Quarante ans après que le Parti socialiste unifié (PSU) – mon parti – eut proclamé « la nécessité et l’actualité du socialisme » dans l’Occident développé, qu’en est-il ? Non seulement le communisme « réel » s’est dissous mais c’est toute la tradition communiste et socialiste qui s’effondre avec lui. Le capitalisme est désormais le seul mode de production sur la planète. Il n’est nulle part menacé par un mouvement politique de référence socialiste ou communiste. En même temps, jamais la prolétarisation n’a été aussi étendue. Mais pour défendre les intérêts et les aspirations de ce prolétariat globalement précarisé, jamais sa représentation politique n’a été aussi faible. Par conséquent, nous ne pouvons nous exonérer de repenser notre histoire, celle de notre projet socialiste et notre instrument pour le porter, le parti.
Né pendant et contre la guerre d’Algérie, le PSU a regroupé des dissidents du Parti communiste, de la SFIO et du trotskysme. Et ces dissidents se sont, en même temps, confrontés à des militants ouvriers, paysans et étudiants, issus du monde catholique. Le débat sur la stratégie socialiste à élaborer et à mettre en œuvre a été difficile. Mais il a permis une production politique qui fut, pour partie, anticipatrice de Mai 68.
Cette élaboration a porté sur la nouvelle composition et la nouvelle subjectivité d’une classe ouvrière en pleine mutation, du fait de l’évolution du néocapitalisme (travaux de Serge Mallet, Pierre Belleville, Pierre Naville, sans oublier André Gorz). Elle a porté aussi sur le monde universitaire, ce qui a permis de mettre à jour l’émergence d’un « sujet politique » étudiant capable de jouer un rôle anticapitaliste important. Le PSU avait aussi entamé une réflexion sur les formes organisationnelles du mouvement ouvrier (dépassement des pratiques du centralisme démocratique et du syndicat comme courroie de transmission).
Toute cette réflexion a fondé une stratégie, celle dite de « front socialiste », qui se proposait de rassembler, à égalité, partis, syndicats, associations se réclamant du socialisme pour mener, ensemble, la lutte sur des objectifs décidés en commun. Mise en œuvre avec succès pendant la guerre d’Algérie, cette stratégie trouvera une traduction nouvelle en Mai 68, sous la forme d’une alliance souple entre l’Unef, la CFDT, la FEN – surtout le Snesup et le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) – et le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Ce n’est donc pas le PSU en tant que parti – qui pourtant disposait d’un vaste réseau de militants dans tous les syndicats, dont 4 000 à la CFDT – qui fut le moteur de Mai 68, mais cette construction politique originale impliquant des organisations de masse. Cela contribua à la radicalisation du mouvement.
Après l’échec, une autre phase de l’histoire du PSU commençait. Elle s’est caractérisée par la volonté de se définir comme le « parti de Mai 68 ». Dix-sept thèses adoptées au congrès de mars 1969 constituèrent les bases politiques et théoriques du parti révolutionnaire qu’entendait être le « nouveau » PSU. Ce texte est d’inspiration marxiste et même léniniste. Il approfondit la problématique de la stratégie révolutionnaire (avec une interrogation forte sur le rôle de la violence), mais il ne sort pas du cadre conceptuel classique faisant de la contradiction capital-travail la seule clé d’analyse de la société. De même, la réflexion sur l’instrument politique reste centrée sur le concept de parti révolutionnaire comme seule réponse au fossé, qui s’était manifesté avec éclat en Mai, entre les aspirations nouvelles et les institutions politiques en place.
C’est sur ces bases néodogmatiques que le PSU a été une force significative à prédominance gauchiste, très présente sur le terrain des luttes sociales anciennes et nouvelles. Mais il ne parviendra pas à briser son isolement politique dans lequel vont l’enfermer le PCF et le PS, qui réalisent entre eux l’unité sur un programme commun, de fait anti-Mai 68. Dans la foulée de 1968, surgissent à la fois le mouvement féministe et le mouvement écologiste. Le PSU essaie de les prendre en compte dans ses analyses et dans son action, tout en les resituant à l’intérieur de la contradiction capital-travail. Il ne mesure pas alors la radicalité critique qu’introduisaient, face au marxisme classique, et parfois contre lui, ces paradigmes politiques et culturels nouveaux.
En résumé, je pense que l’échec final du PSU tient à deux raisons fondamentales. La première a été son incapacité à dépasser sa lecture marxiste du monde. Si celle-ci reste fondamentale pour déchiffrer la réalité économique et sociale et pour tenter de la changer, les autres grilles de lecture proposées par la culture féministe et la culture écologiste n’ont pu être suffisamment réélaborées par le PSU, pour construire un projet de société crédible et universalisable de libération de l’humanité. La deuxième raison de l’échec du PSU, liée à la première, aura été son incapacité à penser et à mettre en pratique une structuration politique durable comme expression commune de ces contradictions. Le front socialiste avait montré la voie d’une forme de médiation permettant de concilier diversité des forces et actions communes, susceptible de mettre fin à la séparation entre politique et mouvement, entre représentants et représentés, un peu comme l’a esquissé à un moment le forum social.
Désormais, l’hégémonie politique – c’est-à-dire la représentation et la direction politiques – n’appartiendra plus ni à un seul parti ni à un seul « sujet social », mais elle sera l’expression de plusieurs formes et acteurs politiques qui se cristalliseront dans ce que Michel Foucault appellerait un « dispositif » à plusieurs niveaux de la vie des individus dans leur relation au monde. En aspirant à être le parti de Mai 68, le PSU n’a pas compris que le mouvement ne voulait pas d’un parti pour le représenter. Pour comprendre cela, le PSU aurait dû repenser le monde, ce que ses présupposés culturels, tous issus du mouvement ouvrier du XXe siècle, ne lui ont pas permis.