Si des combats ont persisté au Nord-Liban et dans la montagne druze jusqu’au 15 mai, le gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora, s’appuyant sur sa coalition du 14 Mars, n’en aura pas moins plié. Il a abrogé, le 14 mai, les deux décisions considérées par l’opposition et le Hezbollah comme une déclaration de guerre, à savoir le limogeage du responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, proche du Hezbollah, et le démantèlement du réseau interne d communication de la résistance libanaise (voir article ci-dessous).
Il s’agit d’un double échec pour la Maison Blanche et son allié principal dans la région, le royaume saoudien. Ce dernier est, en effet, l’un des principaux soutiens du gouvernement et de sa principale composante, le Courant du futur de Saad Hariri, parti à dominante sunnite largement défait, sur le terrain, par le Hezbollah chiite.
Le premier échec est d’avoir largement surestimé les capacités politiques et militaires de la coalition du 14 Mars. L’opposition n’a pas seulement montré qu’elle pouvait conquérir Beyrouth en 24 heures, elle a également prouvé qu’elle pouvait s’appuyer sur de fortes minorités dans les confessions tenues par la coalition du 14 Mars et le gouvernement, à savoir les druzes et les sunnites. L’hégémonie de Walid Joumblatt, pilier de la coalition du 14 Mars, dans la communauté druze, est aujourd’hui écornée par les partisans druzes de l’opposition, notamment le Parti démocratique libanais de Talal Arslan et le pro-syrien Wiam Wahhab. Dans la communauté sunnite, l’existence de courants nationalistes arabes et islamiques favorables à l’opposition entame de fait l’hégémonie du Courant du futur, même si ce dernier y reste majoritaire. La communauté chrétienne, quand à elle, est verticalement coupée en deux, le Courant patriotique libre (CPL) du général Aoun étant l’une des principales composantes de l’opposition.
Le deuxième échec américano-saoudien est sans doute d’avoir compté sur l’armée libanaise pour s’opposer au Hezbollah, car cette dernière n’a pas soutenu le gouvernement Siniora, refusant de décréter l’état d’urgence.
La stratégie d’endiguement du Hezbollah est donc, pour le moment, un échec. Après la défaite israélienne de l’été 2006, les tentatives d’application de la résolution onusienne 1559 demandant le désarmement du mouvement chiite sont un fiasco total. Si, en tournée au Moyen-Orient, le président Bush a appelé à « s’opposer aux terroristes du Hezbollah, financés par l’Iran », la marge de manœuvre américaine est cependant très étroite, le reste de la communauté internationale n’étant pas favorable, vu le rapport de force, à une intervention militaire au Liban. Les États arabes proches de la Maison Blanche (Jordanie, Égypte) ont, pour le moment, renoncé à l’idée d’une force interarabe au Liban. Et l’Arabie saoudite est maintenant écartée des discussions entre la coalition du 14 Mars et l’opposition, l’Émirat du Quatar assurant les discussions interlibanaises à Doha. Même avec un rapport de force favorable, il n’est cependant pas certain que l’opposition gagne sur sa revendication principale de démission du cabinet Siniora. De nouveaux affrontements militaires, à caractère politico-confessionnels, sont encore possibles. En ce sens, le Parti communiste libanais (PCL) a raison de vouloir « œuvrer dans le sens de tirer cette résistance du marécage dans lequel l’ont poussée les décisions du gouvernement ». Un marécage confessionnel, dont l’opposition et la résistance sortent pour le moment vainqueurs, mais qui pourrait très bien, dans les prochaines semaines, conduire à de nouveaux embourbements.
* Paru dans Rouge n° 2253, 22/05/2008.
Déjouer la stratégie occidentale
Le 7 mai, une grève générale de la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL, proche de l’opposition) pour la revalorisation du salaire minimum s’est transformée en mobilisation de l’opposition, qui a lancé un mouvement de désobéissance civile. Depuis, des affrontements ont fait des dizaines de morts.
Dans la nuit du 5 au 6 mai, le gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora signé deux décrets marquant un tournant majeur dans la situation politique intern au Liban : la révocation du colonel Choukair, responsable de la sécurité d l’aéroport de Beyrouth, réputé proche du Hezbollah ; le démantèlement du résea de communication interne du Hezbollah et de la résistance libanaise, avec un appe au soutien de la communauté internationale, et plus particulièrement des États-Unis. La grève du 7 mai, au départ sociale, allait ainsi se transformer e confrontation majeure entre les forces pro-gouvernementales du 14 Mars, e l’opposition anti-américaine, emmenée par le Hezbollah chiite, le Couran patriotique libre (chrétien) et leurs alliés nationalistes arabes séculiers. Le 8 mai une déclaration du secrétaire général du Hezbollah indiquait que la décisio gouvernementale équivalait à une déclaration de guerre, la résistance à Israël e aux États-Unis étant directement attaquée
S’ensuivit alors une confrontation militaire dans les rues de Beyrouth, tournant à l’avantage de l’opposition en moins de 24 heures : dans la nuit du 8 au 9 mai, les miliciens du Hezbollah et de l’opposition enlevèrent toutes les positions du Courant du futur, le parti à majorité musulmane sunnite du député Saad Hariri, lié tant aux Américains qu’aux Saoudiens. Ils assiégèrent les principaux centres gouvernementaux, tenant par ailleurs l’ensemble des moyens de communication et de transport, dont l’aéroport international de Beyrouth. La prise de Beyrouth par le Hezbollah et l’opposition surprit par sa rapidité, que ni le 14 Mars, ni leurs parrains saoudiens et américains n’avaient prévue ni même supposée. L’attitude de l’armée libanaise, dont nombre d’officiers restent liés à la résistance libanaise, et dont d’autres restent proches du leader chrétien de l’opposition, le général Michel Aoun, fut également déterminante : non seulement, elle refusa de décréter l’état d’urgence, comme le lui avait demandé le Premier ministre, mais elle annula même les deux décrets ministériels, samedi 10 mai. La stratégie américaine, qui pensait en partie pouvoir s’appuyer sur l’armée, est un échec, et les forces du 14 Mars sont isolées.
Des combats persistent à l’heure actuelle à Tripoli, au Nord-Liban et dans les régions à majorité druze, à l’est de Beyrouth. Le risque est de voir le Liban se déchirer dans une guerre confessionnelle, notamment entre sunnites et chiites, sur le modèle irakien. La majorité de la communauté sunnite est structurée par le Courant du futur, pro-occidental. Cependant, l’opposition compte des soutiens chez les sunnites, de certains groupes islamistes aux nationalistes arabes séculiers, comme à Saïda, au Sud-Liban, tenue par l’Organisation populaire nassérienne. Elle compte en partie sur eux pour juguler les dynamiques d’éclatement confessionnel. Pour l’instant, il est fort probable que les États-Unis et leurs alliés occidentaux et arabes, tétanisés par la victoire de l’opposition, demandent une intervention militaire au Liban, rendue maintenant complexe par la supériorité militaire de l’opposition et par le positionnement de l’armée. Il s’agira, fermement, de s’y opposer.
* Paru dans Rouge n° 2252, 15/05/2008.