NEW DELHI CORRESPONDANCE
Les déchets amassés le long des ruelles poussiéreuses de Mayapuri constituent un trésor. Dans ce quartier excentré de New Delhi, les 4 ×4 se faufilent entre des silhouettes accroupies, penchées sur des carcasses d’acier. Le recyclage des déchets fait la fortune d’environ 5 000 entrepreneurs et permet tout juste de survivre à des milliers de personnes, payées entre 3 et 4 euros par jour.
C’est d’un quartier similaire à celui-ci, comme il en existe dans chaque grande métropole indienne, que provenaient les composants de boutons d’ascenseurs contenant du métal radioactif reçus par Mafelec, une entreprise située dans l’Isère. En les manipulant, un salarié a reçu une dose de 1,4 millisievert, donc supérieure à la limite réglementaire d’exposition au public, fixée à 1 millisievert par an. L’enquête menée par les autorités françaises et indiennes a pu établir que les pièces incriminées provenaient de déchets recyclés dans une fonderie du nom de Vipras Casting, située à Pune, dans l’ouest de l’Inde.
Les carcasses d’acier arrivent à Mayapuri depuis le monde entier. Elles y sont désossées et triées, avant d’être acheminées dans des fonderies situées à l’extérieur de New Delhi. Chaque véhicule, d’abord revendu en pièces détachées à des intermédiaires spécialisés, termine en pièces de quelques centimètres, triées selon leur composition métallique et revendues aux fonderies. Des vis aux disques de frein, tout est récupéré.
Armés d’un chalumeau ou d’un tournevis, les ouvriers travaillent avec une précision d’orfèvre sur les moteurs rouillés. Les épaves de Mayapuri se réincarnent ainsi en tonnes d’acier. Une fois sorties de l’une des 4 500 fonderies du pays, elles ont perdu toute trace de leur vie antérieure. Tout au long de la chaîne de recyclage, les déchets radioactifs passent inaperçus. Dépourvus de matériel de détection, les ateliers sont en effet incapables de les repérer.
« J’ai vu des appareils de radiographie alignés sur un terrain vague qui attendaient leur dépeçage », témoigne Prashant Pastore, chef de projet chez Toxic Links, une association de protection de l’environnement. Le cobalt 60, le métal radioactif retrouvé dans les composants arrivés en France, est justement un matériau utilisé en radiothérapie. D’après la réglementation indienne, les hôpitaux ont pourtant l’obligation de retirer les parties radioactives de leur matériel usagé avant de revendre celui-ci.
DROITS DE DOUANE SUPPRIMÉS
Mais la radioactivité ne compte pas parmi les dangers les plus redoutés par les « désosseurs » de Mayapuri. « Je ne crains que les explosions », assure un adolescent qui passe sa journée à retirer les gaines en plastique des fils électriques. En juin, deux employés d’une fonderie ont été blessés par une explosion de munitions survenue dans un haut-fourneau. En 2004, dix ouvriers d’une fonderie de Ghaziabad, en périphérie de New Delhi, avaient péri dans l’explosion d’obus qui avaient été mélangés à d’autres déchets.
« Des missiles arrivent ici. Généralement, ils sont cachés sur les toits ou dans le canal pour éviter que la police ne les repère. Ils sont découpés à la nuit tombée », assure Manjinder, un intermédiaire spécialisé dans l’achat de moteurs des navires dépecés dans la baie d’Alang, dans l’ouest de l’Inde. La guerre du Golfe, puis celle d’Irak, ont fait les beaux jours des ferrailleurs.
Mais c’en est fini. Depuis le 1er avril 2007, les importations de mines, de munitions ou de matériaux explosifs ou radioactifs sont interdites. Mais encore faudrait-il que les ports contrôlent les marchandises. Or, de l’aveu même du vice-président de l’Autorité indienne de sûreté nucléaire, les déchets radioactifs importés ne le sont pas : « Nous avons demandé aux autorités portuaires de procéder à des vérifications », a indiqué, le 3 novembre, S. K. Chande.
L’Inde ne peut se passer de l’importation de déchets. Sa croissance économique, qui devrait se situer entre 7 et 7,5 % cette année, et la construction soutenue d’infrastructures entraînent une augmentation des besoins en acier et rendent ces matières premières secondaires indispensables. En février, le gouvernement a supprimé les droits de douane de 5 % sur leur importation. La production d’acier « devrait passer de 56 millions de tonnes cette année à 280 millions en 2020 », assure Ikbal Nathani, un acteur du secteur.
Avec une production en constante augmentation, et en l’absence de mesures de sécurité renforcées, d’autres pièces radioactives risquent donc de sortir du pays. « Les fonderies doivent contrôler la radioactivité des déchets qu’elles utilisent », estime Satya Pal Agarwal, de l’Autorité indienne de sûreté nucléaire, avant de conclure : « Ce qui est arrivé aujourd’hui avec Vipras peut se reproduire demain avec une autre fonderie. »
CHRONOLOGIE
7 OCTOBRE : des colis, provenant d’Inde, de pièces pour boutons d’ascenseur contenant du cobalt 60 et émettant des rayonnements ionisants sont découverts dans les locaux de la société Mafelec, à Chimilin (Isère).
27 OCTOBRE : l’impact des rayonnements reçus par le personnel de Mafelec est « extrêmement faible » et « ne devrait pas avoir de conséquences », assure l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).