Un nouveau fichier policier baptisé Edvige (Exploitation documentation et valorisation de l’information générale) a vu le jour mardi dernier. Selon le décret paru au Journal officiel, il contiendra des « données à caractère personnel » sur des « personnes physiques âgées de treize ans et plus ». Il pourra collecter des informations sur des « individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », mais aussi concernant des individus « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ». Outre l’ensemble des informations concernant l’individu, le fichier pourra contenir des données relatives à son entourage.
Les réserves de la CNIL
Deux éléments, notamment, suscitent l’indignation : la possibilité de ficher des mineurs n’ayant commis aucune infraction et le caractère indéfini du terme « susceptibles ». Dans son avis rendu le 16 juin, la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL) ne s’oppose pas au projet. Mais émet d’importantes réserves. Elle précise que « le traitement de telles données appelle l’adoption de garanties renforcées » et doit donc être « encadré (…) de façon à lui conserver un caractère exceptionnel et une durée de conservation spécifique ». Cette dernière a été fixée à cinq ans, alors qu’elle était illimitée dans le projet initial. Pour le reste, le ministère de l’Intérieur a préféré fermer les yeux.
La Place Beauvau voit dans Edvige un nouvel outil pour lutter contre « l’augmentation de la délinquance des mineurs ». « Il s’agit de ficher les gens qui se sont signalés par leur comportement comme étant des délinquants potentiels », explique le porte-parole du ministère, Gérard Gachet. Comment reconnaître un mineur « susceptible » de troubler l’odre public ? « C’est un mineur engagé indirectement dans des faits de délinquance et les rendant possibles par les vrais auteurs des infractions », théorise la direction générale de la police nationale, qui précise : « Ils sont fragiles et utilisés. »
Le syndicat de police Alliance approuve la création de ce nouveau fichier. « La délinquance a changé, et on doit donc changer nos ressources, explique Jean-Yves Bugelli, le secrétaire général adjoint qui reconnait, néanmoins, la « frontière floue de ce classement ». Et d’ajouter : « Il faudra simplement faire attention à ce qu’il n’y ait pas de glissement. Là-dessus la CNIL a raison. »
De nombreuses organisations, telles que la LDH (lire entretien), et des syndicats, ont exprimé leur parfaite hostilité à ce décret qu’ils jugent attentatoire aux libertés fondamentales. Pour Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, le fichier fait de « dangereux amalgames ». « À commencer par l’association des militants politiques et de troubles publics. L’autre danger est le cadre particulièrement flou : à terme cela peut concerner toute la population de plus de treize ans. » Elle regrette que les recommandations de la CNIL ait été contournées. « Il y a une grave confusion entre procédure judiciaire et surveillance a priori et généralisée. D’autant que la délinquance des mineurs est mouvante et désorganisée. Ce ne sont que des jeunes, à un moment donné ». Le SM, qui s’interroge sur la légalité du fichier, n’exclut pas d’engager une action juridique.
Même inquiétude du côté du SNPES-FSU, principal syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse. « Cela augure des propositions de la commission Varinard sur la réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants avec la responsabilité pénale dès douze ans (et le risque de voir abaisser à cet âge l’incarcération) et la quasi-suppression de l’excuse de minorité. »