PÉKIN CORRESPONDANCE
A en croire la presse officielle, une « réforme majeure » des terres agricoles devrait être décidée lors de la 3e session plénière du 17e comité central du Parti communiste chinois, qui s’achève le 12 octobre. Une annonce hautement symbolique : il y a trente ans, en 1978, lors d’une autre session plénière du cercle dirigeant du parti, Deng Xiaoping avait entériné « le virage historique de l’ouverture et des réformes », rappelle l’agence de presse Chine nouvelle.
La nouvelle réforme pourrait permettre aux ruraux « d’échanger, de louer ou d’hypothéquer leur droit d’usage et d’en tirer profit, afin de financer leur installation dans les villes », explique Dang Guoying, un expert de la question rurale à l’Académie chinoise des sciences sociales, cité par le China Daily. Il s’agirait non de privatiser les terres, mais de sceller par une forme juridique et contractuelle solide, sous forme d’un bail directement monnayable, le droit d’usage des paysans. Il s’agit pour les dirigeants actuels, en s’attaquant à la question des terres, de mener plus loin la « nouvelle donne » pour les campagnes amorcée il y a deux ans avec la suppression des taxes pour les paysans et l’ébauche d’un système plus étendu de sécurité sociale.
La question des terres est critique en Chine, où 750 millions de personnes sont classés comme ruraux. Elle est la source chaque année de dizaines de milliers de conflits dans les campagnes. Le système de production actuel n’est pas non plus adapté aux impératifs de sécurité alimentaire de la Chine d’aujourd’hui, car il favorise des exploitations morcelées, et donc une agriculture peu mécanisée et peu productive.
Les paysans chinois n’ont pas le droit de céder les terres qu’ils cultivent selon un droit d’usage et dont ils sont propriétaires collectivement. Ce droit en incombe au comité du village. Dans les faits, celui-ci, le plus souvent contrôlé par le gouvernement local, en use et en abuse : seule une infime fraction (1/30e en moyenne selon les experts chinois) des sommes payées pour les terres collectives parviennent aux paysans.
VIDE JURIDIQUE
Pour illustrer la réforme à venir, le président Hu Jintao a rendu une visite très médiatisée, fin septembre, en pleine fête nationale, au village de Xiaogang, dans la province de l’Anhui (est). Le lieu est lui aussi très symbolique. C’est à Xiaogang, en décembre 1978, que 18 paysans signèrent un pacte secret qui allait attribuer à chaque foyer un lopin de terre à cultiver... et mettre en pratique, sans le savoir, la nouvelle philosophie de marché de Deng Xiaoping, qui instaura ensuite à grande échelle ce système dit de « responsabilité des ménages », enterrant le collectivisme de l’ère Mao.
Car, Xiaogang, comme l’explique un long reportage de l’agence Chine nouvelle, est aujourd’hui encore un village pionnier. Ses habitants ont trouvé le moyen de louer leurs terres à plusieurs exploitations agricoles, plus performantes, qui leur versent un loyer et emploient certains d’entre eux. Yan Jinchang, l’un des 18 signataires du pacte de 1978, âgé aujourd’hui de 65 ans, a ainsi loué son lopin à un éleveur de volailles de Shanghaï. Le chef du village, cité par l’agence, raconte que le revenu annuel par tête à Xiaogang est aujourd’hui de 6 000 yuans, contre 4 140 en moyenne en Chine.
L’évolution du village illustre celle des campagnes chinoises. Dans les années 1980, la responsabilisation des paysans libère les énergies et fait décoller les campagnes, alors mieux loties que les villes. Les villageois de Xiaogang travaillent, accumulent de l’argent, construisent des maisons. Dans les années 1990, le mouvement s’inverse et certains paysans retombent dans la pauvreté. Avant de trouver un modus operandi, qui attend sa validation par le pouvoir : « Nous sommes à un nouveau départ : il faut un nouveau système pour les zones rurales », dit un paysan, inquiet du vide juridique actuel autour des baux.