Nicolas Sarkozy n’a jamais caché son mépris de l’ordre militaire. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit en rien d’un « antimilitarisme de droite ». Sarkozy cherche à convertir l’armée française à la multiplication des interventions extérieures dans le cadre de la « guerre sans limites » et d’un alignement sur la politique étrangère des États-Unis. Ce qui ne va pas sans heurter l’institution militaire, historiquement acquise à la droite traditionnelle.
La guerre de tranchées entre la haute hiérarchie militaire et Sarkozy s’est déclenchée à l’occasion des travaux de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui consacre la fusion des deux domaines. Le Livre blanc opte pour le renforcement de l’opérationnel – les soldats et les matériels au front – aux dépens du soutien – la logistique arrière. Ce cap vise à faciliter les « interventions » à l’étranger, privilégiant les aspects tactiques sur la vision stratégique. L’envoi de renforts français dans les zones sensibles du bourbier afghan en est l’illustration, à l’heure où les renseignements français considèrent la situation sur place comme une « impasse militaire totale et durable ». Bref, le Livre blanc crédite une doctrine très atlantiste et « technophile ».
Cette inflexion, que confirme le retour de la France au sein du commandement intégré de l’Otan, n’est pas pour plaire à une armée fière de son indépendance et de sa souveraineté, qui se retrouvait pleinement dans les réticences de Chirac face à la « guerre sans limites » et à l’intervention en Irak. À cela, s’ajoute la réorganisation des armées, qui supprime 54 000 postes de militaires en six ans, même si les moyens continueront d’augmenter.
L’autre raison du conflit tient à la méthode sarkozyste. Déjà, sans attendre les conclusions du Livre blanc, le chef de l’État avait pris une série de décisions (diminution de la force aérienne stratégique, fermeture de bases aériennes, renforts en Afghanistan, création de la base d’Abou Dhabi), suscitant la démission des membres socialistes de la commission, pour qui tout était déjà plié. Et pour cause : selon Jean Guisnel du Point, le président de la commission désignée par Sarkozy, Jean-Claude Mallet, réunissait ses conseillers, régulièrement et secrètement, afin d’élaborer un travail parallèle à sa propre commission !
Dans ce contexte, dès le lendemain de l’intervention de Sarkozy présentant les conclusions du Livre blanc, un groupe d’officiers généraux et supérieurs, le groupe « Surcouf », sous couvert d’anonymat, a fait part de ses critiques dans une tribune adressée au Figaro. Se sentant pris en défaut, Sarkozy a mis la DST sur l’affaire – rien de moins –, déclenchant une chasse aux sorcières dénoncée par l’ensemble du corps militaire.
Autre sujet de discorde, le chef suprême des armées n’hésite pas à s’affranchir des contraintes de sa fonction. En voyage au Liban, il ne rend pas visite aux troupes françaises. Le 30 juin, après le drame de Carcassonne, il traite le chef d’état-major de l’armée de terre, Bruno Cuche, comme un moins que rien : « Vous êtes des amateurs ! Vous n’êtes pas des professionnels. » Désavoué, Cuche a immédiatement présenté sa démission, première du genre pour un militaire de ce rang depuis 25 ans. Loin de vouloir apaiser la situation, le 14 juillet, Sarkozy n’a pas pris le temps de se déplacer, comme de coutume, au ministère de la Défense. Un nouvel affront, de la part d’un président au plus bas dans les sondages…
Fort de quelques opportunistes sentant le vent tourner, le chef de l’État compte éradiquer l’une des dernières poches de contestation, à droite, de la rupture dont il se revendique. Mais l’armée n’est pas la police nationale et, avec l’annonce des détails de la réorganisation de la Défense nationale, les crispations ne sont pas près de s’arrêter.