Siné et Charlie, c’est fini. Son patron, Philippe Val, vient de le virer en lui accrochant au cou le panneau d’infamie : « antisémite ».
Siné n’est pas un saint. La cause n’est pas idéale. Restent quelques principes à défendre : liberté d’expression, droit à la satire. Mais commençons d’abord par le texte, l’objet du « délit ».
J’ai lu et tout cela me semble moins relever de l’antisémitisme que de la caricature, qui souvent vire à la diffamation. Mais c’est la loi du genre et à Charlie Hebdo, ils sont payés pour le savoir. Siné présente le « fils de » comme un ambitieux prêt à tout, même à une conversion. Il se trouve que la promise est de religion juive et héritière électroménagère. Mouais, bon… Ça frise la limite, à tout le moins le goût douteux. Mais, l’antisémitisme ne semble en rien franc et massif. Cette fois, le doute aurait dû profiter à l’accusé qui en a déjà balancé de bien pires.
Sauf que les entreprises de presse ne sont pas plus que d’autres des démocraties bonasses. Et que la précarisation des statuts permet de se passer de la collaboration de qui on veut, quand le zigomar outrancier a l’heur de déplaire à des patrons avides de donner des gages à l’autoritarisme résurgent.
Plus grave que la dernière balourdise de Siné, me semble être l’instrumentalisation de l’antisémitisme au sein des débats qui opposent les deux gauches. Il est catastrophique de suspecter immédiatement d’antisémitisme qui critique l’expansionnisme sioniste au temps des colonies de peuplement ou qui interroge la nature religieuse de l’Etat d’Israël. Il est plus que pénible d’être regardé comme possible antisémite quand on attaque les dérapages de l’empire américain, « meilleur ami d’Israël », quand on s’oppose à l’Europe libérale que Bruxelles fourgue à coups de oui ou quand on voudrait faire plus que « réguler » le capitalisme. Ne reste aux stigmatisés qu’à opposer un inaudible : « Je ne suis pas antisémite parce que je ne suis pas antisémite ».
En jouant à ça, les autoproclamés antiantisémites ne font que renforcer ces caricatures du juif = argent = riche, dans le panneau desquelles ils soupçonnent ceux qu’ils dénoncent de tomber.
Vous me suivez toujours ? Parce que tout cela devient franchement ridicule. Il faut revenir à de stricts arguments idéologiques sans criminaliser illico qui vous porte la contradiction et sans tout le temps se demander d’où les uns et les autres parlent. Arrêtons de renvoyer chacun à son origine. Mot qui convient mieux que celui de « race ». Il n’y a pas de race juive, comme il n’y a pas de race blanche ou de race noire. Grand bien nous fasse !
De plus, il n’y a pas de domaine réservé. Le droit à la critique est universel. Je suis breton et pas encore débaptisé, et je devrai me contenter de cracher dans le bénitier et d’évaluer la qualité du beurre salé, sans avoir le droit de mettre mon grain de sel en d’autres matières ? Eh bien, non ! Les trois monothéismes qui continuent à vouloir régenter les vies et les mœurs de chacun, méritent attention narquoise et vigilance fulminante. Quant au gentil bouddhisme qui prospère, il ne perd rien pour attendre.
Cela dit ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Depuis la deuxième Intifada, un nouveau type d’antisémitisme grandit au sein des populations d’origine maghrébine. Minoritaires, quelques dérives rouges-brunes existent. Et Dieudonné en est le symptôme le plus affligeant.
Mais, arrêtons les anachronismes. On n’est plus au temps de l’affaire Dreyfus, ni de Marcel Déat. En France, la sphère intellectuelle et la galaxie post-gauchiste ne versent plus dans les ornières du début du siècle ou des années 30. Le nazisme et l’extermination des juifs ont accompli leur terrible pédagogie.
Comme on en est à parler des choses qui fâchent, si on pouvait aussi arrêter de faire de la Shoah un absolu religieux, un insurpassable objet métaphysique, on aurait enfin progressé dans le débat démocratique. Dieu n’existe pas, le diable non plus. L’extermination d’un peuple, elle, a bel et bien existé. L’Holocauste n’est pas un indicible mystère, mais un événement historique qu’il faut étudier et dont il faut parler, encore et toujours, afin de pouvoir repérer les signes annonciateurs de sa reproduction.
Pour revenir au débat de départ, à sacraliser les choses, à instaurer des tabous, à interdire critique et caricature, on prend le risque de décerveler ces mauvais esprits que doivent rester les chroniqueurs et les humoristes.