Mosset, 11 novembre 2008
Cher Jean-Luc,
Au nom de ce qui nous rapproche, permets-moi de t’écrire avec amitié, mais avec franchise.
Nous fûmes ensemble pour faire campagne contre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Nous nous sommes retrouvés à Versailles, le 4 février dernier, pour combattre ce copié-collé du TCE qu’est le Traité de Lisbonne.
Entre-temps, tu avais adopté, après le référendum, la synthèse du Mans du PS qui gommait le « non » et, dans ta réponse à ma « lettre ouverte à un socialiste du non », tu avais alors justifié ta position par l’espoir de faire ainsi désigner, comme candidat PS à la présidence de la République, Laurent Fabius, un des artisans de ce néo-libéralisme que tu dénonces (c’est lui qui, parmi beaucoup d’autres mauvais coups, a fait adopter la loi de déréglementation financière). Entre-temps, après avoir combattu en interne la candidature de Ségolène Royal, tu as fait campagne pour elle l’an passé.
Tu me rappelles ces grognards qui, en bougonnant, finissaient toujours par suivre. Je ne te ferai pas un mauvais procès et je n’insisterai pas sur le fait que tu fus un fidèle du Mitterrand de l’après 1983 et du traité de Maastricht et que tu partages la responsabilité de ce qu’a fait le gouvernement PS-PCF-Verts comme ministre de Jospin. Pour moi, ce qui compte, c’est qu’en 2002, tu as lucidement analysé les raisons de la défaite du social-libéralisme. Maintenant tu viens de rompre. Beaucoup s’en réjouissent. Beaucoup aussi se demandent : pourquoi maintenant ? Et pour faire quoi ?
J’ai lu ton livre « En quête de gauche » avec attention. Comme tout ce que tu écris. Parce que nous avions fait ensemble campagne contre le TCE et qu’un jour, au Forum Social Européen, tu m’as dit que tu t’inscrivais dans la tradition de 1789 et de Jaurès. Des références qui comptent pour moi, même si tu ne m’as pas parlé de 1793 et de 1871 qui comptent encore plus à mes yeux. J’emploie à dessein ces références historiques sachant ton attachement à la République. C’est dans ce livre et tes propos récents que je cherche l’explication de ta démarche nouvelle. Tu ambitionnes de créer un « Die Linke » français. Avec un partenaire privilégié : le PCF. C’est en soi respectable, mais cela ne permet pas l’union de toute la gauche à la gauche du PS.
Parce que l’histoire de la gauche française n’a rien à voir avec celle de la gauche allemande. Les composantes de « Die Linke » n’ont pas le passé de la gauche française. La social-démocratie allemande, qui a fait assassiner Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en 1919, a renié le socialisme, la lutte des classes et la laïcité dès 1959. Le communisme allemand fut stalinien jusqu’à la chute du Mur.
Parce que les objectifs de « Die Linke » – cogérer les institutions avec la social-démocratie, avec les résultats antisociaux déjà visibles à Berlin – ne sont pas ceux de toute la gauche anticapitaliste française.
Parce que les raisons de ta démission du PS justifient pleinement qu’on ne fasse pas alliance avec ce parti que tu viens de quitter.
Parce que, à la gauche du PS, entre le PCF et presque tous les autres, il y a une profonde division non seulement sur la question des rapports avec la social-démocratie, mais sur des questions de fond comme les finalités de la production, de la croissance et de la consommation, les questions énergétiques, les questions écologiques, le réchauffement climatique, le nucléaire civil et militaire, la diversité culturelle, le profil démocratique d’une autre République française et d’une autre Europe, la présence de la France dans l’OTAN. A moins de s’en tenir aux ambiguïtés et aux silences des défuntes 125 propositions, un programme commun précis pour une société post-capitaliste ne paraît guère possible sur ces questions essentielles.
Encore une fois, ton choix est respectable, mais il ne me paraît pas prendre en compte les défis de ce siècle. Il ignore que la question sociale comme la question écologique trouvent leur origine dans le capitalisme et que c’est le capitalisme qu’il faut combattre et non pas seulement sa version néo-libérale actuelle. En outre, en privilégiant un partenaire, tu places ta démarche et ceux qui vont te suivre dans la dépendance d’un PCF crispé sur la survie de son appareil et de ses élus.
Tu conviendras que, sauf à faire du Cohn-Bendit, l’unité sans un accord sur un contenu dépourvu de toute ambiguïté et sur une stratégie pour le mettre en œuvre n’est qu’une opération électoraliste sans lendemain. Or, cet accord-là n’existe pas à la gauche du PS. En dépit des propos incantatoires de ceux qui en rêvent et qui n’en peuvent plus d’attendre au point de s’intoxiquer d’illusions.
Comme j’aurais aimé que, à la manière dont tu as tiré les leçons de la déroute du PS en 2002, tu aies tiré les conséquences de l’échec de 2006, en te souvenant qu’une semaine à peine après notre victoire unitaire au référendum de 2005, la secrétaire nationale du PCF annonçait « mettre sa candidature dans le débat » pour les présidentielles. Ce qui allait déterminer toute la suite.
Comme j’aurais aimé que, bénéficiant de l’impact de ta démission, tu te sois placé à égale distance de toutes les composantes à la gauche du PS. Comme j’aurais aimé que, sans interlocuteur privilégié, tu aies proposé à tous un débat sur le contenu démocratique, social, écologique et culturel d’une vraie alternative au capitalisme et une stratégie cohérente pour ne pas retomber dans les marasmes de la gauche plurielle.
Tu as fait un choix différent. Je le respecte. Mais je le regrette.
Cordialement,
Raoul