Il y a tout juste un an, le 5 septembre 2007, à Pakokku dans le centre de la Birmanie, six cents moines bouddhistes, qui défilaient pour protester contre l’augmentation des prix des carburants, étaient violemment réprimés par le régime militaire birman. Cet incident mit le feu aux poudres : le 9 septembre, un groupe jusqu’alors inconnu, l’Alliance de tous les moines birmans, émettait une déclaration demandant au régime de procéder à la réduction immédiate des prix des carburants, de libérer Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et principale figure de l’opposition, et d’amorcer un dialogue avec les forces démocratiques. Confrontés à la surdité d’une junte hostile à tout compromis, les moines allaient mener, aux côtés de militants démocrates et de nombreux civils, un mouvement désormais connu sous le nom de « révolution safran ». Mais leur mobilisation fut violemment réprimée en quelques jours.
Un an après, où en est-on ? Si la communauté internationale se montre désormais plus mobilisée, les résultats de son action demeurent quasi nuls. Ainsi l’envoyé spécial des Nations unies, Ibrahim Gambari, n’a-t-il rien obtenu des généraux en deux ans et demi de missions régulières en Birmanie. Les vagues promesses de dialogue du régime se sont révélées être des manœuvres dilatoires destinées à apaiser la tension. Aujourd’hui l’échec de la mission de Gambari est patent et pose la question de la poursuite du processus engagé par les Nations unies. Le refus d’Aung San Suu Kyi de recevoir l’émissaire le 24 août semble exprimer la frustration de la « dame de Rangoun » face à un dialogue qui, en l’absence de tout calendrier, n’aura produit aucun résultat. Entre-temps, un cyclone s’abattait sur la Birmanie, ravageant le sud du pays. La communauté internationale eut alors toutes les difficultés à convaincre un régime indifférent au sort de sa population de permettre le déploiement de l’assistance humanitaire.
Face à cette impasse, certains suggèrent désormais d’accepter la « feuille de route vers la démocratie » des généraux, définie comme la seule carte politique du moment. Ils espèrent ainsi que l’ouverture à l’économie de marché entraînera des évolutions sur le plan politique. Ce scénario, qui suppose un peu rapidement que l’ouverture économique entraîne mécaniquement une libéralisation politique, est peu crédible s’agissant d’un régime profondément inquiet des effets que pourrait produire une trop grande ingérence de l’extérieur - et particulièrement de l’Occident - dans les affaires du pays. Ainsi une économie véritablement libérale a-t-elle peu de chance de voir le jour en Birmanie, la volonté de contrôle des généraux primant sur toute autre considération. Ce complexe d’assiégé culminant tragiquement dans l’abandon à une mort certaine des populations victimes du cyclone. Le régime militaire birman ne bougera pas s’il n’est pas mis sous pression.
Convaincus de cela, les démocrates birmans, dans leur majorité, continuent de réclamer une politique de sanctions économiques ciblées, qui pénalise le régime et non la population. Si les pays asiatiques, principaux partenaires commerciaux des généraux de Rangoun, se montrent jusqu’à présent peu disposés à une mise sous pression tant diplomatique qu’économique de la junte, leur attitude pourrait évoluer en raison de l’inquiétude que suscite un régime apparaissant de moins en moins capable d’assurer la stabilité du pays. La pression occidentale doit donc être maintenue et même renforcée.
La France peut agir, Total demeurant le premier investisseur étranger en Birmanie. Qu’elle demande le retrait de l’entreprise serait un geste fort dont l’impact symbolique ne doit pas être sous-estimé au motif que le pétrolier français serait remplacé par un concurrent asiatique, comme cela est généralement avancé. Ceux qui, à leurs risques et périls, ont gagné la rue birmane en août et septembre 2007 nous ont rappelé que la « démocratie disciplinée » promise par les généraux ne saurait constituer à leurs yeux une solution aux crises politiques, économiques et sociales que connaît le pays. Il est temps de les écouter et de tout faire pour que les généraux consentent enfin à l’ouverture d’un dialogue auquel ils se refusent depuis vingt ans.
FRÉDÉRIC DEBOMY
* FRÉDÉRIC DEBOMY est président de l’association Info Birmanie.
… et sauver Aung San Suu Kyi
JANE BIRKIN chanteuse, comédienne.
Le 28 août, d’après un porte-parole de la Maison Blanche, Aung San Suu Kyi prix Nobel de la paix, fervente partisane de la non-violence, démocratiquement élue, mais néanmoins prisonnière durant treize des dix-neuf dernières années dans son pays, la Birmanie, n’accepte plus les colis de nourriture que des membres de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie, lui déposent devant sa porte. Ceci depuis le 15 août. Etant donné la fragilité de sa personne, des rumeurs de maladies depuis l’été, son isolement complet ainsi que pour les deux femmes enfermées avec elle dans sa « résidence surveillée », cela fait craindre un scénario où l’on n’aura des nouvelles que trop tard ! Elle n’a que peu, ou pas, d’électricité, pas de contact avec le monde extérieur. Elle risque la mort et nous, dans nos pays « libres », on aurait été complices de la junte qui la tourmente, car aucune sanction qui compte n’a été prise.
Total demeure garant de près de 1 million d’euros par jour, d’après des ONG, versés dans les mains des chefs du SPDC, anciennement le Slorc, avec qui on a coopéré, volontairement ou pas, depuis vingt ans. On a obéi aux ordres de la junte malgré le cyclone, qui a dévasté le pays : 140 000 morts et disparus. On a courbé l’échine devant la Chine pour ne pas faire de vagues (qui détient la majorité des intérêts dans ce pays « nocturne »). Malgré les promesses, toujours vagues et non tenues de cette même junte, pour le début d’un dialogue, nos menaces restent de faibles protestations sans suites, sans sanctions.
Nos investissements continuent Business as Usual et le reste du monde idem ! Est-ce qu’il n’est pas concevable de trouver un moyen de sauver Aung San Suu Kyi qui, obligée d’agir par elle-même, est peut-être en train de mettre sa vie en danger dans un ultime effort pour tirer l’alarme, pour que les yeux du monde s’ouvrent comme pendant les manifestations safran, en septembre dernier, pour que l’on n’oublie pas les torturés et les morts, disparus de nos écrans de télévision.
Faut-il qu’elle frôle la mort pour que l’on s’intéresse à la détresse de son pays. Sa conviction démocratique, celle des moines, des étudiants, de tous ces gens qui ont eu le courage de braver les soldats, qui ont tiré, et les geôliers qui ont torturé, ont-ils cru en nous, ont-ils même imaginé qu’avec la force des images nous viendrions à leur secours ? Naïfs qu’ils étaient. Le 1er septembre, de meilleures nouvelles, elle a perdu du poids, elle a besoin de repos, cela nous soulage. Elle est encore sauve mais pour combien de temps. Est-ce qu’on pourra se pardonner de n’avoir rien fait, de n’avoir rien tenté pour une femme qui ressemble, par sa démarche pacifiste, à Gandhi, à Mandela.
On a une dernière chance, elle est toujours là… Ne ratons pas cet honneur de protéger Aung San Suu Kyi.