La formation professionnelle continue représente depuis des années un enjeu, pour les patrons et les salariés. Pour le libéralisme, ce domaine permet une intégration idéologique par l’établissement d’un consensus. Ainsi, depuis 1971, la plupart des accords sur la formation professionnelle ont été approuvés par toutes les confédérations, jusqu’au dernier, en 2003. Aujourd’hui encore, la « réforme » commence par la mise en place d’un groupe de travail réunissant État, régions, syndicats, patronat, dirigé par Pierre Ferracci [1], président d’un important organisme d’expertise et de formation syndicale, la Secaphi-Alpha. Il s’agit, pour le patronat, de contrôler l’emploi des cinq milliards d’euros alloués à la formation professionnelle. Pour les salariés, l’enjeu est d’ouvrir une brèche pour un droit à la formation.
Deux débats traversent ce projet de « réforme » 2008, deux questions laissées en suspens, et pour cause, par les « réformes » précédentes : le sort des salariés « non qualifiés » et la relation entre branches professionnelles et territoires. Mais ce projet prend tout son sens si on l’intègre à l’ensemble des réformes qui bouleversent, peu à peu, le rapport à l’emploi : le contrat de travail, en janvier 2008 ; la fusion entre l’ANPE et les Assedic ; la nouvelle convention Assedic dans les mois qui viennent.
Le « parcours professionnel » en question
Comme pour les négociations précédentes, le débat commence par un constat : la formation profite aux plus qualifiés, ceux pour qui l’entreprise est convaincue d’obtenir des retombées. La fonction de la formation professionnelle « n’est plus tant d’acquérir de nouveaux savoirs formels que de ménager des temps coopératifs ou réflexifs » [2], autrement dit, les entreprises forment pour organiser le travail et acheter de la paix sociale. L’accès à la formation concerne d’abord les salariés les plus indépendants et qualifiés, le patronat réservant les formes coercitives d’organisation aux non-qualifiés ou aux sous-traitants. Les populations moins qualifiées sont pourtant les plus fragiles car, en cas de licenciement, elles ont plus de mal à retrouver un emploi. D’où la contradiction : moins on est qualifié, moins on est formé, plus on a besoin de formation en cas de chômage. Cela fait aujourd’hui l’émoi hypocrite de ceux-là même qui ont organisé le système pour en arriver là.
La réforme de 2003 avait déjà, à partir des mêmes constats – inégalité d’accès pour les moins qualifiés, pour les femmes, pour les PME, etc. –, proposé comme piste principale d’asseoir la formation sur l’initiative individuelle [3]. Le droit individuel à la formation (DIF) était censé redynamiser un système en léthargie. Le salarié demandeur de formation acceptait de se former (un peu, pour l’instant) sur son temps individuel, hors travail. L’employeur passait d’une « obligation d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi », à une simple obligation « d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail » (L6321-1). La responsabilisation du salarié était au centre de la réforme. Ceci ne pouvait qu’accentuer l’inégalité sociale face au marché du travail puisque les femmes, les salariés des PME ou les moins qualifiés sont les moins à même de défendre leur droit à la formation. De plus, le salarié n’est guère motivé à prendre des initiatives pour se former dans un système où seul l’employeur pourra décider de reconnaître cette formation par une qualification, une promotion ou une évolution de carrière.
Un des seuls effets positifs de la loi de 2003 a été d’annuler un effet nocif de la loi précédente en redonnant une partie du financement au dispositif des « congés individuels de formation », seul dispositif soutenant les projets individuels. Ces congés ont connu un nouvel essor, très relatif par rapport aux besoins : 45 000 congés financés en 2007, soit une augmentation de 27 % en quatre ans.
Les mesures annoncées pour 2008 gardent une approche où c’est le parcours individuel qui est mis en avant pour protéger les populations plus fragiles. Or, trop souvent, les organisations syndicales s’adaptent aux disparitions des emplois et abandonnent leur défense pour lui substituer la « sécurisation des parcours professionnels ».
Branche ou territoire ?
Le second aspect de la réforme négociée porte sur une contradiction historique liée au financement de la formation professionnelle. Celui-ci repose sur des cotisations d’entreprises, versées principalement à des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) de branche, fortement contrôlés par le Medef. Mais l’objectif affiché de lutte contre l’exclusion sociale oblige à se tourner vers les régions. Les régions, de gauche, prennent cet objectif à cœur en proposant des services publics régionaux d’orientation ou de formation, ainsi que la prise en charge d’un système de « formation initiale différée » en faveur des jeunes sortis sans qualification.
S’il est urgent de former les jeunes sortis du système scolaire sans formation (60 000 chaque année), il n’en reste pas moins que ce découpage révèle la cohérence libérale d’une société avec, d’une part, un système scolaire se limitant à un « socle commun » et, d’autre part, un service public de l’emploi ayant le souci de donner « les savoirs de base » aux « salariés les plus fragiles ».
C’est aussi l’occasion, pour le patronat, de se tourner vers l’organisation territoriale de la société. C’est un secteur qu’il contrôle mal car, comme le syndicalisme, le Medef s’est historiquement construit sur des branches professionnelles. En 2004, un amendement avait in extremis rétabli le versement du tiers de la collecte de la formation vers les collecteurs régionaux. Là, le poids des PME y est plus marqué et celles-ci travaillent beaucoup plus en symbiose avec les structures territoriales des syndicats.
La défense de l’emploi est d’abord affaire de territoire, comme l’affaire de Goodyear vient de le rappeler. Mais le Medef a annoncé, le 9 juillet 2008, qu’il n’est pas question que la cotisation de formation professionnelle serve à la solidarité nationale, car il la considère comme un investissement des entreprises leur appartenant.
La régionalisation de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), dont le gouvernement veut, par ailleurs, vendre à son profit les immeubles, vient ajouter un élément au tableau. L’Association des régions de France a dénoncé, à juste titre, « la mort programmée de l’Afpa (seul outil, en terme de formation professionnelle, à permettre une prise en charge globale des demandeurs d’emplois, de l’orientation à la formation, incluant jusqu’à la restauration et l’hébergement) ». La perte de diplômes nationaux que représenterait la régionalisation de l’Afpa suivrait le même processus, engagé par l’autonomisation des universités.
Autres voies
Le droit à l’éducation ne doit pas se réduire à la formation scolaire initiale. En 1971, la loi a créé l’obligation, pour le patronat, de financer la formation professionnelle. Cela a ouvert une brèche dans le mécanisme traditionnel où la reproduction et l’entretien de la force de travail relevaient du domaine privé. Cette obligation a créé un droit à se former, qu’il importe de défendre. Mais le mouvement ouvrier doit aussi se réapproprier le contenu de la formation, qui relève du domaine exclusif du patronat. La culture, l’écriture, la lecture, la parole ouvrière y trouveraient toute leur place. Cette nécessité d’un « service public de la formation professionnelle », présent y compris dans les entreprises, doit s’appuyer sur un deuxième volet : l’obligation, pour les employeurs, de reconnaître les qualifications acquises par le salarié.
Il faut enfin garantir le droit à l’emploi, en créant les millions d’emplois nécessaires. C’est dans ce cadre que la formation des chômeurs prendrait tout son sens, et non afin de garantir une meilleure « employabilité » par rapport au voisin, lui aussi chômeur.
Louis-Marie Barnier
UNE AFFAIRE DE (GROS) SOUS
La formation représente un marché substantiel, financé principalement par les entreprises, aux côtés de l’État, des régions et des particuliers. Les entreprises, en cette période de restriction des finances, cherchent à rogner leurs dépenses. L’idée serait de transformer, par exemple, l’obligation légale en obligation conventionnelle et de diminuer l’obligation légale pour la faire passer, par exemple, de 0,9 % à 0,55 % de la masse salariale. Le patronat entend passer d’une obligation, qui l’engage vis-à-vis du salarié, à un investissement librement consenti.
L’approche financière sert aussi de justification à la mise en avant d’un « marché de la formation ». Les établissements de formation sont évalués et mis en concurrence, y compris pour les formations données par l’Afpa aux demandeurs d’emploi. Le marché est ouvert et la qualification du salarié devient une marchandise.
La réforme, enfin, aborde la question de la gestion, dite « paritaire », de cette manne financière. Seulement 1 % des organismes de formation sont contrôlés chaque année et 11 % de la somme allouée à la formation est utilisée en frais de gestion. De l’argent qui sert au fonctionnement du Medef…
L.-M. B.
LA FORMATION DES CHÔMEURS
La formation continue des chômeurs obéit à la logique de « l’activation des dépenses passives », c’est-à-dire qu’elle est d’autant plus accessible qu’elle correspond aux besoins immédiats du patronat. Mais à certaines conditions tout de même car, si le patronat exige des gens formés, les dispositifs de formation pour les chômeurs sont de plus en plus limités.
Ces dispositifs sont inégalitaires sous trois aspects. D’abord, du point de vue de ceux qui peuvent en bénéficier : l’Unedic ne finance des formations que pour les chômeurs indemnisés en allocation retour à l’emploi (ARE) et uniquement ceux-là, soit moins d’un chômeur sur deux. Ceux qui touchent l’allocation spécifique de solidarité, le RMI ou rien du tout, doivent se débrouiller pour trouver une formation gratuite ou un financement, soit pour payer de leur poche.
Ensuite, du point de vue des métiers : l’Unedic ne finance que les fameux métiers « en tension » (sécurité, restauration, commercial, bâtiment et travaux publics…). Tant pis pour ceux qui ne souhaitent pas travailler dans ces secteurs. C’est là qu’apparaît évidemment le réel objectif de la politique de formation actuelle : contraindre les chômeurs à accepter les boulots mal payés où le patronat n’arrive pas à embaucher (et pour cause…). Pour les autres métiers, ça se complique et il vaut mieux ne pas avoir un projet jugé « extravagant ».
Enfin, du point de vue géographique : en fonction des régions, les conseils régionaux ne financeront pas les mêmes formations et, dans le cas des Assedic, c’est même en fonction des départements. Si vous voulez suivre une formation de capitaine de navire, mais que vous habitez à Paris, ça va être compliqué du point de vue du financement ou bien si vous habitez dans la Seine-Saint-Denis et que la formation est financée par l’Assedic de Seine-et-Marne, ça ne va pas être possible non plus. Le transfert de la formation aux régions accentue donc les inégalités.
Lucas Madini