● Comment caractérises-tu la crise actuelle ?
Lee Sustar – C’est plus qu’une simple récession, même de grande ampleur. C’est l’échec du modèle néolibéral, à l’œuvre depuis 30 ans sous l’impulsion de présidents démocrates et républicains. L’ancien président de la Banque centrale des États-Unis, Alan Greenspan, acteur clé du néolibéralisme, a récemment, reconnu que ses théories économiques étaient fausses.
● Qu’est-ce cette crise va changer pour l’économie ?
L. Sustar – Le néolibéralisme est mort. L’administration Bush, partisane de la liberté du marché, a été obligée d’adopter une politique de capitalisme d’État, afin de protéger les banques américaines. La droite républicaine appelle cela du « socialisme », mais il s’agit d’un socialisme très particulier, où les profits restent dans des mains privées et où les pertes sont supportées par les contribuables. Mais le modèle néolibéral, discrédité, n’est pas remplacé. Barack Obama est entouré de conseillers économiques ayant joué un rôle central dans la diffusion des politiques néolibérales durant le mandat de Clinton. Les travailleurs devront payer la crise, en subissant baisses de salaires et mesures d’austérité. Les travailleurs placent de grands espoirs en Obama, mais ces attentes vont se heurter aux réalités d’une crise économique qui a toutes les chances de s’aggraver. Les suppressions d’emplois sont en hausse. Le taux de chômage est officiellement de 6,1 % mais, si l’on inclut les gens que le gouvernement considère « aux marges » du marché du travail, il avoisine 11 %. Dans l’histoire des États-Unis, de telles contradictions ont produit des luttes de classe explosives, comme dans les années 1930.
● Peux-tu décrire les interférences entre l’économie chinoise et l’économie américaine ?
L. Sustar – Le gouvernement américain dépend de plus en plus de la Chine pour financer ses déficits budgétaires, la Chine achetant des bons du Trésor. Les entreprises américaines utilisent aussi la Chine comme une plateforme de production à faible coût, les produits étant souvent réexportés vers les États-Unis. Par ailleurs, les investissements dans l’industrie ont été faibles, depuis la récession de 2001. Selon une estimation, 3 millions d’emplois industriels ont été supprimés entre 2001 et 2007. Pendant la plus grande partie de cette période, les profits réalisés par les entreprises américaines à l’étranger se sont accrus de 19 % par an.
Ainsi, l’économie prend une forme de plus en plus marquée par les contradictions de la mondialisation. La production industrielle américaine est à son niveau le plus bas depuis 1982, année qui était au cœur d’une profonde récession. En même temps, le ralentissement ferme à la Chine des marchés d’exportation aux États-Unis. La moitié de la capacité de la production sidérurgique vient d’être fermée dans la région chinoise de Tangshan, où se situe la plus grosse concentration mondiale d’aciéries. Certes, la Chine dispose d’une réserve de 1800 milliards de dollars de liquidités étrangères – la majorité en dollars –, qui lui permet de stimuler son économie pour contrecarrer l’assèchement des marchés d’exportation. Mais la vaste expansion industrielle chinoise, que connaît le pays depuis les années 1990, se fondait sur une demande continue en provenance des États-Unis et de l’Europe. Avec la réduction de ces marchés, vont apparaître des problèmes de surproduction et de chômage et, avec eux, la possibilité de grèves et de manifestations, qui sont apparues périodiquement ces dernières années.
Loin de se découpler d’une crise centrée aux États-Unis, l’économie mondiale y est plus que jamais rattachée. La crise économique, et la crise idéologique et politique qui en résultent, sera également internationale.