Rares sont les jours sans reportages ou articles de presse sur le pouvoir d’achat, les hausses de prix, les travailleurs pauvres ou les « astuces pour dépenser moins ». La situation économique et sociale s’aggrave, et les explications données se ressemblent souvent. On invoque l’euro fort ou le prix du baril pour aboutir à un constat fataliste : « C’est la crise, on n’y peut rien ; il va falloir se serrer un peu plus la ceinture. » Tout ceci pour essayer de cacher que la logique du système capitaliste est en cause et que les profits de quelques-uns font la misère de beaucoup d’autres.
Pour la majorité de la population, les fins de mois sont de plus en plus difficiles. Actuellement, la France compte 7,9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté – moins de 880 euros par mois – et 2,2 millions de travailleurs pauvres [1]. Mais nombreux sont ceux qui, au-dessus du seuil des 880 euros, vivent également dans la misère. En 2005, 11,4 millions de salariés, soit 41 % de la population active, avaient un emploi ne permettant pas de vivre décemment. Et la moitié de la population dispose d’un revenu inférieur à 1 466 euros par mois. Pas de quoi faire la fête… La Banque alimentaire estime avoir distribué 142 millions de repas en 2007 – 8 % de plus qu’il y a deux ans. Selon son enquête, 15 % des « bénéficiaires » sont salariés et 14 % retraités. Des millions de personnes sont donc touchées par la précarité et les « faims » de mois.
Camouflages
Parallèlement, selon l’Insee, entre août 2007 et août 2008, les produits de grande consommation dans les grandes surfaces ont augmenté de 5,2 %. Selon une étude de l’UFC-Que Choisir, la hausse des produits dans les supermarchés et hypermarchés a atteint 6,6 %, entre janvier et août 2008. Les distributeurs ayant compris que les consommateurs avaient de plus en plus de mal à acheter des produits de marque, ils se sont de plus en plus concentrés sur leurs marques de distributeur (MDD). Ils en ont tous profité pour augmenter leurs marges sur ces produits, la palme revenant à Carrefour, entreprise du CAC 40, qui a augmenté de 10,91 % les produits de sa marque dans ses hypermarchés.
Les grandes surfaces qui effectuent ces augmentations réalisent de confortables marges, ce qui n’empêche pas les conditions de travail d’y être très dures avec, en particulier, un flicage permanent des salariés. Dans Journal d’un médecin du travail [2]
La revue 60 millions de consommateurs a révélé une autre arnaque, consistant à masquer les hausses de prix en modifiant la contenance des produits. Ainsi, le paquet de biscuits Prince de Lu est passé de 330 grammes à 300 grammes pendant l’été, soit 10 % en moins pour le même prix. De même, le pot de fromage blanc de Danone est passé d’un kilo à 850 grammes. Ces camouflages, réalisés par des groupes opulents – Danone, entreprise du CAC 40, a multiplié son bénéfice net par quatre en 2007, soit 4,18 milliards d’euros –, sont scandaleux. Les dynasties de la grande distribution se sont hissées au haut du palmarès des grandes fortunes du pays et elles comptent parmi les grands de la distribution mondiale. La famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, est par exemple la cinquième fortune de France.
Marché truqué
90 % du marché alimentaire français sont entre les mains de cinq centrales d’achat : Carrefour en détient 26,2 %, Lucie (Leclerc et Système U) 23,8 %, Opéra (Casino, Cora, Franprix, Leader Price et Monoprix-Prisunic) 15,7 %, Intermarché (14,4 %) et Auchan (12,9 %) [3]. Pour l’essentiel, marché et concurrence servent moins à fixer les prix que les ententes entre les principales centrales d’achat. Ainsi, comme c’est souvent le cas, les plus fervents adeptes de l’économie de marché et du libre-échange sont les premiers à s’entendre pour imposer l’oligopole [4] et éviter la concurrence.
En revanche, ces cinq centrales d’achat, dont les 400 plateformes approvisionnent à peu près tous les supermarchés, s’entendent pour mettre en concurrence les 600 000 producteurs du pays ou les coopératives, en fixant les prix à leur gré dans la plus grande opacité. Elles imposent des prix d’achat aux producteurs et elles fixent ensuite les prix de vente, non seulement dans leurs enseignes, mais aussi sur l’ensemble du marché de gros, et donc sur les prix du petit commerce. En faisant baisser les prix en dessous du coût de production, elles étranglent les producteurs. En même temps, elles rehaussent le prix de vente au consommateur (par sept, par exemple, concernant les fruits et légumes).
Les centrales d’achat ont été créées après la Deuxième Guerre mondiale afin de contrer le marché noir, dans une situation de « pénurie », où il pouvait y avoir, comme en 1949, des écarts de un à quatre entre le prix de production et le prix de vente. 50 ans plus tard, le rapport reste inchangé. Aujourd’hui, ces centrales achètent au prix le plus bas et revendent au prix le plus haut. Les grandes enseignes de distribution obligent même souvent les producteurs à prendre en charge les frais de mise en rayon, de stockage, de livraison jusqu’au magasin, etc. En situation d’oligopole, elles peuvent provoquer artificiellement des pénuries afin de faire monter les prix de vente ou, au contraire, inonder brutalement le marché afin d’obliger les producteurs à baisser leurs prix.
De fait, les prix ne sont composés que de deux éléments : la rémunération du fournisseur (agriculteur ou entreprise industrielle), de plus en plus comprimée, et celle du distributeur, qui se taille la part du lion. Les cinq centrales d’achat portent une lourde responsabilité dans la disparition du commerce de proximité et de l’agriculture à taille humaine (et donc, dans la désertification de l’espace rural), dans les délocalisations industrielles et les importations massives. Pourtant, le gouvernement pousse à la création de nouvelles grandes surfaces, pour favoriser une prétendue concurrence censée bénéficier aux consommateurs. La France détient le record d’Europe en densité de supermarchés, sans que l’on puisse constater une quelconque baisse des prix.
Spéculateurs
Les apôtres de la concurrence contrôlent eux-mêmes les prix : un tel contrôle est donc possible. La LCR est pour l’ouverture des livres de comptes des grands groupes et pour le contrôle des prix, à la production comme à la consommation. Non pas pour répondre aux intérêts des grands groupes capitalistes, mais aux besoins de la population. Pour cela, il faut mettre en place un organisme composé des organisations ouvrières, des organisations paysannes de petits producteurs étranglés par les grandes surfaces, d’usagers et de consommateurs. Les premières mesures à prendre consisteraient à bloquer les prix, puis à les baisser, en s’en prenant aux profits des groupes de l’agroalimentaire et aux marges des centrales d’achat, avant de supprimer la TVA sur les produits alimentaires de grande consommation.
Au fond, il n’y a aucune raison qu’une activité jouant un rôle clé dans l’économie soit entre les mains de grands groupes capitalistes ayant démontré qu’ils n’étaient là que pour faire des profits sur notre dos. Nous avons besoin d’un « service public de la distribution », sous contrôle des travailleurs (des villes et des champs). Cela passe par l’expropriation des cinq centrales d’achat.
Après tout, c’est de manger à sa faim et de se nourrir correctement qu’il est question ici. Il ne s’agit pas d’un luxe, mais d’un droit pour tous, qui ne sera assuré que si l’on commence à s’en prendre aux profits, à tous ces affameurs qui spéculent sur notre nourriture. Les moyens d’assurer une vie décente à l’ensemble de la population existent, mais le capitalisme, fondé sur l’exploitation, se nourrit d’injustices, même lorsqu’il s’agit de manger à sa faim. C’est de tout un système qu’il faut se débarrasser.
Basile Pot
LA PAUVRETÉ LES INTÉRESSE
Vous n’avez pas assez d’argent pour faire vos courses ? Pas de problème, les organismes de crédit vont vous aider… À coup de crédits Cetelem, Cofidis, Sofinco et autres Carrefour Crédit Pass, vous pourrez remplir vos caddies. Il y a même certaines offres alléchantes de bienvenue annonçant des taux effectifs globaux [5] à 4,90 % pendant six mois… avant de passer à 20,20 % ! Ou encore des taux à 19,89 %, mais révisables… En tout, ce sont 130 milliards d’euros de crédits à la consommation qui courent. Ces prêts servent à « pallier » le manque d’argent dû aux salaires trop bas, tout en continuant d’appauvrir ceux qui les contractent.
AUGMENTATION ET INDEXATION DES SALAIRES
L’indice des prix à la consommation (IPC), calculé par l’Insee, sert à revaloriser le Smic, les pensions ou les allocations. Il est largement inférieur au coût réel de la vie. Par exemple, l’Insee considère que le logement, l’eau et l’électricité ne concernent que 13,7 % des dépenses des ménages, alors que le loyer, à lui seul, pèse pour un tiers dans les dépenses des ménages populaires, et qu’un smicard y consacre en moyenne la moitié de son salaire. Il faut donc un nouvel indice, géré par les organisations ouvrières et de consommateurs, qui nous permette d’exercer un réel contrôle sur les prix.
Ce qui est en jeu, derrière la question des prix, c’est la question des salaires. C’est l’angle déterminant à partir duquel il faut envisager la lutte contre la vie chère. Vivre aujourd’hui avec un revenu inférieur à 1 500 euros net relève de la gageure. Vivre bien, ce n’est pas seulement se nourrir, c’est aussi pouvoir s’habiller, se déplacer, aller en vacances, sortir au cinéma, acheter des livres…
Face à une inflation de 3,2 % sur les douze derniers mois (inférieure à la hausse des prix alimentaires), il faut imposer une échelle mobile des salaires, c’est-à-dire l’indexation des salaires sur les prix. Enfin, la LCR milite pour l’augmentation générale des salaires et des retraites de 300 euros net par mois et pour qu’aucun revenu ne soit inférieur à 1 500 euros net. Une telle augmentation représenterait un peu plus de 170 milliards d’euros, soit l’équivalent des dix points du produit intérieur brut (PIB) qui sont passés des poches des salariés à celles des capitalistes ces 25 dernières années.
Basile Pot
• À lire : Denis Clerc, La France des travailleurs pauvres, Grasset et Fasquelle, 2008, 141 pages, 16,90 euros ; Christian Jacquiau, « Racket dans la grande distribution “à la française” », Le Monde diplomatique, décembre 2002 ; « Enquête prix, le pouvoir d’achat au tapis », Que Choisir, août 2008 ; « Comment les marques camouflent les hausses de prix », 60 millions de consommateurs, 25 septembre 2008.
* Paru dans Rouge n°2268, 02/10/2008.
Salaire et profit
En début de semaine, en ouverture de sa session extraordinaire, l’Assemblée nationale a discuté du projet de loi « en faveur des revenus du travail », sur l’intéressement et la participation, présenté par le ministre du Travail, Xavier Bertrand. Il se propose de doubler en quatre ans les sommes distribuées au titre de l’intéressement avec, bien sûr, une contrepartie pour les patrons, un crédit d’impôt de 20 %. Le dispositif ne sera obligatoire que dans les entreprises de plus de 50 salariés. Les salariés pourront choisir, chaque année, de percevoir ou non leur participation, alors que celle-ci était jusqu’à présent bloquée pour cinq ans. Les sommes seront soumises à l’impôt sur le revenu.
Au passage, la loi modifie la procédure de fixation du Smic. Il sera désormais établi par une commission « indépendante » d’experts, en fonction de la situation économique… En un mot, selon les seuls intérêts du patronat et de ce qu’il accepte de lâcher. C’est, de fait, le début de sa remise en cause.
Pour tenter de convaincre de ses bonnes intentions, le gouvernement annonce des sanctions contre les patrons qui ne rempliraient pas leur obligation d’ouvrir une négociation annuelle sur les salaires. Le montant de leurs allégements de cotisations patronales serait réduit de 10 % pendant deux ans. Tremblez patrons, le gouvernement brandit la menace de vous faire un peu moins de cadeaux si vous ne faites pas semblant de négocier ! Voilà, le gouvernement a tout dit ! Selon Sarkozy, « c’est la seule façon, avec les heures supplémentaires défiscalisées […] de répondre à la question angoissante du pouvoir d’achat ». Il n’y a rien à ajouter, le bluff du candidat du pouvoir d’achat a fait long feu et cède la place à une première remise en cause du Smic.
Il est évident que ce n’est pas le manque d’argent qui paralyse le patronat et les gros actionnaires, dont Sarkozy met en musique la politique. La crise financière et boursière, qui a connu un nouvel épisode aigu, vient une nouvelle fois le rappeler : le monde croule, étouffe à strictement parler, sous l’argent, les masses de capitaux avides de toujours plus de profits. Et ce n’est pas qu’aux États-Unis et à Wall Street, mais bien à l’échelle de la planète et, en particulier, en Europe et ici.
De l’argent pour spéculer, jouer des milliards sur le mercato des banques ou entreprises en faillite, de l’argent pour renflouer les financiers mis en difficultés par leurs propres frasques, il y en a par milliards. L’État et le Trésor américains ont décidé de dépenser jusqu’à 700 milliards de dollars en deux ans pour racheter les créances et actions douteuses des banques et institutions financières afin de rétablir la confiance. La Banque centrale européenne (BCE) n’est pas en reste. Après avoir offert, sur une seule journée, 30 milliards d’euros pour une opération de refinancement, elle a passé la vitesse supérieure en injectant 70 milliards d’euros dans les circuits bancaires et financiers. Ces milliards s’ajoutent à tous ceux qui ont déjà été injectés depuis le début de la crise des subprimes. Rien ne dit que cela suffira à stabiliser le système, tout laisse plutôt penser l’inverse.
Les marchés financiers, maniaco-dépressifs, sont passés de la déprime à l’enthousiasme, et les Bourses ont connu de fortes hausses. Les gouvernements affichent optimisme et confiance. « Le gros risque systémique qui était craint par les places financières et qui les a amenées à beaucoup baisser au cours des derniers jours est derrière nous », selon la ministre de l’Économie, Christine Lagarde. N’était-ce pas elle qui affirmait, il y a peu : « La crise de l’immobilier et la crise financière ne semblent pas avoir d’effet sur l’économie réelle américaine. » Ou, le 20 août dernier, faisant écho à Sarkozy : « Je pense qu’on a le gros de la crise derrière nous. » Leur bêtise et leur aveuglement n’ont d’égal que leur arrogance.
C’est la même Christine Lagarde qui voit des mouvements « plutôt favorables à notre économie » et tente de rassurer : « J’observe que, depuis début juillet, le pétrole a perdu 30% et que le prix du gazole et de l’essence à la pompe a lui aussi baissé […]. Si ces conditions se poursuivent, on va avoir une inflation qui sera autour de 3%, un peu au-dessus, mais aussi peut-être un peu en dessous. » Les travailleurs, eux, observent que les prix ne cessent d’augmenter, que les salaires stagnent. Même les statistiques officielles le disent. Le ministère de l’Emploi enregistre « une perte de pouvoir d’achat de 0,4 point ». Dans les faits, le recul du pouvoir d’achat est, pour la grande majorité de la population, bien plus important, car les hausses les plus fortes portent sur les produits de première nécessité.
Une telle situation est inacceptable. Patrons et gouvernement espèrent que les inquiétudes provoquées par la crise décourageront les mobilisations. Ils voudraient que les salariés acceptent de se sacrifier pour qu’ils puissent tirer leur épingle du jeu. Ce serait de notre part pur aveuglement que d’accepter de laisser le patronat, les gros actionnaires spéculer avec nos vies. Les laisser faire, c’est laisser se dégrader la situation, c’est préparer le pire. Oui, c’est à eux de payer, pas à nous.
Yvan Lemaitre
* Paru dans Rouge n° 2267, 25/09/2008 (Premier plan).