NEW DELHI CORRESPONDANT
« La nation est confrontée à une offensive terroriste sans précédent », a commenté, samedi 1er novembre, le quotidien The Hindu dans un éditorial consacré à la vague d’attentats qui, deux jours auparavant, a ensanglanté l’Etat de l’Assam, situé dans l’extrême nord-est de l’Inde. Un groupe islamiste inconnu, Forces de sécurité - Moudjahidins indiens, a revendiqué, vendredi, la série de treize explosions quasiment simultanées survenues dans plusieurs villes de l’Assam, dont la capitale, Guwahati. Le bilan s’élève à 77 morts et 300 blessés. Les véhicules piégés avaient été placés aux abords d’immeubles officiels ou de marchés populaires. Il s’agit des attentats les plus meurtriers jamais perpétrés dans l’Assam, un Etat pourtant familier des violences ethniques et des insurrections séparatistes.
La dénomination Forces de sécurité - Moudjahidins indiens renvoie au groupe Moudjahidins indiens, responsable d’une campagne d’attentats en 2008 à Jaipur (Rajasthan), Ahmedabad (Gujerat) et New Delhi. La revendication semble accréditer la piste djihadiste, alors que les autorités locales avaient initialement pointé du doigt un groupe séparatiste assamais, le Front uni de libération de l’Assam (ULFA).
Des sources policières citées par la presse indienne n’excluent toutefois pas une collaboration entre les deux mouvances. Les séparatistes mettraient leur enracinement local à la disposition d’islamistes. Mais plutôt que les obscurs Moudjahidins indiens, les services indiens privilégient la piste du Harkat-ul-Jihad-al-Islami (HuJI), un groupe islamiste né au Pakistan avant de prospérer au Bangladesh.
Le nord-est de l’Inde est le maillon faible de la cohésion géopolitique indienne. Située aux confins du Bangladesh, du Bhoutan, de la Chine et de la Birmanie, la région est un emboîtement d’ethnies en proie à des revendications identitaires exacerbées par une immigration venant du reste de l’Inde mais surtout du Bangladesh. Confronté dès l’indépendance, en 1947, à cet enchevêtrement de forces centrifuges, New Delhi avait accepté d’amputer l’Assam de sa périphérie tribale christianisée, créant ainsi en 1963 l’Etat du Nagaland, puis en 1972 ceux du Mizoram, du Meghalaya, de l’Arunachal Pradesh, du Manipur et du Tripura. Dans les années 1980, ce fut au tour de l’Assam, réduit à la portion congrue, d’être le théâtre d’une insurrection séparatiste, suscitant à son tour la rébellion du sous-groupe Bodo.
PRESSION DÉMOGRAPHIQUE
Une des sources des ressentiments locaux est l’immigration des Bangladais musulmans dans la région, qui vient ajouter un clivage religieux à la poudrière ethnique. Selon les Forces de sécurité de la frontière (BSF), l’Inde compterait un total d’1,2 million d’immigrants illégaux bangladais. Une grande partie d’entre eux s’est installée dans l’Assam voisin. A ce flux s’ajoutent les Banglandais - 65 000 depuis 2005 - entrés légalement en Inde mais qui ne sont pas retournés au pays après l’expiration de leur visa.
Une telle pression démographique attise les conflits fonciers avec les groupes tribaux, comme en a attesté la récente flambée de violences, le 3 octobre, dans le nord de l’Assam, où 55 personnes ont trouvé la mort. Les affrontements ont mis aux prises des Bodos – membres d’une tribu hindouisée – à des musulmans immigrés du Bangladesh. Deux cent mille personnes ont dû trouver refuge dans des camps. Dans ce contexte de tensions croissantes entre autochtones et migrants bangladais, certains groupes islamistes n’ont guère de mal à recruter au nom de l’autodéfense. La mosaïque ethno-religieuse de l’Assam devient un défi stratégique de plus en plus préoccupant pour New Delhi.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 02.11.08. LE MONDE | 01.11.08 | 14h03 • Mis à jour le 01.11.08 | 14h03.
Explosions meurtrières dans le nord-est de l’Inde
Au moins 76 personnes ont été tuées et plus de 300 autres blessées par des explosions dans le nord-est de l’Inde, en proie à des rébellions séparatistes, ont annoncé, vendredi 31 octobre, les autorités locales dans un nouveau bilan. Un précédent bilan donné jeudi soir par l’agence Reuters faisait état de 65 morts.
Jeudi à l’heure du déjeuner, douze bombes ont fait un carnage en l’espace d’une heure dans la ville principale de l’Assam, Guwahati, cible de six engins explosifs. Trois autres départements de cet Etat reculé ont également été visés. Les autorités n’ont reçu aucune revendication, mais pensent que seule la guérilla du Front de libération de l’Asom, en lutte armée depuis 1979 pour l’indépendance de l’Assam, peut être derrière ces attaques coordonnées, avec l’aide possible d’islamistes venus du Bangladesh voisin.
Le nord-est de l’Inde forme une enclave nichée entre le Bhoutan et la Chine au nord, la Birmanie à l’est et le Bangladesh à l’ouest. Les Etats indiens de cette région sont à des degrés divers les théâtres d’insurrections séparatistes et de violences intercommunautaires qui ont fait quelque 50 000 morts depuis l’indépendance de l’Inde en août 1947. Le 1er octobre, quatre explosions simultanées s’étaient produites dans la capitale de l’Etat de Tripura, faisant deux morts et une centaine de blessés. Le 21 octobre, un autre attentat avait tué au moins quatorze personnes et fait plus de quinze blessés dans la capitale de l’Etat de Manipur.
AFP/BIJU BORO
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 30.10.08 | 09h15 • Mis à jour le 31.10.08 | 08h07.