois, si la situation devenait critique dans ce pays, pleurer quelques larmes, même si cela ne plairait pas à l’Arabie saoudite et à son ministre des Affaires étrangères qui a poussé le gouvernement libanais à prendre les deux décisions précitées…
Ces deux décisions furent jetées en face du Hezbollah et de l’opposition dans le but de les mettre devant un dilemme : ou bien la mort de la Résistance ou bien son enlisement dans la boue des divisions intérieures confessionnelles. Il était à prévoir que la Résistance ne pouvait que choisir le second cas.
Et la guerre éclata. Et tous les belligérants furent perdants.
Le premier perdant est le gouvernement et son groupe majoritaire. N’a-t-il pas, à la suite des centaines de tués et de blessés et après avoir perdu la bataille sur le terrain, fait marche arrière à propos des deux décisions. Et là, il importe peu de citer tous les arguments du monde, d’appeler au secours « le sanguinaire de Maarab [entendre : Samir Geagea] pour dire que la Résistance est tombé dans le piège de la politique intérieure, car la retraite demeure entière. D’ailleurs, qui plus que Washington et Tel Aviv a intérêt à en finir avec les armes de la Résistance et à liquider ses principes ?
Et, là, se pose la question concernant le gouvernement : suffit-il de se rétracter et de dire que « nous avions mal prévu ce qui allait se passer » pour échapper à la responsabilité ?... Dans les pays qui se respectent, l’imprévoyance est synonyme de démission. Pourrons-nous laisser passer les crimes commis et les pertes endurées ?
Quant au second perdant, que personne n’a accusé directement, c’est le régime saoudien dont le ministre des Affaires étrangères, Saoud Al Fayçal, a poussé le holà contre la Résistance libanaise, ce que son gouvernement n’a jamais fait lors de la perte de la Palestine ou de la guerre israélienne en 1967, ni quand Israël avait violé le territoire libanais en 1978, 1982 et 2006. En effet, au lieu de conseiller au Libanais de sortir de la crise par un retour au dialogue national, il envenime la situation en posant des conditions nouvelles, prenant le Liban en otage dans sa guerre contre certaines forces régionales [Il s’agit de la Syrie et de l’Iran]. La conséquence directe d’une telle position, qui a précédé la mission de la commission de la Ligue arabe est de changer les priorités en fonction de ce que veulent ses amis de la majorité. Il faut dire que la déclaration de Saoud Al Fayçal contenait un seul point positif, celui de l’éloge de la démocratie à la libanaise que nous aurions voulu voir dans certains pays arabes, en Arabie Saoudite notamment.
Le troisième perdant est la Résistance. Oui, la Résistance qui, malgré le retrait du gouvernement, n’a pu enregistrer qu’une victoire à la Pyrrhus, puisque l’équipe gouvernementale l’a poussée à commettre une faute grave, celle de s’opposer à l’opinion publique et aux médias qu’elle a investie, montrant son incompatibilité à traiter avec « l’autre ». De plus, cette Résistance ainsi que toute l’opposition traditionnelle ont démontré, une fois de plus, qu’elles n’ont, à l’exception de la lutte contre les agressions israéliennes, aucun plan pour l’avenir… ajoutons, même, que les lignes de leur programme concernant les réformes intérieures prêtent à équivoque ; parce que les pratiques vont, quelquefois, dans le sens des instincts confessionnels qui ne manqueraient pas, un jour, de s’opposer à la Résistance… C’est pourquoi, il devient très pressant, aujourd’hui, d’œuvrer dans le sens de tirer cette Résistance du marécage dans lequel l’ont poussée les décisions du gouvernement. Tout le monde doit aider dans ce sens, et non seulement la force militaire. Et, là, nous disons, une fois de plus, que les principes de la Résistance et l’expérience qu’elle a acquise nous rassurent sur sa capacité à s’élever au-dessus de la logique de la vendetta ; ce qui veut dire qu’elle peut poursuivre la lutte sur les plans politiques et asseoir son plan sur des relations saines avec les citoyens, c’est-à-dire revoir le plan de « rébellion » de manière à ce qu’il soit dirigé, non contre la population, mais contre le seul gouvernement…
Enfin, le dernier perdant est le projet de reconstruction de la patrie que « la formule confessionnelle » est incapable de remettre sur pied, tant à cause de la logique des quotas confessionnels que par suite de la tutelle étrangère. Cette formule est la première responsable de la crise qui se perpétue et qui va dans le sens de la mort de la patrie.
Et, afin de ne pas faire partie de ceux qui pleurent et se contentent de recenser les pertes, nous allons essayer de proposer une solution afin de sauver notre pays de la destruction qui l’attend… Il nous faut, d’abord, dire que nous sommes contre « les coupeurs de têtes » et nous refusons de dire « ce qui est fait est fait », parce que le mensonge dans les relations politiques est ce qui peut conduire le pays vers une nouvelle mésaventure dont pâtiraient les Libanais et qui aurait la plus mauvaise influence sur le futur.
La crise est le fait de deux facteurs : « la formule confessionnelle » qui a la priorité dans l’esprit des responsables et leur volonté de lier le problème libanais à des tutelles extérieures…
Voilà pourquoi nous proposons une solution qui se baserait sur la conviction de la nécessité de reformer le pays dans le sens qui minimiserait l’influence extérieure et dépasserait le confessionnalisme. Ce qui mettrait le Liban sur la voie de la création d’un Etat moderne, démocratique, laïque et préserverait son arabité.
La solution a, donc, pour point de départ le refus des deux solutions : couper les têtes ou accepter les erreurs sans jugement. C’est pourquoi, il est, d’abord, nécessaire que le gouvernement, qui a pris les deux décisions, démissionne. Cette décision faciliterait le dialogue qui devra s’asseoir sur deux points communs : l’élection de Michel Souleiman à la présidence de la République et la formation d’un gouvernement transitoire dont la première tâche est la promulgation d’une loi électorale qui dépasserait la logique des quotas confessionnels vers la proportionnelle en dehors du confessionnalisme et en considérant tout le Liban comme une seule circonscription. Sur ces bases, il y aura possibilité d’avoir une véritable majorité et une opposition démocratique qui lui ferait face.
La patrie est plus importante que toutes les formules. Donnons la priorité au citoyen et à ses intérêts nationaux et sociaux, non aux leaders des confessions.