Ils étaient des milliers, hier, dans les rues de Katmandou, à défiler aux cris de « Longue vie à la république ! » « A bas la monarchie ! » ou encore « Videz le palais royal ! » Trop heureux d’entrer enfin en république, les habitants de la capitale népalaise n’ont même pas attendu l’annonce officielle de l’abolition de la monarchie en place depuis deux cent trente-neuf ans pour fêter ce tournant historique. La première session tant attendue de l’Assemblée constituante élue le mois dernier n’a débuté que dans la soirée, avec huit heures de retard, car les partis politiques ne parvenaient pas à trouver un consensus sur le fonctionnement des institutions à mettre en place.
Euphorie. La foule, elle, avait envahi les rues de la capitale, Katmandou, dès la fin de matinée, dansant, chantant et hurlant de joie. En face du centre de conférence qui devait accueillir la réunion, un petit groupe de volontaires peignait à tour de bras les mots « République du Népal » sur les visages des manifestants euphoriques. « A partir d’aujourd’hui, c’est nous, le peuple, qui allons diriger le pays », expliquait un étudiant, la figure peinturlurée de rouge. « Nous allons créer un nouveau Népal, démocratique et républicain », s’enthousiasme le professeur de sciences politiques et militant des droits de l’homme, Kapil Shrestha, ajoutant : « Cela fait trop longtemps que nous subissons une monarchie médiévale et archaïque. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec l’histoire ! » Un peu plus tard, un gigantesque défilé de cadres maoïstes en liesse déferlait sur la ville, noyant les rues dans un océan de drapeaux rouges.
Deux ans après le grand mouvement populaire qui avait contraint le roi Gyanendra à renoncer aux pleins pouvoirs, les Népalais viennent d’enterrer définitivement la dernière monarchie hindoue au monde. La faute en est au souverain qui, à force d’outrepasser ses pouvoirs, a réussi à faire l’unanimité contre lui. Son « coup d’Etat », en 2005, avait en effet poussé les principaux partis politiques à signer un accord avec les rebelles maoïstes réclamant la tenue d’élections pour une Assemblée constituante.
Six mois plus tard, une impressionnante mobilisation populaire obligeait le roi à rendre le pouvoir aux partis. Ceux-ci ont ensuite signé un accord de paix avec la guérilla, marquant ainsi la fin d’une guerre civile qui a fait plus de 13 000 morts, avant de faire entrer les maos au gouvernement intérimaire.
Depuis lors, les anciens rebelles ont réussi à imposer leur agenda républicain à l’intégralité de la classe politique. Le gouvernement intérimaire a peu à peu retiré au roi tous ses pouvoirs, en plus d’effacer son portrait des billets de banques et l’adjectif « royal » dans le nom de la compagnie aérienne nationale. Puis, à la surprise générale, les anciens rebelles se sont affirmés comme la première force politique lors des élections, le mois dernier, en remportant plus d’un tiers des sièges du Parlement. Mais ils avaient déjà auparavant la garantie que la première session de la Constituante déclarerait la république, ce qui constitue leur principale revendication depuis le début de l’insurrection, en 1996.
La dernière ligne droite s’avère cependant compliquée. La future constitution ne sera pas prête avant plusieurs mois, probablement même plusieurs années, et la classe politique souhaite mettre en place une constitution intérimaire qui permette l’abolition immédiate de la monarchie. Mais les avis divergent sur de nombreuses questions cruciales.
Sur leur faim. Comme les maoïstes disposent de plus d’un tiers des sièges, les autres partis souhaitent notamment que l’Assemblée puisse renverser le gouvernement avec une majorité simple, et non plus une majorité des deux tiers. Ils craignent que les anciens rebelles ne se saisissent de tous les leviers de pouvoir et en abusent. Le partage des rôles entre Premier ministre et Président, aussi, fait l’objet d’un vaste débat. Hier soir, la république n’avait ainsi toujours pas été officiellement proclamée, laissant les Népalais sur leur faim. Malgré le délai, une chose est certaine : le roi Gyanendra devra quitter son gigantesque palais, lequel « sera transformé en musée », d’après un membre du gouvernement sortant.
Autre certitude : les maos dirigeront d’ici peu les affaires du pays. Leur chef historique, Pushpa Kamal Dahal alias Prachanda (littéralement, « le Féroce ») devrait ainsi devenir Premier ministre - ou président, tout dépendra de là ou résidera le pouvoir réel. Un scénario inimaginable il y a encore deux ans. Même si les partis ont un peu gâché la fête, hier, le Népal vivait des heures historiques.
PIERRE PRAKASH, envoyé spécial à Katmandou.
* Paru dans le quotidien Libération du jeudi 29 mai 2008.
Le Népal enterre la monarchie
Le monarque, autrefois vénéré comme une réincarnation de Vishnu, dispose d’une quinzaine de jours pour quitter son palais de Katmandou.
L’Assemblée constituante népalaise, réunie en séance extraordinaire, a officiellement aboli la monarchie instaurée il y a 239 ans, conformément à l’accord de paix conclu en 2006 par les ex-rebelles maoïstes.
Les députés se sont prononcés par 560 voix contre 4 en faveur de cette mesure, que des milliers de Népalais avaient commencé à célébrer quelques heures plus tôt à travers tout le pays.
Beaucoup espèrent que ce changement de régime sera le dernier chapitre d’un conflit qui a fait plus de 13.000 morts en une dizaine d’années.
« Célébrons l’avènement de la République avec éclat », crachait un haut-parleur relié à un taxi.
Plusieurs milliers de maoïstes, désormais majoritaires à l’Assemblée, ont défilé dans la capitale sous des drapeaux frappés du marteau et de la faucille en scandant « A bas la monarchie ».
Ces scènes de joie masquent toutefois des craintes quant à la sécurité, ces derniers jours ayant été marqués par des attentats « symboliques » commis par les partisans du roi Gyanendra.
LE ROI SOMMÉ DE QUITTER SON PALAIS
Quelques heures seulement avant le vote des députés, deux bombes de faible puissance ont explosé à Katmandou, la première dans un lieu où se rassemblaient des responsables politiques, sans faire de victime ; la seconde, de fabrication artisanale, dans un parc où la police a fait état d’un blessé.
Le monarque, autrefois vénéré comme une réincarnation de Vishnu, dieu protecteur de tous les Hindous, dispose d’une quinzaine de jours pour quitter son palais de Katmandou, ont fait savoir les autorités.
Il n’a rien dévoilé de ses intentions, hormis qu’il compte rester dans son pays. Son visage a déjà disparu des billets de banque. Ses portraits ont été retirés de tous les lieux publics et le ministère de la Paix et de la Reconstruction a fait savoir que son ancien palais serait transformé « en musée national après son départ ».
Beaucoup de Népalais ont perdu confiance en la monarchie en 2001 lorsque le prince Dipendra a tué le roi Birendra et huit autres personnalités royales avant de se donner la mort.
En 2005, la méfiance du peuple a fini de s’enraciner avec le limogeage du gouvernement par Gyanendra et la proclamation de l’état d’urgence accordant des pouvoirs spéciaux au roi, après des semaines de manifestations contre le régime.
* LIBERATION.FR : jeudi 29 mai 2008