De notre correspondant à New Delhi,
Après dix jours de manifestations devant les grilles de l’usine censée fabriquer la voiture la moins chère du monde, à Singur, près de Calcutta, dans l’Etat du Bengale occidental, le constructeur indien Tata Motors a plié. Il a décidé, mercredi, d’interrompre les travaux de construction du site jusqu’à nouvel ordre, au nom de la sécurité de ses employés. Le groupe justifie sa décision par l’atmosphère « hostile et intimidante » qui règne autour du lieu, encerclé par des centaines de paysans réclamant qu’on leur rende une partie des terres achetées pour le projet.
« Irresponsable ». Dans un communiqué, le constructeur affirme également « évaluer des options alternatives pour fabriquer la Nano » ailleurs, bien qu’il ait déjà dépensé 230 millions d’euros sur le site actuel. Si elle est mise à exécution, cette menace signifierait que la voiture, annoncée au prix record de 100 000 roupies pour le modèle de base (1 700 euros), pourrait finalement coûter plus cher, dépenses supplémentaires obligent. Prévu pour le mois prochain, le lancement de la Nano ne devrait par contre pas être remis en question, Tata Motors ayant apparemment assuré ses arrières en prévoyant de sortir les premières unités dans ses autres usines.
En réalité, le constructeur avait interrompu les travaux sur le site de Singur vendredi dernier, alors que certains de ses employés venaient d’être pris à parti par les opposants au projet. La veille, le groupe avait en effet dû faire escorter par la police 3 600 ouvriers, bloqués à l’intérieur de l’usine. Depuis lors, plus personne n’y a remis les pieds.
La décision de ne pas reprendre le travail marque un durcissement de la situation, qui pourrait priver le Bengale occidental de son plus important investissement depuis des lustres. « C’est un jour triste, a commenté le ministre régional de l’Industrie, Nirupam Sen. Nous ne pensions pas que l’opposition serait à ce point irresponsable. » Comme souvent en Inde, la polémique autour de l’usine de Singur se double en effet d’un conflit politique, puisque Mamata Banerjee, la chef de l’opposition dans cet Etat dirigé depuis plus de trente ans par les communistes, a pris la tête du mouvement de contestation. Les opposants au projet affirment qu’ils n’ont pas été correctement indemnisés par les autorités pour l’achat de leurs terres, en 2006, et réclament donc la restitution de 160 des 400 hectares que compte le projet. Après l’annonce surprise du constructeur, ce sont les partisans de Tata qui ont manifesté à leur tour, mercredi, tabassant au passage les membres du parti d’opposition qui leur tombaient sous la main.
Pourparlers. Hier, le gouverneur de l’Etat du Bengale occidental, Gopalkrishna Gandhi, a de son côté entamé des discussions avec le gouvernement régional et l’opposition, dans l’espoir d’organiser des pourparlers aujourd’hui, si possible avec Tata. Pour l’heure, le constructeur, manifestement exaspéré par l’accumulation d’obstacles que rencontre sa « voiture du pauvre », n’a cependant pas confirmé sa présence à cette rencontre.
Les déboires de la Nano, qui devait être produite à 250 000 exemplaires par an pour commencer, illustrent plus largement le face-à-face qui oppose, de plus en plus régulièrement, les grands groupes industriels aux petits paysans qui refusent de céder leurs terres. Depuis deux ans, des dizaines de personnes ont en effet été tuées dans des affrontements à répétition autour de sites destinés à accueillir des « zones économiques spéciales » – à savoir des zones franches –, synonymes de la volonté de l’Inde de rattraper son retard industriel, notamment sur la Chine. L’année dernière, les autorités du Bengale occidental avaient d’ailleurs annulé la construction d’un complexe chimique après une bouffée de violence : la police avait ouvert le feu sur une foule de milliers de manifestants qui bloquaient l’accès au site depuis deux mois.