Nestlé a espionné ATTAC, en particulier le groupe de rédaction du livre « ATTAC contre l’empire Nestlé ». Une espionne, agente de l’entreprise Securitas, s’y était infiltrée, dès l’été 2003, et a poursuivi son travail de taupe durant près d’une année. Elle a ainsi pu suivre toutes les recherches entreprises dans le cadre de l’élaboration de cet ouvrage, enregistrer tous les renseignements recueillis, puis les transmettre à la plus grande entreprise alimentaire multinationale de la planète. Le pot de fer contre le pot de terre ! Ce géant réalise un chiffre d’affaire record 98 555 millions de francs en 2006, soit une hausse de 8,1% par rapport à 2005, et ses profits déclarés s’élèvent à 9200 milions de francs, soit une augmentation de 13,8% par rapport à 2005. Des profits faramineux, s’appuyant notamment sur la délocalisation de productions et une exploitation brutale de la main d’œuvre locale. Nestlé, c’est 481 usines dans 87 pays, employant quelque 265 000 salarié-e-s. La taupe de Nestlé aura pu ainsi, par exemple, fournir des renseignements sur la très longue lutte (634 jours) menée, à l’époque des faits, par les salarié-e-s de l’usine Nestlé de St-Menet près de Marseille contre la fermeture de leur usine. L’espionnage dont s’est rendu coupable Nestlé s’inscrit dans sa tradition de politique répressive - violation systématique des droits humains et des droits syndicaux, dans ses usines en Colombie, aux Philippines, au Sénégal, en Chine ou ailleurs - politique qui s’accompagne d’une volonté d’étouffer toute dénonciation face aux pratiques de la multinationale de Vevey.
Nestlé, en 1974, avait intenté un procès en diffamation contre la Déclaration de Berne, pour tenter de le faire taire. Ce mouvement avait dénoncé, sous le titre « Nestlé tue les bébés » les conséquences négatives possible de l’alimentation au biberon des nourrissons. Le scandale du lait en poudre est toujours d’actualité, Nestlé contrôlant quelque 40% du marché à l’échelle mondiale et continuant sa publicité agressive. L’organisation mondiale de la santé(OMS) estime qu’un million et demi de nouveaux-nés meurent chaque année, faute d’avoir été correctement nourri au sein. Mais que peuvent les dénonciations de l’OMS quand son budget total est inférieur au seul budget publicitaire de Nestlé ?
Suite de la publication du livre « ATTAC contre l’empire Nestlé », un Forum s’était tenu le 12 juin 2004 à Vevey, durant lequel, « 350 participant-e-s ont pu s’y informer sur les pratiques de Nestlé dans les domaines de l’eau, de l’agriculture, de l’industrie alimentaire et dans ses rapports avec les salarié-e-s. Ils et elles ont été convaincu-e-s que ces pratiques […] ont de graves répercussions sur des millions de personnes dans le monde ». Une au moins de ces participantes a été stipendiée par Nestlé, via Securitas, pour se laisser convaincre …
La multinationale Nestlé, vu sa place dans le secteur agroalimentaire, constitue un des fleurons de l’impérialisme suisse. Derrière le vocable de mondialisation, c’est bien à une nouvelle phase d’expansion du capitalisme à laquelle que nous sommes en train d’assister, avec son cortège de destructions et de morts. On évalue à 1200 millions le nombre de personnes qui souffriront de la faim chronique d’ici 2025. Le « libre commerce » dépouille les petits paysans et la faim est le produit d’un juteux commerce. Dans les pays pauvres, cette dépossession passe notamment par une spécialisation forcée dans la production de produits agricole pour le marché mondial (café, par exemple) ou par des cultures destinées à la production d’agrocarburants. L’eau potable, denrée de plus en plus rare, est en passe d’être privatisée au détriment des habitant-e-s de la planète.
Les Nations-Unies prévoient qu’en 2025 les deux tiers de la planète vivront dans des régions où il y aura pénurie d’eau. S‘assurer le monopole de cette denrée rare constitue pour les multinationales non seulement un marché juteux, mais aussi fort prometteur. A l‘horizon de 2012, Nestlé annonce que le marché des eaux embouteillées, dont elle est le N° 1, aura tout simplement doublé. Une très bonne affaire lorsque l’on sait qu’aujourd’hui déjà ce marché est plus important que celui du pétrole. Voilà le « modèle » qui enrichit des entreprises comme Nestlé, Syngenta ou Monsanto.
Se battre pour une répartition égalitaire des revenus à l’échelle planétaire et dans toutes les sociétés, agir pour un accès égal aux ressources naturelles, ce sont ces luttes que nous pouvons et devons construire pour permettre à toutes et tous de satisfaire ses besoins fondamentaux, tels le droit à une alimentation, le droit à un logement de qualité, le droit à la santé ou à l’éducation. Ce sont ces luttes dont Nestlé veut empêcher l’émergence, par tous les moyens. La publication de l’ouvrage d’ATTAC constitue, aux yeux de cet empire, un danger, certes très modeste, dans la mesure où il donne des « armes de la critique » dans ce combat. Nestlé a été surpris les doigts dans la confiture, en utilisant des méthodes de barbouze. Notre détermination à poursuivre la dénonciation de la politique de cette multinationale n’en sort que renforçée.
Jean-Michel Dolivo (Edito)
Nestlégate : Fiche et fouine – Attac Vaud ciblée par l’espionnage de... l’oeil de Nestlé
L’émission « Temps présent » de la Télévision suisse romande diffusée le jeudi 12 juin 2008 a révélé que la multinationale Nestlé a mandaté une société de sécurité privée, Securitas pour espionner des membres du groupe de travail d’attac Vaud à Lausanne qui rédigeaient un livre sur Nestlé (Attac contre l’Empire Nestlé, 2004). L’espionnage a duré au moins une année, soit de juillet 2003 à l’été 2004. Ce Temps Présent a connu un large écho médiatique et les auteur-e-s victimes de cet espionnage ont porté plainte pénale et civile contre X. Deux des auteures du livre, victimes de cette infiltration, reviennent sur les faits et les enjeux de cette affaire scandaleuse.
Les faits : Infiltration et récolte secrète d’informations sensibles et personnelles
En utilisant une fausse identité une agente de Securitas s’est infiltrée dans notre groupe de travail d’attac Vaud en 2003 qui travaillait sur les multinationales puis dans un groupe limité aux sept auteur-e-s de l’ouvrage sur Nestlé dès l’automne de cette même année. Elle a eu accès -en direct- en particulier par le biais d’une liste email restreinte aux auteur-e-s à toutes les recherches, les sources, les contacts en Suisse et à l’étranger liés à l’élaboration de cette recherche. La surveillance continuait durant la campagne qui a suivi la sortie du livre « Attac contre l’empire Nestlé » au printemps 2004 et la préparation du Forum « Résister à l’Empire Nestlé » qui était organisé à Vevey avec d’autres ONG suisses et étrangères le 12 juin 2004.
L’agente de Securitas s’est également rendue au domicile privé de plusieurs auteure-s du livre où avaient lieu les réunions clé concernant la conduite de cette recherche. Le livre traitait notamment de l’attitude de Nestlé face aux OGM, à la privatisation de l’eau mais touchait aussi des sujets plus sensibles comme des luttes de syndicalistes et de militant-e-s engagé.e.s dans des conflits de travail contre Nestlé dans des pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés, à l’exemple de la Colombie. L’agente de Securitas a fait régulièrement des rapports des réunions des auteur-e-s mais aussi de réunions de préparation du forum « Résister à l’Empire Nestlé ». Ces rapports étaient passés à Securitas qui en informait son client : Nestlé. Par ailleurs, selon Temps Présent, l’agente a également établi de véritables fiches de renseignements sur les auteur-e-s et sur certains de leurs contacts en Suisse et à l’étranger. L’agente s’est même rendue au moins une fois, en mars 2008, avec des responsables de Securitas au siège de Nestlé à Vevey où elle a rencontré notamment le chef de la sécurité de la multinationale. Securitas a tenu au courant, du moins en partie, la police cantonale vaudoise de cette infiltration et des informations dont elle disposait. La police cantonale vaudoise n’a pas jugé utile d’informer les personnes victimes de cette surveillance scandaleuse.
Nous avons porté plainte pénale le 20 juin 2008 contre inconnu, respectivement contre toute personne qui aurait agi contrairement au droit employée par les entreprises de Nestlé et Securitas, pour violation de secrets privés, écoute et enregistrement non autorisé et violation du devoir de discrétion. La plainte civile suivra dans les jours qui viennent.
Le G8 à toutes les sauces : petite mise au point
Les représentants de Securitas et de la Police cantonale vaudoise interviewés dans l’émission de Temps présent puis plus tard dans la presse évoquent les circonstances particulières du sommet du G8 à Evian pour justifier ces activités. Le Département de Justice et Police vaudois a annoncé qu’une enquête « indépendante » serait menée au sein de la police pour faire la lumière sur cette affaire. Nous ne pouvons que déplorer qu’une enquête administrative présentant beaucoup plus de garanties n’ait pas été ouverte. Il faut souhaiter que cette enquête « indépendante » soit accompagnée de mesures concrètes et sérieuses.
La direction de Nestlé dans la déclaration donnée à la TSR fait également référence au besoin de protéger ses bâtiments et ses employés durant le sommet du G8. Le sommet du G8 a eu lieu du 1er au 3 juin 2003. Or, la rédaction du livre sur Nestlé et les réunions du groupe de travail restreint dans lequel s’est infiltrée l’agente de Securitas n’ont débuté qu’en automne 2003, donc bien après le sommet du G8, et l’agente a surveillé le groupe jusqu’en été 2004. Ce n’est donc manifestement pas pour protéger ses bâtiments que Nestlé a commandité cette surveillance, mais bien pour être renseigné sur la recherche menée et sur les personnes qui la conduisaient. Evoquer le G8 dans l’affaire qui concerne le groupe d’auteur-e-s est ainsi absurde, vu que ce dernier qui a fait l’objet de l’infiltration n’était même pas encore constitué.
Cependant, lors du Temps Présent, Securitas admet que plusieurs groupes ont été infiltrés pour le compte de multinationales durant le G8 et que la police en était informée. Pour ces entités cette infiltration ne pose aucun problème étant donné « les circonstances particulières du G8 ». Nestlé admet avoir fait recours à Securitas lors du G8. Les responsables de la police, de Securitas, et de multinationales comme Nestlé semblent avoir la mémoire courte quand ils agitent le G8 comme un bouclier imparable à chacune de leurs déclarations. Lors du G8 à Evian en juin 2003 nous avions toutes et tous encore en tête les actes de violence du sommet du G8 qui a eu lieu à Gênes en juillet 2001. Or, à Gênes, des abus scandaleux par la police se sont produits et se sont soldés par un mort et 600 blessé-e-s du côté des manifestant-e-s. En outre, lors de ce même G8, des centaines de manifestant-e-s ont été arbitrairement arrêté-e-s, frappé-e-s, torturé-e-s, humilié-e-s, insulté-e-s par des policiers italiens avec la complicité du gouvernement de Berlusconi.
Amnesty International déclarait après avoir interrogé des témoins de ces événements venant de 15 pays différents que « les droits de l’homme avaient été bafoués à Gênes à un point jamais atteint dans l’histoire récente de l’Europe. » [1] C’était donc surtout logique pour les militant-e-s réuni-e-s à Evian, Genève ou Lausanne d’avoir peur en ce juin 2003.
Enfin, lors de ce sommet, comme en d’autres occasions, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre la violence d’un système qui profite à une élite de plus en plus restreinte au détriment d’une grande majorité de la population planétaire. Ils manifestaient dans ce cadre contre la violence des multinationales, notamment : la violence consistant à sous-payer et à licencier des salarié-e-s alors que ces mêmes multinationales font des milliards de bénéfices, la privatisation de l’eau alors que des millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Ces violences-là, les responsables politiques, la police, Nestlé, Securitas et d’autres ont une fâcheuse tendance à les oublier quand ils évoquent les circonstances « particulières » du G8 pour justifier des pratiques inadmissibles.
Des enjeux graves et inquiétants
Actares, actionnariat pour une économie durable, qu’on ne peut pas soupçonner de gauchisme, déclare avoir pris connaissance « avec consternation et indignation » de cet espionnage pratiqué contre Attac. [2] L’association questionne très justement : « Ce cas est-il unique, ou la pointe d’un iceberg ? » Au-delà de cette pratique immonde dont nous avons été victimes, cette infiltration pose de graves questions qui nous touchent toutes et tous. Combien d’organisations ont été ou sont surveillées de la même manière ? A cet égard il faut éviter le piège de prétendre que le seul problème dans cette affaire est que cela ait été Securitas et non la police elle-même qui s’est chargée de l’espionnage.
Bien sûr ce nouveau rôle donné à Securitas - une société privée qui échappe à un vrai contrôle par la société - est très inquiétant. Mais un espionnage par la police des militant-e-s et organisations critiques n’est évidemment pas plus souhaitable. Rappelons la surveillance menée à large échelle par la police fédérale durant les années de guerre froide révélée par le « scandale des fiches » en 1989. Plus de 10% de la population suisse étaient alors contrôlé-e-s, espionné-e-s et fiché-e-s par la police fédérale !
Il faut donc dénoncer toute tentative de contrôler, d’espionner, de surveiller des personnes considérées comme trop critiques par les autorités ou les multinationales. Il doit être possible de s’engager pour une société plus juste, de lutter contre les inégalités criantes dans le monde, de mener des recherches indépendantes sur les activités des entreprises, sans être espionné et infiltré.
Si Nestlé se permet de telles pratiques en Suisse, qu’en est-il alors de ses méthodes dans des pays où les droits humains ne sont pas respectés ? Depuis le 11 septembre 2001, beaucoup d’associations pour la défense des droits de l’homme, des organisations politiques de gauche, différentes ONG et mouvements ont constaté qu’au nom de la « juste guerre » contre le terrorisme les droits humains et les libertés étaient de plus en plus bafoués aux quatre coins de la planète.
Sur tous les continents, les gouvernements ont augmenté de manière drastique les dispositifs policiers et ont développé la surveillance des populations avec notamment des moyens technologiques impressionnants. Nous pouvons supposer que l’espionnage dont a été victime un petit groupe d’auteur-e-s dans le but de contrôler la recherche qu’elles et ils menaient ne soit effectivement que la pointe de l’iceberg d’une pratique généralisée, qui n’est pas nouvelle, mais qui prend de l’envergure et qui maintenant met en jeu des multinationales privées agissant pour le compte d’autres multinationales privées, en connaissance de cause de l’Etat.
Le cas récent d’Olivier Besancenot, qui a fait l’objet d’un espionnage par une société de sécurité privée, vraisemblablement pour le compte d’une multinationale, et un cas similaire concernant Greenpeace aux Etats-Unis [3] sont là pour confirmer cette tendance.
Isabelle Paccaud et Janick Schaufelbuehl
1 Cité par Thierry Brugvin, membre du Conseil scientifique d’attac France, « Les violences policières du G8 à Gênes », article daté du 12 .3.07,
www.france.attac.org/spip.php?article6939.
2 Actares, communiqué de presse, du 18 juin2008, Berne in :
www.actares.ch/F/Espio_Securitas_ATTAC.html
3 Voir :
www.motherjones.com/news/feature/2008/04/firm-spied-on-environmentalgroups.
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Déclaration de Susan George
J’ai eu l’honneur d’écrire la préface du livre « Attac Contre l’Empire Nestlé » et c’est à ce titre que je souhaite faire la déclaration suivante, ne pouvant être physiquement présente à la conférence de presse du 13 juin. Depuis que j’ai commencé à suivre les activités de Nestlé dans les années 1970, j’ai pu constater que cette entreprise ne peut souffrir la moindre critique et qu’elle est prête a tout pour faire triompher son point de vue et, quand elle le peut, pour étouffer les analyses qui lui sont défavorables. Je ne connais pas la loi suisse applicable en l’occurrence, mais je sais que la Suisse est un pays démocratique et cette fois, Nestlé va trop loin. Si cet espionnage que Nestlé a mené contre les membres d’attac Vaud - accompagne de véritables violations de leurs domiciles et de leur vie privée - est estimé « légal », alors plus personne n’est à l’abri. Si Nestlé peut impunément infiltrer des groupes de citoyen-ne-s et surveiller leurs activités entièrement licites et nonviolentes comme s’il était un Etat infiltrant une cellule terroriste, alors les chercheurs en sciences sociales n’auront plus le droit de travailler, ni les journalistes de faire des enquêtes comme l’équipe de Temps Présent l’a très courageusement fait. Plus personne ne pourra critiquer une entreprise transnationale ni défendre les droits de l’homme, du travail, de l’environnement. Si cet espionnage est « légal » ; le citoyen n’a plus de liberté d’action et un nouveau genre de fascisme corporatiste doux et mou deviendra lui aussi « légal », mis en œuvre non plus par un gouvernement ou un mouvement politique mais par des entreprises employant des polices privées et qui, du fait de leur chiffre d’affaires, se croient tout permis.
En tant que préfacière du livre d’attac Vaud « Attac Contre l’Empire Nestlé », j’imagine que j’ai été espionnée au même titre que mes collègues. En conséquence je tiens à être associée a toute plainte en justice ou autre action que attac-Vaud et attac-Suisse jugeront bon d’entreprendre a l’encontre de Nestlé et je tiens aussi à exprimer mon entière solidarité avec eux, ainsi qu’avec l’équipe de Temps Présent en ce moment pénible. Je suis d’ailleurs certaine que le peuple Suisse jugera le comportement abject de Nestlé comme il convient.
Susan George
Ecrivaine, Présidente d’honneur d’attac France, 12 juin 2008