A la veille du vingtième anniversaire du schisme à l’intérieur de l’Eglise catholique, le Vatican tend à nouveau la main aux traditionalistes (500 prêtres, 600 000 fidèles revendiqués, une trentaine de pays d’implantation). Révélé par Andrea Tornielli, « vaticaniste » du quotidien italien Il Giornale, un projet d’accord global, en date du 4 juin, préparé par la commission Ecclesia Dei chargée, au Vatican, de réintégrer les traditionalistes, a été adressé, avec l’aval du pape, à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, bastion de cette contestation intégriste.
Mgr Bernard Fellay, évêque suisse excommunié en 1988, supérieur de cette Fraternité Saint-Pie X, doit s’engager sur cinq points : offrir à Benoît XVI « une réponse proportionnée à sa générosité » ; éviter « toute intervention publique qui ne respecte pas sa personne » ; renoncer à « toute prétention à un magistère supérieur à celui du pape » ; agir « dans un climat de charité ecclésiale » ; enfin, répondre - avant le 30 juin - à cette offre de dialogue en vue d’aboutir à la « pleine communion ».
Depuis son élection, Benoît XVI a multiplié les gestes en direction de cette minorité conservatrice qu’il entend rallier. Le plus important a été le motu proprio (décret personnel), en date du 7 juillet 2007, libéralisant l’usage de la messe en latin. Si les épiscopats concernés (France, Allemagne, Etats-Unis...) n’avaient alors pas caché leurs réserves, les traditionalistes avaient crié victoire et répété leur radicale hostilité aux conclusions réformatrices du dernier concile Vatican II (1962-1965), appliquées depuis par les papes Paul VI et Jean Paul II.
L’actuel projet d’accord s’inspire d’une volonté de compromis sans précédent. Dans les milieux progressistes, il est même déjà considéré comme une concession majeure aux traditionalistes. Car s’il leur est demandé de respecter l’autorité du pape, on leur épargne de se prononcer sur la reconnaissance des acquis du dernier concile : liturgie rénovée, liberté de religion, dialogue avec les autres confessions chrétiennes et non-chrétiennes (islam, judaïsme), autant de « chiffons rouges » pour les traditionalistes.
« TRÈS FLOU »
Porte-parole du Vatican, Federico Lombardi a tenté d’éteindre la polémique naissante. Dans une mise au point au quotidien français La Croix du 26 juin, il soutient que, si elle n’apparaît pas explicitement dans le projet d’accord, la reconnaissance du concile Vatican II est un préalable qui n’est « absolument pas remis en cause ». Pour leur part, les intégristes de la Fraternité Saint-Pie X jugent « très flou » ce projet d’accord, pourtant très avantageux pour eux. Ils ne bougeront pas sur les réformes conciliaires. Ils escomptent même que la « générosité » du pape, sur laquelle il leur est demandé de s’aligner, annonce d’autres gestes, comme la levée des excommunications de 1988 et l’attribution d’un statut sur mesure de « prélature » indépendante, qui leur permettrait à la fois d’être reconnus par le Vatican et d’échapper localement à l’autorité des évêques. La « réconciliation » que le pape poursuit avec obstination risque de se faire à un prix toujours plus élevé.
* Article paru dans le Monde, édition du 27.06.08. LE MONDE | 26.06.08 | 13h44 • Mis à jour le 26.06.08 | 13h44.
Les intégristes rejettent l’ultimatum du Vatican
Mgr Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X à Ecône (Suisse), chef des catholiques traditionalistes, a rejeté, vendredi 27 juin, l’essentiel du protocole adressé par le Vatican en vue de sortir du schisme. Sa réponse n’a pas été publiée, mais les réactions enregistrées dans le milieu intégriste, après la publication du texte de Benoît XVI assorti d’un « ultimatum » au 30 juin, indiquent que, malgré sa « main tendue », le pape doit essuyer un nouvel affront.
Le chef des traditionalistes salue la volonté de conciliation exprimée par le pape, dans son motu proprio de juillet 2007 donnant un nouvel élan à l’ancienne messe en latin, et par le cardinal Castrillon-Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei, chargée de négocier avec les intégristes. Mais cela ne changera rien, assure-t-on à Ecône.
Le protocole adressé par Rome à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X exige le respect de la personne du pape et la renonciation à toute polémique. Mais pour les traditionalistes, les propositions faites sont « trop imprécises » et la méthode inadaptée à l’ampleur du désaccord doctrinal.
Lors d’une cérémonie d’ordination, vendredi 27 juin à Ecône, Mgr Alfonso de Galaretta, évêque argentin excommunié, a souhaité que les questions de fond (doctrine, liturgie, appréciation du concile Vatican II) soient abordées, avant les questions pratiques comme le futur statut juridique des traditionalistes réintégrés.
Pour Mgr Richard Williamson, autre figure schismatique, « l’obéissance au pape est un faux problème ». « Nous reconnaissons son autorité, explique-t-il. Le problème, c’est la curie moderniste, fille du concile Vatican II ». Ainsi dénonce-t-il la liturgie moderne et d’autres réformes de Vatican II (1962-1965) comme « l’oecuménisme, la collégialité, le modernisme et surtout le dialogue interreligieux (avec les juifs et les musulmans) ». Il pose comme condition l’élimination « complète du missel de Paul VI », celui de la messe dite moderne. « L’Eglise est en guerre, conclut l’évêque intégriste, et je souligne le mot »guerre« , entre le traditionalisme sain et le modernisme post-conciliaire ».
* Article paru dans l’édition du 29.06.08.