Paris, le 2 juillet 2008
Un décret publié le 1er juillet 2008 au Journal officiel institue un
nouveau fichier dénommé EDVIGE, organisant le fichage généralisé et
systématique de « toutes personnes âgée de 13 ans et plus » « ayant
sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique
ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux
significatif ». En clair, tous les citoyens ayant un jour souhaité
s’investir pour leur cité.
Il est également prévu de ficher tout individu, groupe ou organisation
dont l’activité est susceptible de troubler l’ordre public et de permettre
aux services de police d’effectuer des enquêtes administratives pour
l’accès à certains emplois ou à certaines missions, sur la base des
éléments figurant dans le fichier EDVIGE.
L’enregistrement des données à caractère personnel n’a aucune limite, ni
dans le temps ni dans son contenu, puisque pourront être répertoriées
toutes les informations relatives aux fréquentations, au comportement, aux
déplacements, à l’appartenance ethnique, à la vie sexuelle, aux opinions
politiques, philosophiques et religieuses, au patrimoine, au véhicule
etc...
Si le décret du 14 octobre 1991 permettait déjà aux Renseignements
Généraux de récolter et détenir des informations sur les personnes
majeures impliquées dans le débat public, EDVIGE étend considérablement le
champ des données collectables, comme les motifs justifiant le fichage.
En effet, il s‚agit aujourd‚hui d‚informer le gouvernement sur des
individus engagés et non plus de lui permettre d‚apprécier une situation
politique économique ou sociale.
Malgré les recommandations du Conseil de l’Europe et les nombreuses
réserves de la CNIL concernant ce fichier, le gouvernement fait le choix
d’adopter un mode de recensement des populations particulièrement
attentatoire aux libertés et au respect de la vie privée.
De même que la rétention de sûreté a vocation à prévenir d‚un crime
hypothétique, EDVIGE pourra avoir vocation à se prémunir contre toute
forme d’opposition.
En effet, comment ne pas rapprocher EDVIGE (on s’interrogera au passage
sur le choix d’un prénom féminin) d’un contexte autoritaire plus global
qui remet en cause l’indépendance des médias, comme celle de la Justice,
et qui mène une lutte permanente contre les acteurs du mouvement social ?
Cette dimension nouvelle du fichage politique introduit, au prétexte
toujours bien commode de l’ordre public, un moyen puissant de dissuasion
de toute forme de contestation ou d‚opposition citoyenne.
Le Syndicat de la magistrature appelle à la mobilisation contre la mise en
place de ce fichier d‚inspiration anti-démocratique et examinera toute
forme d’action juridique pour empêcher sa mise en œuvre.
Syndicat de la magistrature
12-14 rue Charles Fourier
75013 PARIS
tel 01 48 05 47 88
fax 01 47 00 16 05
mail : syndicat.magistrature wanadoo.fr
site : www.syndicat-magistrature.org
Décret n° 2008-632 du 27 juin 2008 portant création d’un traitement
automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE »
NOR : IOCC0815681D
Le Premier ministre,
Sur le rapport de la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des
collectivités territoriales,
Vu le code de procédure pénale, notamment son article 777-3 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique,
aux fichiers et aux libertés, notamment son article 26 (I à III) ;
Vu le décret n° 85-1057 du 2 octobre 1985 modifié relatif à
l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’intérieur et
de la décentralisation, notamment son article 12 ;
Vu le décret n° 2007-914 du 15 mai 2007 pris pour l’application du I de
l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés
en date du 16 juin 2008 ;
Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur) entendu,
Décrète :
Art. 1
Le ministre de l’intérieur est autorisé à mettre en ˛uvre un traitement
automatisé et des fichiers de données à caractère personnel intitulés
EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l’information
générale) ayant pour finalités, en vue d’informer le Gouvernement et les
représentants de l’Etat dans les départements et collectivités :
1. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux personnes
physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat
politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel,
économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces
informations soient nécessaires au Gouvernement ou à ses représentants
pour l’exercice de leurs responsabilités ;
2. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux
individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de
leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter
atteinte à l’ordre public ;
3. De permettre aux services de police d’exécuter les enquêtes
administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements,
pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales
intéressées est compatible avec l’exercice des fonctions ou des missions
envisagées.
Art. 2
Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978
susvisée, et dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à la
poursuite des finalités mentionnées à l’article 1er du présent décret, les
catégories de données à caractère personnel enregistrées dans le
traitement mentionné à l’article 1er et concernant des personnes
physiques âgées de treize ans et plus sont les suivantes :
― informations ayant trait à l’état civil et à la profession ;
― adresses physiques, numéros de téléphone et adresses
électroniques ;
― signes physiques particuliers et objectifs, photographies et
comportement ;
― titres d’identité ;
― immatriculation des véhicules ;
― informations fiscales et patrimoniales ;
― déplacements et antécédents judiciaires ;
― motif de l’enregistrement des données ;
― données relatives à l’environnement de la personne, notamment à
celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non
fortuites avec elle.
Les données collectées au titre du 1 de l’article 1er du présent décret
ne peuvent porter ni sur le comportement ni sur le déplacement des
personnes.
Le traitement peut enregistrer des données à caractère personnel de la
nature de celles mentionnées à l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978
susvisée. Celles de ces données autres que celles relatives aux opinions
politiques, philosophiques ou religieuses, ou à l’appartenance syndicale
ne peuvent être enregistrées au titre de la finalité du 1 de l’article 1er
que de manière exceptionnelle. Il est interdit de sélectionner une
catégorie particulière de personnes à partir de ces seules informations.
Le traitement ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à
partir de la photographie.
Les données concernant les mineurs de seize ans ne peuvent être
enregistrées que dans la mesure où ceux-ci, en raison de leur activité
individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre
public.
Les données collectées pour les seuls besoins d’une enquête
administrative peuvent être conservées pour une durée maximale de cinq ans
à compter de leur enregistrement ou de la cessation des fonctions ou des
missions au titre desquelles l’enquête a été menée.
Art. 3
Dans la limite du besoin d’en connaître, sont autorisés à accéder aux
informations mentionnées à l’article 2 :
― les fonctionnaires relevant de la sous-direction de
l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique,
individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur
central de la sécurité publique ;
― les fonctionnaires affectés dans les services d’information
générale des directions départementales de la sécurité publique ou, à
Paris, de la préfecture de police, individuellement désignés et
spécialement habilités par le directeur départemental ou, à Paris, par le
préfet de police.
Peut également être destinataire des données mentionnées à l’article 2,
dans la limite du besoin d’en connaître, tout autre agent d’un service de
la police nationale ou de la gendarmerie nationale, sur demande expresse,
sous le timbre de l’autorité hiérarchique, qui précise
l’identité du consultant, l’objet et les motifs de la consultation.
Art. 4
Le traitement et les fichiers ne font l’objet d’aucune interconnexion,
aucun rapprochement ni aucune forme de mise en relation avec d’autres
traitements ou fichiers.
Art. 5
Conformément aux dispositions prévues à l’article 41 de la loi du 6
janvier 1978 susvisée, le droit d’accès aux données s’exerce auprès de la
Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Le droit d’information prévu au I de l’article 32 et le droit
d’opposition prévu à l’article 38 de la même loi ne s’appliquent pas au
présent traitement.
Art. 6
Sans préjudice de l’application de l’article 44 de la loi du 6 janvier
1978 susvisée, le directeur général de la police nationale rend compte
chaque année à la Commission nationale de l’informatique et des libertés
de ses activités de vérification, de mise à jour et d’effacement des
informations enregistrées dans le traitement.
Art. 7
Le présent décret est applicable sur tout le territoire de la République.
Art. 8
Le présent décret entre en vigueur le jour de l’entrée en vigueur du
décret n° 2008-631 du 27 juin 2008 portant modification du décret n°
91-1051 du 14 octobre 1991 relatif aux fichiers gérés par les services des
renseignements généraux et du décret n° 2007-914 du 15 mai 2007 pris pour
l’application du I de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
Art. 9
La ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités
territoriales est chargée de l’exécution du présent décret, qui sera
publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 27 juin 2008.
Par le Premier ministre :
François Fillon
La ministre de l’intérieur,
de l’outre-mer et des collectivités territoriales,
Michèle Alliot-Marie