Rassemblés le 16 octobre devant la mairie de Zhangmutou, une petite localité du Dongguan (province du Guangdong) convertie en zone industrielle, les milliers d’ouvriers du fabricant de jouets Smart Union, qui a brusquement fermé ses portes en début de semaine, n’avaient pas l’intention de se laisser faire, malgré la forte présence policière. Avant même d’exiger d’hypothétiques indemnités de licenciement ou une allocation chômage qui n’existe pas en Chine pour les travailleurs migrants, ils étaient là pour réclamer les deux mois d’arriérés de salaire que leur devait l’entreprise depuis août.
C’est le gouvernement local qui déboursera donc les 24 millions de yuans (2,6 millions d’euros) dus aux 6 000 employés. Une partie avait déjà été versée en fin de journée et le reste arriverait aujourd’hui, promettait alors un fonctionnaire de Zhangmutou, Luo Weilun, qui a tancé le manque de responsabilité des patrons hongkongais de Smart Union : « La première chose qu’ils ont faite, c’est de s’enfuir », a-t-il dit au South China Morning Post de Hongkong.
Smart Union, qui fournissait de grandes marques américaines de jouet, a fermé car « nous sommes trop dépendants du marché américain, qui est devenu morose », a dit un employé des ressources humaines au China Daily. Selon lui, les coûts salariaux ont grimpé de 12% depuis le passage des nouvelles lois sociales début 2008.
Ce scénario se répète de plus en plus fréquemment en Chine depuis plusieurs mois dans les deux grandes régions exportatrices chinoises – le delta de la rivière des Perles, autour de Canton, et celui du Yangzi, autour de Shanghaï. Mais il touchait jusqu’alors principalement de petits fabricants, mis en difficulté par la hausse concomitante du yuan, des matières premières et des salaires – et dans le cas du jouet, des retombées du scandale de la peinture au plomb.
RÉCITS ALARMISTES
Selon l’administration des douanes chinoises citée par l’agence Xinhua, 3 631 exportateurs de jouets chinois, soit plus de la moitié, auraient disparu depuis début 2008 – pour une fraction certes infime des exportations de jouets, qui étaient toujours en hausse de 1,3 % sur les 8 premiers mois de 2008.
Des milliers de fabricants de chaussures auraient aussi fermé leurs portes, dans ce qui s’apparentait encore à un mouvement sain de consolidation dans des industries morcelées.
Or l’aggravation de la récession en Occident commence à toucher des entreprises de plus grande taille, comme Smart Union. Les « déménagements à la cloche de bois » de patrons chinois défraient la chronique dans le Zhejiang, l’« hinterland » de Shanghaï : à Shaoxing, au cœur de l’industrie textile, la China Printing & Dyeing Holding, l’un des plus gros fournisseurs de teinture, coté à Singapour, a fermé début octobre sans autre forme de procès, laissant sur le carreau 3000 ouvriers – certains n’avaient pas été payés depuis sixmois – et une ardoise de 200 millions de yuans d’impayés. Les directeurs, là aussi, se seraient « enfuis » et près de 1 000 ouvriers ont manifesté, le 8 octobre, selon une organisation non gouvernementale des droits de l’homme basée à Hongkong.
Le 11 octobre, dans la même ville, la Zhejiang Hualian Sanxin, un gros fournisseur de polyester, cessait toute activité, avec, selon la presse locale, une dette 7 milliards de yuans due à ses fournisseurs et à une dizaine de banques. D’autres groupes d’importance ont fait faillite à Yiwu, Ningbo et Taizhou.
Les récits alarmistes de la presse poussaient mardi, le vice-gouverneur du Zhejiang, Chen Min’er, à tenir à Pékin une conférence de presse pour rassurer, statistiques à l’appui : il y avait, certes, des faillites, mais elles n’ont pas lieu « en masse » et sont tout aussi bien dues à des problèmes internes de gestion ou de positionnement qu’à des facteurs extérieurs.
En réalité, les gouvernements des provinces côtières tentent depuis l’été d’alerter Pékin sur le ralentissement de l’activité. Le gouvernement central « a pris acte des tendances baissières », a déclaré il y a quelques jours Du Ying, le vice-directeur de l’agence de planification économique, ajoutant que le « gouvernement étudie une série de mesures qu’il s’apprête à annoncer ». En août, plusieurs sources avaient déjà fait état d’un vaste plan de relance en préparation.
Dans la récession qui s’annonce, la Chine et son économie réelle disposent d’atouts : la crise mondiale peut ainsi accélérer le mouvement de délocalisation des industries à son avantage et favoriser l’exportation de produits bon marché. Pékin dispose aussi d’excédents budgétaires, donc, en théorie, d’une marge de manœuvre assez large pour soutenir l’activité.
Dans la pratique, certains économistes sont moins optimistes : les finances des gouvernements locaux sont, en réalité, grevées par des dettes cachées. L’absence de filet de sauvetage social pour des travailleurs migrants, bien plus au fait de leurs droits qu’auparavant, menace un « contrat social » qui reposait sur la croissance continue et le quasi plein-emploi. Rembourser les salaires impayés est une chose ; trouver de l’emploi à des armées de chômeurs en est une autre.
Brice Pedroletti
La croissance chinoise passe sous la barre des 10%
La croissance chinoise est passée sous la barre des 10% au troisième trimestre 2008.
La croissance de l’économie chinoise a ralenti plus nettement que prévu au troisième trimestre 2008. Elle s’établit à 9 % en rythme annuel, contre 10,1 % au deuxième trimestre, a annoncé, lundi 20 octobre, le Bureau national des statistiques.
La crise financière mondiale a un impact sur les investisseurs chinois et sur la confiance des consommateurs, et la Chine constate les retombées de la crise sur les investissements étrangers directs, a déclaré le Bureau national des statistiques. Il est toutefois plus délicat que d’ordinaire d’interpréter les statistiques du troisième trimestre parce que Pékin a tout fait pour réduire la pollution dans la région de la capitale au moment des Jeux olympiques, cet été. Cela avait entraîné d’importantes fermetures d’usines ainsi qu’une limitation de la circulation, ce qui avait affecté la production.
La dernière année complète où le taux de croissance chinois n’était pas à deux chiffres remonte à 2002, quand il avait été de 9,1%. Cela ne devrait pas empêcher « l’économie socialiste de marché » de passer devant celle de l’Allemagne et se classer au troisième rang mondial.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 20.10.08 | 08h06 • Mis à jour le 20.10.08 | 08h51.