Après une décennie de très profonde crise économique et sociale dans les années 1990, la Russie a connu, entre 1998 et 2007, une croissance relativement importante, de l’ordre de 6 à 8% par an. Mais elle doit être analysée à la mesure de la profondeur de la crise précédente des années 1990, où le PIB avait chuté de près de 50 %. C’était le résultat d’une politique de « choc sans thérapie », où les contre-réformes libérales brutales ont détruit le système soviétique et d’où a émergé une économie fondée sur le pétrole et le gaz, très monopolisée et très peu réglementée.
Le caractère informel de la régulation d’État est profondément lié à la corruption et à l’utilisation de la propriété d’État par les divers clans de la bureaucratie. Les anciens fonctionnaires de l’État se sont transformés en capitalistes « d’État », dissimulant, sous des formes étatiques, une appropriation privée des bénéfices. La reprise de la croissance s’est essentiellement appuyée sur l’augmentation considérable des prix du gaz et du pétrole, la spéculation financière et l’expansion de services, principalement à destination des nouveaux riches.
La crise économique mondiale produit maintenant une chute des prix du pétrole et l’instabilité de la Bourse. L’État, comme on pouvait s’y attendre, est fortement intervenu pour soutenir les banques privées, leur octroyant 125 milliards de dollars. C’est un montant considérable pour la Russie, à comparer aux 15 milliards par an, prévus sur cinq ans, pour les cinq grands « projets nationaux » concernant l’éducation, la santé, etc.
Toutes ces mesures sont prises dans un contexte d’inégalités et de différenciations sociales croissantes. Le salaire moyen et les retraites ont augmenté – pas autant que la propagande le dit –, mais l’augmentation a été réelle. En même temps, l’écart entre riches et pauvres s’est creusé. Les 10 % de familles les plus pauvres gagnent seize fois moins que les 10 % les plus riches, selon les statistiques officielles. En réalité, l’inflation affectant les biens de base est de 25 à 30 % (avec une moyenne de 10 % sur tous les produits) et les riches bénéficient, de surcroît, de nombreux revenus illégaux non déclarés. L’écart réel entre les riches et les pauvres, évalué par des experts de l’Académie des sciences russe, est donc de 25 à 30. Il se combine avec des écarts régionaux.
Les conflits sociaux sont donc très forts, mais ils dérivent sur le thème des « nouveaux ennemis » de la Russie. Le pouvoir s’efforce de construire une « nouvelle idée » ou perception de la Russie comme un « Empire », seule grande puissance capable de tenir tête aux démons. De tels démons sont l’Otan ou l’administration des États-Unis. Mais ils sont aussi en partie inventés, avec des accents nationalistes, voire en partie racistes, comme dans la présentation des conflits avec les « peuples caucasiens ».
La population ne soutient pas l’entièreté de cette politique. De grandes manifestations et des actions directes ont eu lieu contre la monétisation des anciens acquis sociaux, aboutissant à des compromis concernant la partie la plus pauvre de la population. Il y a eu aussi de grandes grèves ces dernières années, dont la plus importante a eu lieu aux usines Ford [1], à Saint-Pétersbourg. Il y a quelques semaines, le mouvement social russe Éducation pour tout le monde menait d’ultimes actions contre la marchandisation de l’éducation. L’opposition démocratique de gauche et les mouvements sociaux se mobilisent. Mais nous avons besoin d’actions solidaires avec nos camarades d’autres pays face à une crise globale qui exige des réponses internationales.