Le 7 septembre 2008 le gouvernement américain a présenté un plan pour venir en aide aux deux grands organismes de refinancement hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae. La banque centrale, la Fed, s’est engagée à leur fournir des liquidités, mais cela ne saurait suffire : comme les autres banques en difficulté, les deux institutions ont avant tout besoin de disposer de capitaux pérennes, de reconstituer leurs fonds propres. Le plan présenté prévoit que le Trésor public achètera des actions des deux entités, mais avec le montant annoncé (un milliard de dollars) on ne perçoit pas une volonté de prise de contrôle. En fait, et contrairement à ce qui a été dit, nous ne sommes pas en présence d’une nationalisation. Le plan a surtout pour objectif de faire face aux dettes des deux organismes, qui s’élèvent à 1600 milliards de dollars, dont 230 (une bagatelle !) viennent à échéance fin septembre. Le Trésor prévoit de racheter une partie de cette dette, pour un total qui pourrait aller jusqu’à 100 milliards de dollars pour chacune des deux sociétés. Le montant a beaucoup impressionné, mais, pour le moment, il n’y a rien de fait. Il est bien précisé que ces achats auront lieu « seulement quand cela sera nécessaire et à des conditions jugées appropriées ». Manifestement il y a l’espoir que l’effet d’annonce suffira et qu’il ne faudra pas passer à la caisse.
Nous pouvons en dire autant des achats par le Trésor des titres « adossés » à des crédits hypothécaires émis par Fannie et Freddie. Il est nettement affirmé que ces achats commenceront au cours de ce mois, mais immédiatement précisé que leur calendrier sera à la discrétion du secrétaire au Trésor et que leur importance sera « fonction des développements sur les marchés des capitaux et de l’immobilier », c’est-à-dire toujours le même contraste entre l’intention tonitruante et la réticence à mettre la main à la poche. Au total, nous n’avons pas à faire à une nationalisation, mais pas à un plan de sauvetage non plus. C’est un plan de survie, un goutte-à-goutte pour deux entités en perdition, qui vise à leur maintenir la tête hors de l’eau, en espérant que ça finira par s’arranger. La seule chose qui apparaît clairement dans le plan présenté est que le gouvernement veut garder les mains libres pour faire face aux dettes des deux organismes, tout en mettant sur la table le moins d’argent possible.
Il est assez facile de comprendre pourquoi : débourser les 200 milliards de dollars prévus ferait tout simplement doubler le déficit du budget fédéral ! Pour 2007, celui-ci s’est élevé à 229 milliards de dollars. Dans la mesure où le taux d’épargne des ménages est pratiquement nul, l’accroissement de l’endettement du gouvernement fédéral signifie de fait un accroissement de l’endettement déjà colossal des Etats-Unis à l’égard de l’étranger. Ce qui n’ira certainement pas de soi. Autant dire que ce plan, qui semble si aisé (que les contribuables payent !) sera en réalité d’une application particulièrement délicate, et il n’est pas dit qu’il soit réalisable. S’il l’était, le prix à payer serait particulièrement élevé : la politique budgétaire serait paralysée, ses marges de manœuvre pratiquement épuisées, rendant par exemple extrêmement difficile un nouveau plan de relance.
La meilleure preuve qu’il y a un gros problème de moyens, nous la trouvons dans la volonté du gouvernement de réduire drastiquement la taille des opérations des deux organismes. Les prêts hypothécaires et le portefeuille de titres adossés à des crédits immobiliers détenus par les deux groupes ne devront pas dépasser 850 milliards dollars au 31 décembre 2009. Ils devront ensuite baisser de 10% par an jusqu’à ce qu’ils soient revenus à 250 milliards. Il s’agit d’une extraordinaire cure d’amaigrissement. Même si le gouvernement achète en quantités importantes des titres « adossés » à des créances hypothécaires émis par Fannie et Freddie (ce qui est fort douteux), un tel objectif n’est réalisable que si les deux sociétés réduisent considérablement le montant des créances rachetées. Le gouvernement veut manifestement restreindre au plus vite l’aide qu’il serait amené à apporter aux deux organismes. Il affirme aussi vouloir « sauver le marché immobilier » mais cette volonté se heurte à l’ampleur de la crise rapportée à l’étroitesse des moyens disponibles. Soumis à cette contrainte, le plan prépare pour les deux « F » un avenir en peau de chagrin. Ce qui serait un coup sévère porté à un marché hypothécaire déjà en chute libre. Ce qui est aussi une forme d’aveu. L’aveu que la mise sous tutelle n’est pas une renaissance, mais une faillite et que (illustrant le stade atteint par la crise immobilière et financière) les deux plus importants organismes de refinancement hypothécaire des Etats-Unis sont à mettre à la casse.