Envoyé spécial à Ferrière-la-Grande,
Pas facile de vendre le trotskisme, « ce que le communisme aurait dû rester », expliquent les militants de Lutte ouvrière, sous la pluie. Même aux habitants de Ferrière-la-Grande, ville ouvrière du Nord. « On est venu ici parce qu’on nous a dit qu’il faisait toujours beau », ironise une « camarade » de LO, une pile du « journal d’Arlette Laguiller » sous le bras. « T’avais qu’à venir la semaine dernière », lui rétorque un passant. La semaine dernière une tornade a pulvérisé le village d’Hautmont, à quelques kilomètres de là. « On ne va pas aller là-bas, ils ont d’autres soucis que de discuter de la révolution… », explique Jean Cornut, prof de math et élu local à Fourmies.
« Tréfonds ». Mardi, la caravane de LO dans le Nord a posé sa tente blanche sur le parking de la mairie PS-PCF de Ferrière, 6 000 habitants. L’été, il n’y a donc pas que l’UMP qui fait de la propagande. Jean Cornut, 54 ans, en est à sa « 25e caravane » avec LO : 30 militants - 26 sur le terrain, 4 chargés des repas - branchent les passants devant la Poste, la supérette et la CAF. « Ce qui compte, c’est que les idées de communisme, de lutte des classes passent dans les tréfonds de la population. Ici, les gens savent que ces idées existent car ils connaissent Bruno. »
Surnommé « le père Noël », « Ben Laden » ou « Moïse » à cause de sa barbe « de trois ans », Bruno Montmory, 42 ans, connaît tout le monde car il est pompiste à Champion. La baisse du pouvoir d’achat, il la mesure au litre : « J’ai des clients, des malheureux qui viennent tous les jours pour mettre 5, 3 euros d’essence dans leur voiture. » En mars, il a été élu conseiller municipal sur une liste indépendante, avec « 11,20 %» des voix. A Ferrière, LO n’a pas choisi de s’allier avec le PCF et le PS pour faire barrage à la droite et contrer son concurrent trotskiste : Olivier Besancenot et son Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). « Le NPA va être un PC bis. Sur Ferrière, personne n’en parle. Sortir le drapeau rouge, on est les seuls à le faire », balance Bruno Montmory.
L’accueil des Cht’is est chaleureux et le sujet de conversation unique : la précarité croissante au travail. Les mines sont blafardes et le moral dans les chaussettes. « Je m’en suis fait, j’ai pris des médicaments, mais je m’en fais plus », assure Marie-Claude, la cinquantaine. Son père vient de décéder dans la maison qu’elle occupe, et son frère et sa sœur veulent lui augmenter le loyer : « Il n’y a plus de famille, ils ont besoin de fric. Le notaire m’a dit : « 600 euros au lieu de 350. » On ne peut pas. » A ses côtés, son mari, qui travaille pour un sous-traitant de Renault, est tout aussi inquiet : « Ils ont arrêté l’équipe de nuit en juillet au lieu d’octobre. » « Au moins, c’est des départs volontaires », compatit le militant de LO.
« Misère ». Au déjeuner - salade de tortellinis au saumon ou aux « knackis », clafoutis et vin rouge -, chacun raconte ses rencontres. Frédéric, mécano chez Renault, rapporte les propos de deux dames de Louvroil. La première lui a dit : « Je sais que dans huit mois je serai à la retraite et que dans huit mois je serai dans la misère. Il faut un Mai 1968. » « Pas 68, 1789 : il faut couper des têtes », a ajouté la seconde.
15 heures, un soleil blanc troue les nuages. Devant la Poste, Jean Cornut discute avec un métallo. Lui vit sous la menace d’une délocalisation de sa boîte au Maroc. Et assiste au détricotage de ses droits, comme l’absence de pause déjeuner. « On touche la paie le 8, le 9 les jeunes au Smic arrivent avec de beaux sandwichs et en fin de mois, avec de petits biscuits. On a fait 10 millions de bénef, la redistribution aux salariés promise par Sarkozy, on l’a pas vue. »
Bilan de la journée : 130 journaux vendus pour 200 conversations. « Un geste positif, même si ce n’est pas encore une adhésion », reconnaît Jean Cornut. Militante à Fourmies, Marie-Pierre prévient : « On sent la révolte des gens dans le ventre. On est dans un grand recul. A la rentrée, ça va péter ! »