Combien de temps travaillez-vous par semaine ? Quelles sont vos conditions de travail et votre rémunération ?
Guy Loir – Je suis patron-pêcheur. J’ai un petit palangrier, en association avec mon frère. Je travaille 70 heures par semaine et je touche en moyenne 1 400 euros net par mois. Une semaine par mois, nous employons un matelot, qui doit toucher aux alentours de 175 euros par semaine…
Qu’est-ce qui motive le mouvement des marins-pêcheurs ?
G. Loir – Depuis plusieurs mois, le prix de vente du poisson à la criée [lieu de vente du poisson sur le port, directement à l’arrivée des bateaux, NDLR] stagne à un niveau historiquement bas, voisin du prix minimum, qui ne devrait être atteint qu’en cas de crise. Quand il fait mauvais temps, les prix montent un petit peu, ce qui nous pousse à prendre la mer et à courir des risques supplémentaires. On force le temps, mais mon bateau ne fait que 10,45 mètres…
Pour autant, le prix du poisson en grande surface ne diminue pas…
G. Loir – Les mareyeurs [grossistes qui achètent le poisson à la criée avant de le revendre aux marchands de poissons, NDLR] nous achètent le poisson seulement deux à trois centimes au-dessus du prix minimum, qui devient, de fait, un prix de référence. Entre le 16 et le 19 mai, le congre s’est ainsi vendu entre 0,19 et 1,57 euro le kilo. Je suis allé dans une grande surface, juste pour voir : le congre se vendait à 12,90 euros le kilo ! On n’a jamais vendu aussi bas, et les gens nous disent que le poisson est toujours aussi cher : à qui va l’argent ?
Quelle est donc votre revendication principale ?
G. Loir – La flambée des prix du pétrole se répercute sur celui du gazole. Les coûts d’exploitation augmentent, les prix de vente sont dérisoires : nous ne pouvons plus nous en sortir. Pour mon embarcation, le gazole représente entre 15 et 20 % du chiffre d’affaires mensuel ; pour un chalutier, c’est 40 %. Nous exigeons donc que le litre de gazole nous soit vendu 40 centimes d’euro, contre 72 actuellement.
Que pensez-vous des propositions du ministre de la Pêche, Michel Barnier, approuvées par le président du Comité national des pêches, Pierre-Georges Dachicourt ?
G. Loir – Juste après l’accord avec Barnier, mercredi 21 mai au soir, un communiqué indiquait qu’il fallait reprendre la mer. Mais on veut des gens qui nous représentent, pas des bureaucrates. Comme certains bateaux étaient prêts à partir, nous avons fait une réunion. La grève a été reconduite à 95 % (sur 80 présents). Les propositions de Barnier ont été jugées incompréhensibles : il faut nous parler français. Barnier dit débloquer 45 millions d’euros, le 15 juin. Mais ça fait combien par bateau ? On ne veut pas des promesses, on veut du concret. En novembre, le gouvernement nous a promis de rembourser six mois de cotisations sociales, pour n’en rembourser finalement que trois.
Comment vous organisez-vous et quelles actions menez-vous ?
G. Loir – Depuis le lundi 19 mai, on bloque le port de plaisance de Cherbourg. C’est la première fois qu’on arrive à réunir petits et gros bateaux. La dernière fois, le gouvernement nous avait divisés, en donnant une aide d’urgence uniquement aux gros bateaux. Mais là, sans syndicat, on gère entre nous. On fait tout pour empêcher les ventes de poisson, selon le principe « on ne pêche pas, on ne vend pas ». On va dans les supermarchés, on prend les poissons et on les distribue aux passants. On donne des photocopies de nos feuilles de criée pour qu’ils voient qu’ils sont également lésés. Aux poissonniers indépendants, on dit de fermer les portes, sinon on emmène tout. Il n’y a pas de casse. On bloque aussi le débarquement des ferries, sauf dans certains cas (camions à bestiaux, voitures particulières, etc.).