La vulgate de la « gestion à la japonaise » veut que l’employé soit dévoué à son entreprise. Comme dans tous les clichés, il y a une part de vérité dans cette représentation du « samouraï de l’entreprise » : elle reflète une conception du travail et de la relation paternaliste entre employeur et employé qui a longtemps prévalu au Japon. Mais ce « dévouement » du salarié est souvent moins volontaire qu’insidieusement contraint (la démonstration d’un « bon esprit » est la clef de la promotion). Et il donne lieu à bien des abus, qui se traduisent aujourd’hui au Japon par un nombre croissant de procès en compensation d’excès de travail, ou encore par le doublement, dans les cinq dernières années, du nombre des suicides liés à ce phénomène (81 cas en 2007), a annoncé récemment le ministère de la santé, du bien-être et du travail.
Qu’il y ait eu abus dans la sollicitation du « dévouement » du salarié, c’est ce que vient de reconnaître implicitement le géant de l’automobile Toyota, en annonçant qu’à partir de juin il va rémunérer le temps passé par ses salariés dans les groupes de « contrôle de qualité » (QC circles), où sont discutés, après les heures de travail, les moyens d’améliorer la productivité. Jusqu’à présent, quel que soit le temps passé à ces discussions, seulement deux heures étaient payées en heures supplémentaires par Toyota.
A la suite d’un jugement de novembre 2007 par le tribunal de Nagoya en faveur de la famille d’un salarié mort par excès de travail, le constructeur a décidé de rétribuer l’ensemble des heures passées par ses employés à cogiter sur les améliorations de la production. Toyota emploie 40 000 ouvriers dans ses usines au Japon, et compte quelque 5 000 « QC circles ». Responsable de l’un de ces groupes, l’employé décédé, âgé de 30 ans, passait ses soirées et ses jours de congés à les préparer... Il a « explosé en vol ».
RÉBELLION RAMPANTE
Le « QC circle », pratique introduite par le constructeur automobile à la fin des années 1960 et devenue un fleuron du toyotisme, a fait des émules : il y en a 30 000 à travers le Japon. Mais beaucoup d’entreprises payent ces activités en heures supplémentaires.
Toyota a dû tenir compte d’une rébellion rampante de salariés, qui s’estiment « exploités » par des méthodes de gestion quelque peu sournoises. Le cas de McDonald’s Japon, qui vient d’accorder des heures supplémentaires aux directeurs de ses 2 000 établissements à travers l’Archipel, est tout aussi révélateur.
Comme d’autres groupes du même secteur, de la grande distribution (Seven-Eleven) ou du secteur de l’habillement (Uniqlo), McDonald’s avait introduit une innovation managériale en ne jouant pas sur le traditionnel esprit maison mais sur les lacunes du droit du travail et les tensions du marché de l’emploi. L’employeur promouvait un salarié au statut de cadre, ce qui lui permettait de ne pas lui payer d’heures supplémentaires. Ceux que la presse a baptisés « les cadres en titre seulement » - « responsabilisés », ils travaillaient davantage sans gagner plus -, se sont rebellés et, en janvier, McDonald’s a été condamné à payer 7,5 millions de yens (45 000 euros) à un de ses « managers » abusés.
Le souci d’éviter des procès qu’elles ont toute chance de perdre et la mauvaise publicité poussent les entreprises à dédommager au plus vite leurs salariés lésés : Aoyama Shoji (habillement) a versé aux siens 1,2 milliard de yens (7,4 millions d’euros) et Midori Denki (secteur électrique) 3,7 milliards de yens, soit deux années d’heures supplémentaires...
Les nouvelles souplesses du marché du travail ont favorisé le rebond de l’économie nippone, mais souvent aux dépens des employés, et notamment des précaires (30 % du salariat). Mais les employés en contrat à durée indéterminée ne sont pas épargnés. Aidés par de nouveaux petits syndicats et des avocats bénévoles, ils n’hésitent plus à demander réparation.