L’avenir de la « mare perchée » étant en discussion, je pense qu’il faut bien prendre en compte ce qu’elle apporte de particulier au site des Beaumonts et, aussi, remettre cette question en contexte.
I/ L’apport spécifique de la mare perchée
La situation de cette mare a été critiquée car elle est située au point le plus haut du site. Cela rend évidemment plus difficile la collecte d’eau de pluie ou de ruissellement. Mais cette situation compte aussi beaucoup en ce qui concerne sa richesse biologique et paysagère.
1. La mare perchée est intégrée à la « zone naturelle » (elle-même située en hauteur, sur le plateau). Cela veut dire que c’est (pour les oiseaux et des batraciens) un milieu riche en alimentation. Mêmes les espèces nicheuses inféodées à la mare vont rechercher des insectes alentour. Cela concerne aujourd’hui les poules d’eau et les rousserolles effarvattes. Cela pourrait concerner demain d’autres espèces d’oiseaux comme le bruant des roseaux (qui a manifesté ce printemps des velléités d’installation).
Cela permet aussi une approche plus « rassurante » de la mare (l’animal peut rester à couvert jusqu’à proximité) et cela offre des zones de repli en cas de dérangement (par exemple, quand les poules d’eau sont dérangées par un chien de chasse !). Cela facilite grandement les mouvements, y compris la nuit ceux des batraciens.
2. L’ensoleillement. De par sa situation, la mare perchée est bien ensoleillée. Ceci est très important pour certaines espèces, en particulier les libellules. Or, la mare a accueilli une variété d’espèces de libellules très intéressante (on vient d’en rajouter une ce printemps), qui sont, pour une part, différentes de celles que l’on trouve à la mare du bas (la mare de Brie). Ces deux mares sont complémentaires.
3. La visibilité. Du ciel, la mare est aussi visible de loin. C’est un atout pour les espèces migratrices qui cherchent un lieu de halte.
4. L’accroissement du potentiel de la zone naturelle. La mare perchée contribue à accroître la « biomasse » de la zone naturelle, notamment le nombre d’insectes – dont se nourrissent des espèces qui nichent dans la friche (et pas seulement dans la mare) – en sus de l’intérêt spécifique desdits insectes… Pour tous les insectivores, c’est une donnée importante qui contribue à l’attrait de la « zone naturelle » – la densité des populations d’insectivores présents sur le site en dépend pour une part significative. Si cet attrait reste suffisant, on peut espérer que de nouvelles espèces s’installent à l’avenir. En ce qui concerne l’avifaune (mais les insectivores ne sont pas que des oiseaux), cela pourrait même être le cas de la Pie-grièche écorcheur (déterminant Natura 2000) parfois (rarement !) observée sur le site.
5. L’accès aérien. La mare perchée est la seule où viennent boire en vol les martinets (et hirondelles), car elle est facilement négociable. De même, certaines espèces d’oiseaux viendront plus facilement s’y désaltérer, ou se nourrir sur ses berges (bergeronnettes en migration, etc.) car elles peuvent facilement s’échapper en vol en cas de dérangement.
C’est aussi là que les hirondelles peuvent trouver et collecter de la boue pour construire leurs nids (l’absence de boue est un facteur qui limite leur installation en zone urbaine). Depuis la destruction des bâtiments où nichaient une colonie d’hirondelles de fenêtre, en bordure du parc, elles sont devenues très peu nombreuses. Mais on peut espérer la reconstitution d’une colonie dans les environs.
6. Espèces protégées. La disparition de la mare aurait des conséquences sur plusieurs espèces qui dépendent du rapport entre la mare perchée et la friche et qui contribuent à l’intérêt du site, comme la rousserolle effarvatte, le triton alpestre, le crapaud commun… Le cantonnement éventuel d’autres espèces serait aussi en cause (bruant des roseaux…).
Mentionnons en particulier le crapaud accoucheur, une espèce inscrite à l’annexe 4 de la directive européenne « Habitats ». Depuis l’arrêté de 2007, l’habitat de cette espèce est explicitement protégé. Or, la population d’accoucheurs sur le site, et singulièrement autour de la mare perchée, semble se renforcer (cette espèce vit surtout à terre et utilise des terriers mais a besoin de l’eau de la mare pour se reproduire).
7. Intérêt « paysager ». La mare perchée constitue une « entrée » très (trop !) prisée à la zone naturelle. Elle offre une belle ambiance (le bruit du vent dans la roselière !) et des spectacles fort appréciés : la vie d’une famille de poules d’eau, la visite de canards, des hérons pêchant (ou perché dans les arbres alentour), des martinets buvant en plein vol, des libellules s’accouplant, etc. Elle est devenue un haut lieu du romantisme et de la photographie locale.
II/ Une mare n’en remplace pas une autre…
Si l’on engage une réflexion sur le réaménagement des mares du site des Beaumonts, il faut tenir compte de ce qu’une mare n’en remplace pas une autre, notamment quand sa localisation est différente.
1. Transformer la mare perchée en milieu humide ? On peut discuter des avantages et désavantages de la transformation de la mare perchée en « zone humide » nécessitant moins d’eau. La faisabilité est à vérifier. L’un des grands problèmes est l’envahissement et le piétinement humain. La seule « défense » de la mare et de son milieu « humide » est qu’elle est en eau. Il faudrait créer des défenses artificielles efficaces pour protéger un milieu humide.
Autre danger : l’évolution naturelle d’un tel milieu est le processus « d’atterrissement ». Les roseaux se couchent, les saules prennent la place et finissent de pomper toute l’eau. C’est-à-dire que l’entretien d’une zone humide, en cet endroit, demanderait en fait beaucoup de travail.
2. Mares du milieu et du bas. Les deux autres mares de la zone naturelles sont (étaient) elles aussi intéressantes. Elles peuvent être mieux adaptées que la mare perchée pour certains batraciens ou libellules. Ce serait bien de rétablir la fontaine et de recréer la mare du milieu. Leur apport à la zone naturelle est précieux. Mais vu leur taille (beaucoup plus petite) et leur situation (encaissée pour la mare du bas), elles ne remplacent pas le rôle multiple de la mare perchée.
3. Création d’une mare en contrebas (à mi coteau). Pour la collecte d’eau, créer une mare au pied du coteau fait sens. Cette position risque de poser aussi quelques problèmes : nombreux déchets venant de la pente, concentration de polluants liés aux traitement de la pelouse, pression humano-canine renforcée…
Par ailleurs, une mare en contrebas recevrait par gravitation les graines et végétaux de la pente, ce qui annonce une colonisation végétale différente de celle de la mare perchée (qui dépend plus du vent). Une telle mare pourrait certes constituer un apport spécifique, mais il faudrait alors déterminer des objectifs biologiques compatibles avec l’emplacement choisi et la taille possible de la mare.
A priori, son potentiel biologique serait nettement moins riche que celle de la mare perchée (et donc elle ne la remplace pas) : difficile d’approche, environnement immédiat fournissant peu d’alimentation (insectes) et de protection (végétation), plus faible ensoleillement, éloignement de la friche (quelles espèces vont monter le talus pour rejoindre le plateau ?), etc.
L’aménagement d’une mare supplémentaire pourrait être un plus pour le site des Beaumonts dans son ensemble, en enrichissant une zone actuellement assez pauvre. Mais pour renforcer son potentiel, il faudrait probablement réaménager son environnement : création d’un nouvel espace « naturel » ?
III/ Remettre en perspective
La mare perchée ne pourra pas simplement être laissée en l’état : le système d’imperméabilisation mis en place il y a dix ans ne va pas durer éternellement. On peut se préparer à la « réparer » ou, au contraire, à « reconstruire » une « nouvelle » mare sur d’autres fondements techniques, plus durables et efficaces. C’est une autre question que celle de son déplacement (qui risque en fait de signifier en réalité sa disparition : la disparition de ce qu’elle apporte de spécifique).
Les choix sont à replacer dans le cadre du site et de la politique de la ville. Revenons ici sur trois points.
1. La conception initiale de la zone humide. Quand « l’espace naturel » des Beaumonts a été aménagé, la « zone humide » a été conçue comme un tout : un chapelet de trois mares (perchée ou « du haut », à la fontaine ou « du milieu », de Brie ou « du bas ») reliées par un ru avec un circuit fermé partiel (de l’eau devant être occasionnellement pompée de la mare du bas vers la mare perchée).
Le système n’a jamais bien fonctionné : pas assez d’eau dans la mare du bas pour alimenter significativement la mare du haut, disparition du ru en certains points… Mais la conception d’ensemble est intéressante : le chapelet de trois mares biologiquement complémentaires, des zones humides temporaires le long d’un ru intermittent, un parcours paysager original, romantique et agréable, une « frontière » naturelle contribuant à protéger la zone centrale de la pénétration…
Cela serait intéressant de repartir de cette conception d’ensemble de la « zone humide » de « l’espace naturel » pour la réintégrer à une politique plus globale de réaménagement du site, quitte à la modifier en tenant compte des échecs et de nouvelles données.
2. Des réaménagements plus amples ? S’il est envisagé de constituer des « espaces naturels » en d’autres points du parc des Beaumonts (du côté du cimetière ?), il faudrait en tenir compte pour penser l’équilibre et la complémentarité des zones humides.
3. La politique de l’eau de la ville. Si l’on discute de la politique de l’eau dans une ville comme Montreuil (coûts, restrictions et économies…), la mare perchée n’est qu’une donnée très secondaire. En dehors des périodes de canicule, le coût financier et en ressource reste modeste – surtout relativement aux autres coûts (nettoyage des rues avec de l’eau de ville, etc.).
Sur le plan « éthique » (économie d’une ressource : l’eau), il est plus important de s’attaquer en grand au gaspillage (fuites de robinets, de canalisations, etc.), plutôt que de sacrifier une autre « ressource » (bien plus rare en milieu urbain) les mares. Notons en passant que les arguments qui pousseraient à sacrifier la mare perchée des Beaumonts vaudraient aussi pour celle de Montreau et autres pièces d’eau de la ville.
Sur le plan politique, enfin, on ne devrait pas opposer l’économie de la ressource « eau » à la protection de la biodiversité (et de la diversité paysagère) – c’est-à-dire opposer deux « biens communs » de la population. Les grands enjeux de l’eau sont ailleurs : gestion privée ou municipale, circuit unique ou pas de la distribution de l’eau, luttes contre les pollutions, etc.
IV/ Projets, aménagement, financement
Tout ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’attaquer à la question de l’alimentation en eau de la mare perchée. Du triple point de vue financier, de la ressource eau et de la biodiversité, on a intérêt à réduire l’apport en eau de ville et à augmenter l’apport en eau de pluie (biologiquement de bien meilleure qualité).
Plusieurs pistes sont possibles, comme le stockage en citernes de l’eau de pluie collectée en particulier des toits, ou l’élargissement du « bassin versant ». Plus généralement, dix ans après l’aménagement initial, une série de travaux doivent être menées sur le site pour garantir sa pérennité et sa richesse. La mairie a pris à ce sujet des engagements dans la durée quand elle a reçu les financements initiaux. Des engagements renforcés par le recensement sur le site d’espèces qui entrent dans les indicateurs Znieff et par l’intégration du parc dans le réseau Natura 2000 du 93.
Il y a dix ans, l’aménagement de la « zone naturelle » (par ailleurs fort peu coûteux) avait été pour l’essentiel couvert par des subventions. Les travaux de 2 322.OOO F TTC ont été supportés par la ville de Montreuil à hauteur de 20 % HT, par l’AREV (40 % HT), par le conseil général (30 % HT) et par la Diren : 10 % HT et 22 % TTC avec notamment les études préliminaires inclues.
Depuis, du point de vue de « la nature en ville », loin de se démentir, l’intérêt du site des Beaumonts s’est accru. Il devrait donc être possible de trouver de nouveaux financements pour un aménagement d’étape, aujourd’hui bien nécessaire. La « zone naturelle » souffre en effet de grandes discontinuités dans le suivi et la gestion – et d’une absence de vision politique à moyen terme.
L’alimentation en eau n’est pas le seul problème. Mentionnons notamment (liste non limitative) : le contrôle des plantes envahissantes (renouée, robinier, érable…), le maintien de la diversité des couvertures végétales (zones de végétation rase…) et la lutte contre l’emboisement spontané, une meilleure protection de la friche centrale et des mares de la pénétration humaine, l’enrichissement des lisières, le suivi de l’évolution des populations végétales et animales pour favoriser les espèces les plus originales, une meilleure insertion de la « zone naturelle » dans l’ensemble du parc (et vice-versa)…
Profitons de l’occasion pour rappeler que le comité de suivi qui devait aider à évaluer régulièrement l’évolution du site et à faire des propositions pour sa gestion n’a jamais vu le jour – ce qui est bien dommage.
Les choix concernant la mare perchée et, plus généralement, la zone humide de « l’espace naturel » ne sont donc que des éléments d’une politique d’ensemble pour le site des Beaumonts.
Pierre Rousset
La mare perché en juillet 2010. Cliché Bruno Walter.