Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, profite de la réorganisation des services de renseignement pour permettre le fichage de la santé et de l’orientation sexuelle de certains citoyens, comme s’en est rendu compte Têtu après enquête. Désormais, les services de police pourront enregistrer des données sur l’homosexualité d’une personne, ainsi que son statut sérologique. Ces données seront traitées par la direction centrale de la Sécurité publique.
En effet, dans le Journal officiel du mardi 1er juillet, un décret relatif au nouveau fichier de renseignement « Edvige » (pour Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) offre désormais la possibilité de mentionner « la santé et la vie sexuelle » de certains citoyens, ce que, jusqu’à présent, le service des Renseignements généraux n’était pas autorisé à faire. Détail troublant : Michèle Alliot-Marie avait souhaité que ce décret ne soit pas publié au Journal officiel, avant de devoir faire machine arrière, suite aux protestations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), organisme créé pour prévenir toute dérive informatique dans l’utilisation des données personnelles.
Dans son avis du 16 juin publié au Journal officiel, la CNIL a émis des « réserves » sur la collecte de telles données en vue de constituer un nouveau fichier de police. Par ailleurs, après la publication du décret, la CNIL a renouvelé certaines réserves dans un communiqué de presse en date du 2 juillet.
Concrètement, ce décret prévoit que la santé ou la vie sexuelle « peuvent être enregistrées […] de manière exceptionnelle » pour « des personnes […] ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, économique ou syndical ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif », ainsi que pour des « individus […] susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », mais aussi pour des « enquêtes administratives […] pour déterminer si le comportement des personnes […] est compatible avec l’exercice des fonctions ou missions envisagées ».
La CNIL avait souhaité que le décret « définisse explicitement la nature des données [dites sensibles, parmi lesquelles figurent la santé et la vie sexuelle] qui seraient susceptibles d’être enregistrées […] et précise, en outre, que lesdites données ne pourront être enregistrées que dans la stricte mesure où les finalités du traitement l’exigent ». Or cette recommandation n’a pas été prise en compte.
Dans son communiqué de presse, La CNIL a d’ailleurs « regretté que la possibilité de collecter désormais des informations relatives à la santé et à la vie sexuelle des personnes ne soient pas assortie de garanties suffisantes ». Elle a ajouté qu’elle « sera particulièrement vigilante sur ce point et utilisera son pouvoir de contrôle pour s’assurer du caractère exceptionnel de l’enregistrement de ces données dans le fichier ».
par Stéphane Garneri
Info du 9 juillet 2008
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« Edvige » révolte les associations
Révélée par Têtu (quotidien du 9 juillet), la mise en place d’« Edvige », un fichier permettant au ministère de l’Intérieur d’enregistrer des données sur la santé (notamment la séropositivité) et la vie sexuelle de certains citoyens, suscite des réactions virulentes, notamment de la part d’associations.
Jérôme Vicart, le président de Flag !, l’association française de policiers gays et lesbiens, « exige » l’arrêt de l’utilisation de ce logiciel. Joint par Têtu, il parle de « dérive » et dénonce « un nouveau fichier à caractère nominatif qui porte atteinte aux libertés fondamentales dans notre pays. Ce fichier nous rappelle évidemment Ardoise, note-t-il, mais il est peut-être encore plus dangereux, puisqu’il va permettre le fichage de citoyens dès l’âge de 13 ans sur la base unique de soupçons. » Jérôme Vicart souhaite que le ministère de l’Intérieur explique en quoi l’orientation sexuelle et l’état de santé de certains Français les rendent potentiellement dangereux pour la société.
Pour sa part, Act Up-Paris parle d’un « flash-back étourdissant dans les années 50 » et s’en prend à Nicolas Sarkozy. « Ceci n’est pas un acte isolé dans un été languissant, écrit l’association dans un communiqué. Pour rappel, Nicolas Sarkozy a déjà fait part de son avis sur le « caractère prédictif de la délinquance » à déceler dans les crèches ou de son penchant pour une approche génétique de l’homosexualité. »
Pour le Parti socialiste, « Edvige » est « un grand bon arrière ». Selon Gilles Bon-Maury, président d’Homosexualités et socialisme, ce fichier est une « atteinte évidente, provocante et inutile à ces libertés fondamentales dont la France pouvait prétendre autrefois être le symbole. En quoi l’orientation sexuelle et le statut sérologique d’un individu exerçant un mandat politique, économique ou syndical, peuvent-elles présenter un intérêt pour la police ? » Gilles Bon-Maury rappelle que « c’est en juin 1981 que le ministre de l’Intérieur [socialiste] Gaston Defferre a fait détruire les listes d’homosexuels tenues par les préfectures. »
Enfin Hussein Bourgi, le président du Collectif contre l’homophobie (CCH), a vivement critiqué le fait que Michèle Alliot-Marie rétablisse « les fichiers d’homosexuels, d’étrangers et de malades ». Pour le CCH, « ce décret qui sent le soufre », rappelle « une pratique digne des heures les plus sombres de l’histoire de notre pays ». Le CCH en appelle au président de la République et au Premier ministre, « afin qu’ils rappellent la ministre de l’Intérieur à l’ordre et qu’ils suspendent immédiatement la mise en œuvre de ce fichier ». Par ailleurs, le CCH a indiqué qu’il examinait, dès à présent, la possibilité de déférer ce décret devant le Conseil d’Etat.
par Stéphane Garneri
Info du 10 juillet 2008
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Fichier Edvige : le ministère de l’Intérieur refuse de s’expliquer
Suite aux réactions entraînées par les révélations de Têtu sur le fichier « Edvige » (lire Quotidien du 10 juillet), le magazine a pris contact avec le ministère de l’Intérieur. Mais pour l’instant, Michèle Alliot-Marie ne souhaite pas répondre aux interrogations qui entourent les raisons du fichage de l’état de santé et de l’orientation sexuelle de certains citoyens (lire Quotidien du 9 juillet).
Têtu regrette le silence du ministère, car hier soir, jeudi 10 juillet, un appel public à signatures pour obtenir l’abandon du décret a été mis en ligne sur internet. En seulement quelques heures, plus de 1.000 signatures ont d’ores et déjà été recueillies. De nombreuses organisations syndicales, 14 associations de défense des droits des gays et des lesbiennes et de lutte contre le sida, dont l’Inter-LGBT et Tjembé Rèd, mais aussi les Verts, le PCF et le Syndicat de la magistrature, entre autres, ont soutenu cet appel. Ils exigent « le retrait du décret autorisant la mise en place du fichier Edvige qui institue un niveau de surveillance des citoyens totalement disproportionné et incompatible avec une conception digne de ce nom de l’État de droit ».
Par ailleurs, cinq syndicats (le Syndicat de la magistrature, la CGT, la FSU, Solidaires, et le Syndicat des avocats de France), rejoints par la Ligue des droits de l’homme, viennent d’indiquer qu’ils étaient en train de rédiger un recours, dans le but de contester l’existence du fichier devant le Conseil d’État. La Fédération nationale de l’Autre Cercle « s’élève avec force contre ce décret et condamne fermement l’attitude du gouvernement qui n’a absolument pas pris en compte l’avis très réservé et les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à son sujet ». Elle souhaite également se joindre à une telle initiative.
Dans un communiqué de presse, Aides s’inquiète de l’effet pervers d’un tel fichage sur le militantisme et le réseau associatif. « Quelles perspectives pour les 150.000 personnes séropositives en France ? interroge l’association. La crainte de voir toutes leurs informations personnelles dans un fichier d’État empêchera certainement un grand nombre d’entre elles de pousser la porte de Aides et ainsi de bénéficier d’un accompagnement indispensable ».
Devant les inquiétudes de nombreux acteurs de prévention et de soutien aux malades, Têtu a donc également interrogé le cabinet de la ministre de la Santé, afin de savoir s’il avait été associé à la rédaction du décret. Mais Roseline Bachelot ne souhaite pas non plus communiquer sur cette question « pour le moment », alors qu’un accueil glacial aux Solidays l’avait obligée à écourter sa visite.
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par Stéphane Garneri
Info du 11 juillet 2008
L’Intérieur reconnaît qu’« Edvige » sera utilisé pour ficher les militants
Après la mise en ligne de l’article intitulé « Fichier Edvige : le ministère refuse de s’expliquer » (lire Quotidien du 11 juillet), la place Beauvau a finalement réagi par la voie d’un e-mail envoyé par son porte-parole, Gérard Gachet, à Têtu. Il vient conforter les inquiétudes suscitées par le décret.
Dans sa réponse, le porte-parole établit clairement que le décret vise à permettre le fichage de militants homosexuels ou séropositifs. Il développe un argumentaire qui ajoute d’autres inquiétudes à celles ayant déjà provoqué la colère et la mobilisation des associations LGBT, de syndicats et de partis politiques et procède à une attaque en règle de la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil).
« Les données sur la santé ou la sexualité ne sont pas enregistrées pour elles-mêmes », explique Gérard Gachet. Leur mention n’est autorisée que pour un besoin incident lié à une activité. Dans le domaine du renseignement, il s’agit essentiellement […] du militantisme. Ainsi, pour pouvoir enregistrer que quelqu’un est responsable d’une association professionnelle d’homosexuels, il faut autoriser, au titre de l’association, la caractéristique dite sensible. De même un militant d’une association servant une cause médicale, qui aurait participé à une intrusion violente dans un ministère ou une préfecture, sera intégré au fichier avec la finalité, médicale, de sa cause. Ce ne sont donc pas les personnes qui en tant que telles sont caractérisées. »
L’homosexualité et la séropositivité seront donc toutefois bien fichées « pour un besoin incident lié à une activité » militante. En clair, l’orientation sexuelle des individus ne sera pas fichée en tant que telle, sauf si ces individus sont militants d’une association de défense des droits des gays et des lesbiennes. De même, un militant défendant les séropositifs qui mènerait une action choc dans un lieu public sera « intégré au fichier avec la finalité, médicale, de sa cause ».
La réponse du porte-parole de Michèle Alliot-Marie propose une interprétation du décret qui est en contrariété directe avec la loi du 6 janvier 1978, dite loi Informatiques et libertés. En effet, l’article 8 de cette loi, visé par le décret créant « Edvige », prévoit qu’« il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel […] relatives à la santé ou à la vie sexuelle [des personnes] ».
Par ailleurs, le porte-parole de Michèle Alliot-Marie soutient, contrairement à ce qu’avait souligné la Cnil dans son avis du 16 juin 2008, que les données relatives à la santé et à la vie sexuelle ont toujours été enregistrées dans les fichiers des services de renseignements. Or, le décret du 14 octobre 1991 relatif aux fichiers gérés par les renseignements généraux ne permettait pas l’enregistrement de données relatives à la santé et à la vie sexuelle.
Enfin, Gérard Gachet estime que « le communiqué de la Cnil est inexact » sur certains points ; il minimise également le rôle de l’avis de l’organisme sur les modifications apportées au projet de décret. Le porte-parole de Michèle Alliot-Marie insiste sur le fait que c’est essentiellement l’avis du Conseil d’État qui a conduit la place Beauvau à apporter des modifications. Têtu regrette que l’avis du Conseil d’État n’ait pas été alors rendu public et invite le gouvernement à le faire.
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par Stéphane Garneri
Info du 12 juillet 2008