De nouvelles révélations prouveraient que Securitas a continué son espionnage d’Attac bien au-delà de 2005, alors que l’entreprise avait affirmé publiquement avoir cessé ses infiltrations cette même année. Un rapport, censé disculper la police cantonale vaudoise dans les affaires d’espionnage, dont les lacunes et les flous laissent toutefois songeur. Retour sur ces rebondissements. [1]
Une troisième espionne aurait surveillé le groupe « multinationales et mondialisation financière » d’Attac Vaud (dont sont issus les auteur-e-s de Attac contre l’Empire Nestlé) de 2005… à aujourd’hui. [2] Les soupçons se portent sur une femme qui a rejoint le groupe quelques mois après le départ de « Sara Meylan » pour ne plus le quitter. Coïncidence troublante, Sophia [3] a travaillé durant des années pour Securitas. Bien que le secrétaire général de Securitas, Reto Casutt démente qu’il s’agisse là d’une nouvelle taupe sortie de leur collection, ses propos n’en sont pas moins inquiétants. Il reconnaît qu’elle a bien travaillé pour Securitas, mais ajoute-t-il : « […] nous ne l’avons jamais affectée à des missions de renseignement. Si elle en a fait, c’est dans un cadre privé. »
Or, Sophia connaîtrait l’ancien recruteur de Sara Meylan et ex-chef des Investigation Services de Securitas (IS), Alain [4] qui a depuis trois ans sa propre entreprise de sécurité à Fribourg dont l’un des clients actuels est… Nestlé. L’actuel chef de la sécurité de Nestlé, qui travaillait d’ailleurs pour Securitas par le passé, connaît Alain. Aussi, Casutt ferait-il ici référence à son ancien employé devenu concurrent entre temps quand il mentionne que Sophia aurait pu être une taupe à un titre privé ? Le même jour, le Téléjournal de la TSR établissait que Securitas aurait poursuivi ses opérations d’espionnage d’Attac bien au-delà de 2005, alors que la direction de l’entreprise de sécurité avait certifié publiquement le contraire deux semaines plus tôt. Combien de temps l’infiltration d’Attac mandatée par Nestlé a-t-elle réellement duré ? [5]
Multiwatch visé ?
A cet égard, il faut préciser que durant les années 2005-2008, le groupe de travail d’Attac Vaud travaille toujours sur Nestlé, en particulier sur le rôle de la multinationale dans la privatisation de l’eau. Mais le groupe fait aussi activement partie, avec Attac Berne, de Multiwatch [6] qui met sur pied fin octobre 2005 une simulation de procès contre les pratiques de Nestlé en Colombie.
Or, le « tribunal populaire » mis sur pied par Multiwatch dérange beaucoup la multinationale. Il faut noter qu’entre 1986 et 2005, 10 syndicalistes de Nestlé ont été assassinés en Colombie et que Multiwatch s’interroge à cette occasion précisément sur la responsabilité de la multinationale dans le non-respect des droits de l’homme dans ce pays. [7] Selon l’Hebdo, cette manifestation organisée par Mutiwatch est même l’occasion pour l’entreprise de multiplier les intimidations. [8]
Une semaine avant, le secrétaire du Parti socialiste suisse (PSS), Hans-Jürg Fehr est« prié » par le PDG, Peter Brabeck et l’ex-conseiller fédéral Kaspar Williger membre du CA, de prendre ses distances avec Multiwatch et le secrétaire du PSS s’exécutera… En outre, deux semaines avant l’événement, deux membres de Multiwatch qui hébergent des syndicalistes colombiens venus témoigner à l’audience, verront leur maison fouillée de fond en comble. Impossible de faire un lien direct avec Nestlé ; pourtant, ces événements mis ensemble renforcent l’hypothèse très inquiétante d’une troisième taupe mandatée par la multinationale surveillant les activités d’Attac et, par ce biais, celles de Multiwatch.
Police et Securitas : « cachez ces informations que nous ne saurions voir »
Souvenons-nous que lors du Temps Présent du 12 juin, la police cantonale affirmait avoir été au courant de l’infiltration d’Attac. Eh bien, ce n’est plus le cas ! Selon le rapport de l’ancien juge cantonal, la police aurait accepté sans broncher des informations sur des groupes altermondialistes durant le G8 de la part de Securitas, mais, et dans le même temps, elle aurait refusé lorsque l’entreprise voulait leur en vendre. Après le G8, la police cantonale a été mise au courant d’opérations de ce genre, mais, jure-t-elle, ne savait rien de l’identité des groupes infiltrés et de leurs taupes respectives. [9]
Le problème, c’est que le juge s’est contenté d’interroger des responsables de la police et de les croire sur parole. Pourtant, ces trois derniers mois de nouveaux faits, liens et contradictions laissent penser qu’il y a pour le moins anguille sous roche dans cette affaire, ou pour prendre une métaphore encore plus parlante, « baleine sous caillou ». Un caillou qu’il est possible de soulever, si l’on s’en donne les moyens. De nouvelles pièces du puzzle sont apparues, mais celles qui semblent les plus importantes manquent cruellement au tableau. L’enquête pénale est toujours en cours. Il est urgent de faire toute la lumière et d’interdire ces pratiques répugnantes d’espionnage privé que le Conseil fédéral a jugées dernièrement problématiques. [10]