La campagne à laquelle nous participons pour imposer la taxe Tobin présente plus d’une facette : pédagogique (elle éclaire le fonctionnement de l’économie), politique (elle affirme le primat du choix citoyen sur la dictature des marchés), financier (elle permet de réduire les mouvements spéculatifs de capitaux), sociaux et écologiques : son revenu doit être utilisé pour réduire les inégalités sociales et géographiques, ou les risques environnementaux. Elle participe ainsi d’un combat véritablement démocratique. C’est dire à quel point il ne suffit pas d’évoquer la taxe Tobin « en soi », à quel point il nous faut préciser ce que nous attendons de cette taxe. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’utilisation des ressources dégagées par cet impôt sur le capital.
Les sommes en question sont considérables. Les estimations restent évidemment assez « ouvertes » et, suivant les sources, les chiffres varient. Disons ici qu’une taxe à 0,1 % dégagerait entre 150 et 220 milliards de dollars. Soit, comme le souligne la contribution préparatoire de l’Intergroupe « taxation du capital, fiscalité, mondialisation », beaucoup plus que le revenu annuel supplémentaire qu’il faut au Programme des Nations unies pour le développement pour répondre aux besoins de base (ce qui inclut notamment les soins obstétriques pour les femmes, l’accès à l’éducation primaire des enfants, la ration alimentaire de survie, l’accès à l’eau potable...). De même, un effort financier particulier devrait être consenti pour lutter contre l’effet de serre en transférant au Sud et à l’Est des technologies moins polluantes, plutôt que de s’en remettre à un inégalitaire marché mondial de la pollution...
Le premier choix, qui doit être clairement affirmé, c’est que le revenu de la taxe Tobin doit être consacré à la lutte contre la pauvreté, contre l’inégalité sociale, contre le risque écologique. Et non pas affecté, par exemple, au FMI, ce qui renforcerait sa capacité à imposer ses diktats antidémocratiques. Nous ne devons évidemment laisser planer aucune ambiguïté en ce domaine.
Comme le note Harlem Désir, le revenu de la taxe Tobin doit contribuer à redistribuer les richesses.
Ceci dit, ce choix fondamental effectué, bien des questions restent encore en suspend. Collectée pour l’essentiel sur les places financières du Nord, le revenu de la taxe Tobin devrait être affecté en priorité au Sud. Mais dans quelle proportion ? Un tiers/deux tiers ? Un quart/trois quarts ? De plus, la place de chaque pays industrialisé sur le marché des changes est très différente : le Royaume-Uni compte pour 32 %, et la France pour 4 % seulement... Selon les modes de répartition, le revenu restant en France pourrait par exemple varier du simple au double : de 10 à 20 milliards de francs (par comparaison, le RMI « coûte » environ 25 milliards de francs).
Il n’y a pas de réponses « a priori » à ces questions. Elles réclament une confrontation et un débat démocratique, et ce à l’échelle internationale. C’est pourquoi la démarche effectuée par Attac-France me paraît effectivement essentielle : présenter sous forme de questionnaire un « fil conducteur pour un débat international », afin de confronter les options, qu’elles viennent du Sud ou du Nord, et élaborer collectivement une proposition internationale que nous pourrons défendre ensemble, dans nos divers pays et par rapport aux institutions internationales. Du point de vue européen, il serait bon d’aboutir à une telle proposition avant la conférence intergouvernementale de Nice, en décembre prochain. Ce qui nous laisse peu de temps, il faut le reconnaître.
Il faut par ailleurs se garder de présenter les revenus de la taxe Tobin comme une panacée. D’abord parce qu’ils ne suffiront pas à répondre à toutes les misères du monde. Mais aussi parce qu’il faut éviter divers écueils. Comme de dédouaner les gouvernements de leurs responsabilités. Je prends un exemple. Avec les excédants budgétaires existants, le gouvernement français pourrait relever considérablement le RMI ; une mesure salutaire et d’urgence qu’il se refuse toujours à prendre. La taxe Tobin de demain ne doit pas faire oublier les combats sociaux d’aujourd’hui. Et la charité ne doit pas remplacer l’exigence de transformation sociale. Si important qu’il soit, un impôt sur le capital spéculatif ne suffit pas à assurer la justice sociale, la reconnaissance des droits sociaux, des droits collectifs.
Depuis la fondation d’Attac en juin 1998 et les rencontres internationales initiées par Attac, à Saint-Denis, un an plus tard, jusqu’à la toute récente conférence de Genève, la semaine dernière, le combat pour la taxe Tobin fait partie d’un ensemble de campagnes unitaires menées contre l’OMC, pour l’abolition de la dette du tiers-monde, pour la suppression des paradis fiscaux, pour les droits sociaux, environnementaux et démocratiques... Il s’inscrit ainsi dans une mobilisation d’ensemble contre la mondialisation néolibérale et l’ordre marchand. C’est encore la meilleure façon de préserver son caractère démocratique, progressiste.