Contrairement à ce que prétendent la plupart des éditorialistes, significativement à l’unisson des leaders de la droite, la modification des équilibres institutionnels, qui découle du texte adopté par le Congrès de Versailles, ne constitue nullement une démocratisation de ces institutions. Sans même parler de la révolution démocratique dont nous sommes les ardents partisans, afin de mettre à bas la monarchie présidentielle que consacre la Ve République, pour qu’il y ait réellement progrès, il eût au moins fallu que l’on s’attaque à cette place forte de la réaction que représente le Sénat, à ces innombrables structures dotées de compétences législatives ou juridictionnelles alors qu’elles n’ont jamais à se soumettre au suffrage populaire, au cumul des mandats, à un mode de scrutin qui interdit la représentation de toutes les familles de pensée au Palais-Bourbon, à la question fondamentale du droit de vote des résidents étrangers. Pour qu’il y ait, tout aussi modestement, « rééquilibrage » des pouvoirs à la tête de l’État, il eût convenu que le président de la République voit remettre en cause son irresponsabilité politique ou judiciaire autant que ses pouvoirs d’exception, l’exécutif se retrouvant placé sous le contrôle permanent de la représentation nationale.
Rien de tout cela ne se retrouve dans la « réforme » sarkozyenne. Les quelques mesures censées revaloriser le Parlement ou octroyer des libertés nouvelles aux citoyens (comme l’institution d’un Défenseur des droits) ne sont que des leurres destinées à faire passer le cœur du projet : l’accroissement des prérogatives présidentielles, symbolisé par le loisir qu’aura désormais le monarque élyséen de s’adresser au Congrès (sans que cela ne puisse même être suivi d’un débat en sa présence), l’affaiblissement corollaire du Premier ministre et la transformation du souverain élyséen en véritable chef de la majorité parlementaire.
Car c’est d’abord à cette dernière que bénéficieront les nouvelles mesures concernant la maîtrise du calendrier parlementaire, les attributions offertes aux commissions ou la nomination aux grandes fonctions de l’État. Pour ne prendre que ce dernier exemple, seul un vote des trois cinquièmes des membres d’une commission du Palais-Bourbon pourra faire obstacle à une nomination du Prince ; autant dire qu’il ne se trouvera presque jamais un tel quorum (qui supposerait une crise majeure entre les élus majoritaires et la présidence) pour infliger pareille rebuffade à celui-ci.
En d’autres termes, c’est à un déséquilibre lourdement aggravé que l’on assistera lorsque la nouvelle Loi fondamentale entrera en vigueur, l’an prochain. À la dyarchie constitutionnelle, hier formée par le chef de l’État et son Premier ministre, qui se subordonnait étroitement le Parlement, succédera demain une nouvelle articulation des compétences, faisant du président le détenteur quasi unique du pouvoir exécutif, en relation directe avec des députés majoritaires toujours aussi vassalisés.
Un pas supplémentaire se trouve donc franchi dans la présidentialisation sans contrepartie du régime. Gageons que, comme le préconisait d’ailleurs le comité Balladur, une autre « réforme » parachèvera prochainement l’édifice, peut-être avant 2012. Comme pour la ratification du traité européen de Lisbonne, il est des plus significatifs que ce processus ait été mené à son terme sans que jamais les citoyens ne puissent s’en saisir. Une confirmation que, pour ceux qui nous gouvernent, la démocratie est désormais considérée comme un obstacle à la pleine souveraineté qu’ils entendent octroyer aux marchés et à la finance.
Une question que le Parti socialiste, converti depuis trente ans à la Ve République, était bien incapable de poser. Ce qui lui vaut d’être entré en crise à la suite de son vote contre les propositions sarkozyennes.