« Quel est le statut d’un fœtus ? ». C’est le débat que rouvre la décision de la Cour de cassation, le 6 février dernier. Cette instance a rendu possible l’inscription, sur un registre d’état-civil, d’un fœtus de moins de 22 semaines d’aménorrhée (vingt semaines de grossesse) et de 500 grammes. À l’origine de ce jugement, trois plaintes de familles, qui s’étaient vu refuser cette inscription pour des fœtus morts-nés entre dix-sept et dix-huit semaines.
La Cour de cassation a estimé qu’il n’existait, dans le code civil, aucune mention d’âge ou de poids pour être inscrit à l’état-civil. Jusque-là, la pratique était réglée par la circulaire du 30 novembre 2001. Ce texte, sans valeur juridique, fixe à 22 semaines d’aménorrhée le seuil de reconnaissance qui permet l’établissement d’un acte de naissance (avec la mention « enfants sans vie »). Ce terme se fondait sur une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), datant de 1977, qui estimait qu’un enfant était viable à partir de ce terme et d’un poids minimum de 500 grammes. Lorsqu’une grossesse s’interrompt à ce terme, des obsèques sont possibles, mais elles ne sont pas obligatoires. Le lendemain de la décision de la Cour de cassation, le médiateur de la République a demandé au Parlement de clairement définir le seuil de viabilité à 22 semaines d’aménorrhée et de donner une force juridique à la circulaire du 30 novembre 2001.
Rebondissements juridiques
Reste à comprendre pourquoi cette décision de la Cour de cassation a suscité tant de remous. Elle a rouvert la boîte de Pandore au sujet du statut du fœtus et du commencement de la vie humaine. L’Église catholique – et les différents fondamentalistes – considère que celle-ci débute à la conception même. Ce qui leur permet de justifier leur opposition à toute utilisation d’embryons pour la recherche médicale et au clonage thérapeutique. Quelques jours après l’annonce de la décision de la Cour de cassation, lors de la conférence doctrinale annuelle des évêques de France, le cardinal André Vingt-Trois déclarait d’ailleurs, dans une interview au journal Ouest-France : « Quand la Cour de cassation décide de légitimer l’inscription d’un fœtus comme membre de la famille, cela signifie bien que ce fœtus a un statut. La position de l’Église est que l’on doit agir comme si l’embryon était une personne. »
Du côté des mouvements « pro vie », l’Alliance pour les droits de la vie a salué cette décision juridique. Son délégué général, Tugdual Derville, opposé à Maïté Albagly, secrétaire général du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) sur le plateau d’I-télé, lui demandait de défendre « un féminisme qui ne nie pas la douleur des deuils prénataux ». Cette rhétorique de la douleur des femmes et des familles est une constante pour ce type de mouvements. Ainsi, la même Alliance pour les droits de la vie a réagi à la campagne d’affichage réalisée par le MFPF, la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac) et l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (Ancic), campagne financée par le conseil régional d’Île-de-France et dont le slogan était « Sexualité, avortement, contraception, un droit, mon choix, notre liberté ». Ce mouvement « pro vie » a réalisé une contre-campagne, avec des affiches apposées sur celles de la campagne régionale : « Mon absence, mes larmes, mon remords ».
L’offensive pour la reconnaissance de la douleur des familles n’est pas nouvelle. Ces dernières années, plusieurs événements sont allés dans ce sens. Épisode marquant de cette offensive récurrente, l’amendement Garraud. Ce texte, adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi sur la lutte contre la violence routière, créait le « délit d’interruption involontaire de grossesse » ayant entraîné la mort d’un enfant à naître sans le consentement de la mère, en prévoyant une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende en cas d’interruption de grossesse causée « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence ». À la suite d’une mobilisation des associations féministes et des organisations de gauche, le Sénat avait abandonné cet amendement.
Comparaison déplacée
Ces épisodes juridiques ne font pas porter de réel danger, d’un point de vue législatif, sur le droit à l’avortement. Ils ne vont pas dans le sens d’une remise en cause de la loi Veil : on oublie trop souvent que celle-ci ne dépénalise pas l’avortement, mais qu’elle encadre strictement sa pratique. Beaucoup de gens ignorent ainsi l’article 1er de ce texte : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. »
Pourquoi donc ces tentatives de donner un statut juridique au fœtus ? Pour frapper au niveau symbolique : il est plus difficile d’argumenter contre quelqu’un qui vous parle de la douleur des femmes et prétend ne pas vouloir revenir sur le droit légitime à l’avortement, que contre une personne qui clame que celui-ci doit disparaître. À une échelle internationale, le « détour » par le statut du fœtus s’observe aussi. Ainsi, en 2002, l’administration Bush a pris pour prétexte l’amélioration de la couverture santé des femmes démunies pour qualifier d’enfant non né (« unborn child »), le fœtus et même l’embryon (avant douze semaines de grossesse). Les femmes migrantes en situation illégale ne bénéficieraient pas de la couverture santé, contrairement à leur enfant, sans d’ailleurs qu’aucune obligation de financement ne soit faite aux États. Cette initiative ne coûte pas grand-chose, mais elle s’inscrit tout à fait dans la politique de Bush : l’une de ses premières mesures a été de suspendre tout financement américain aux structures assurant une mission de planification dans les pays du Sud.
S’il faut combattre pied à pied toutes ces tentatives, il est aussi nécessaire d’intégrer les modifications intervenues, au cours des dernières décennies, dans la perception du fœtus. Depuis le développement des échographies, il a pris une réalité plus importante pour les futurs parents. La connaissance du sexe et les travaux sur l’accompagnement de la grossesse (haptonomie, etc.) font du fœtus un quasi-bébé, dans le cadre d’un projet d’enfant. D’où une véritable détresse quand un accident, une maladie, voire une erreur médicale, interrompent une grossesse désirée. Mais, s’il faut que ces « parents » puissent exprimer leur douleur, est-ce nécessaire de légiférer ? Comment surtout ne pas s’alarmer de la comparaison qui est faite entre la douleur ressentie lors d’une interruption médicale de grossesse et un avortement, quel que soit son terme ? D’un côté, une grossesse qui avait été investie – dans ce qui était un enfant pour les parents et, de l’autre, le sentiment d’une femme qui ne veut pas de cette grossesse et souhaite « s’en débarrasser ». N’est-ce pas la volonté de la femme et ses projections qui donnent une existence à un fœtus ?
Moïra Berthet
8 MARS : Journée internationale des luttes des femmes
La journée du 8 mars trouve son origine dans les manifestations de femmes du début du xxe siècle, en Europe et aux États-Unis, réclamant de meilleures conditions de travail et le droit de vote. Aujourd’hui, elle reste d’actualité avec un contexte politique inquiétant de remise en cause partout des droits des femmes et de leurs acquis, en France, en Europe et dans le monde, tant sur le plan privé que public (avortement, droit du travail, retraite, etc.). Les revendications concernant les droits des femmes participent des droits humains fondamentaux, sans lesquels aucune société ne peut être considérée comme égalitaire et démocratique.
Un rassemblement, appelé par les associations féministes et auquel la LCR participera, se tiendra à Paris, samedi 8 mars, à 15 h, Fontaine des Innocents (métro les Halles). À noter également, les journées intersyndicales des 13 et 14 mars. Elles sont organisées par l’intersyndicale femmes, qui regroupe, depuis 1998, des militantes de la FSU, de la CGT et de Solidaires dans le but d’organiser, chaque année, au mois de mars, des journées d’études « femmes » sur deux jours. Au programme de cette année : état des lieux des inégalités au travail, formation intersyndicale femmes, Mai 68 : une nouvelle étape vers l’émancipation des femmes, corps des femmes : normes, représentations, contrôle, ordre moral. À la Bourse du travail (11, rue Genin, 93200 Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, M° Porte-de-Paris).
(Au jour le jour)