● Que faut-il faire face à la crise ?
Jean-Marie Roux – L’urgence aujourd’hui est à la fois de protéger les populations les plus fragiles et de relancer l’activité économique. Face aux plans sociaux dont les annonces se multiplient, il faut donner aux comités d’entreprise un droit de veto suspensif sur les licenciements collectifs et leur permettre ainsi de peser sur les stratégies des entreprises. Dans la même optique, il faut suspendre les suppressions de postes dans la fonction publique. Il convient également d’éviter que les crises financière, immobilière et sociale ne se conjuguent pour augmenter le nombre de personnes privées de toit. Il est donc indispensable d’adopter un moratoire pour les loyers impayés et les défauts de remboursement de crédits immobiliers. Ces actions n’auront toutefois de sens que si, parallèlement, sont adoptées des politiques visant à relancer et soutenir durablement l’activité économique et la création d’emplois. C’est tout aussi indispensable que le sauvetage du système financier, lequel a par ailleurs montré que, lorsqu’il y a la volonté politique, la question du financement n’est pas véritablement un problème. Ce plan de relance, qui pourrait être coordonné au niveau européen, devrait avoir pour objectif de répondre à des besoins sociaux non satisfaits. Mais, à côté de la dépense publique, il faut aussi offrir des débouchés à l’activité productive en favorisant la consommation des ménages, ce qui implique de revaloriser rapidement l’ensemble des rémunérations, ainsi que les minima sociaux.
● Quels dispositifs peut-on envisager à plus long terme ?
J.-M. Roux – Une première mesure consiste précisément à s’attaquer à la répartition des richesses en revalorisant le travail. Cela passe par l’augmentation des salaires, mais aussi par l’amélioration de la protection sociale et le développement des services publics, c’est-à-dire par l’extension des revenus socialisés. Cela implique également d’agir sur la fiscalité afin de renforcer son caractère redistributif et de dégager les moyens nécessaires aux investissements publics. Il y a donc urgence à ce que l’autorité publique, en tant qu’expression démocratique des citoyens, en reprenne la maîtrise. Au-delà des propositions précises qui peuvent être faites pour mieux encadrer et contrôler l’ensemble des acteurs financiers et leurs opérations, supprimer les paradis fiscaux, taxer la spéculation, etc., il s’agit de permettre une réelle réappropriation publique de la maîtrise de l’activité financière, et notamment du crédit. La question de la nationalisation des banques doit être posée, même si l’expérience a montré qu’elle n’était pas la panacée et si le niveau national a perdu en pertinence. Dans l’immédiat, il faut constituer un pôle financier public, à même d’assurer le financement d’investissements jugés prioritaires pour répondre aux besoins de la population (logement social, infrastructures, services publics, recherche...). Mais il faut surtout que les salariés et les usagers du système bancaire puissent peser sur la stratégie des banques, pour les obliger à financer l’économie et non la spéculation. Parallèlement, il convient de réorienter l’action de la Banque centrale européenne pour qu’elle concoure au même objectif.
● Comment mesurer l’état d’esprit des salariés ? Quelles sont les initiatives d’action que devrait prendre le mouvement syndical et social ?
J.-M. Roux – La crise et la façon dont elle est gérée suscitent, à l’évidence, un sentiment de colère chez les salariés, mais en même temps renforcent leur fatalisme face à une situation qui paraît inéluctable. Le premier objectif du mouvement syndical doit donc être d’aller au débat avec les salariés, pour montrer que des alternatives existent et qu’il y a des moyens de les imposer. Ce n’est qu’ainsi, en élargissant le débat à d’autres secteurs de la société et à l’ensemble du mouvement social, que l’on pourra construire une mobilisation susceptible de déboucher sur des actions victorieuses.