Un conseil prud’homal, institution paritaire, est composé d’un nombre égal (au moins quatre) de représentants patronaux et salariés, élus pour cinq ans. Les employeurs votent le même jour que les salariés. Les conseils de prud’hommes jugent 200 000 litiges par an. Près de 98 % de ces litiges font suite au licenciement d’un salarié et la moitié concerne la qualification de la rupture du contrat de travail. Les conseillers salariés bénéficient d’une protection contre le licenciement et ils ont droit à des réductions horaires pour siéger.
Le premier conseil des prud’hommes, créé par la loi du 18 mars 1806, n’avait rien de commun avec ceux d’aujourd’hui. Il réunissait les propriétaires des fabriques de l’industrie de la soie à Lyon et les chefs d’ateliers, propriétaires des métiers à tisser. Les ouvriers tisseurs en étaient exclus. Les prud’hommes établissaient des amendes et des exclusions du travail pour les ouvriers et vérifiaient les passeports que chaque ouvrier devait posséder et faire remplir par son patron. Le défaut de passeport valait une peine d’emprisonnement. En ces temps d’accumulation forcenée du capital, les lois du travail consistaient en deux articles du code civil (1780 et 1781) traitant du « louage des domestiques et ouvriers ». L’article 1781, supprimé en 1868, instituait que « le patron est cru sur parole pour le paiement et sur la quotité des gages ». Belle synthèse du pouvoir patronal absolu et de l’aliénation du travail ouvrier dans la relation contractuelle.
Offensive libérale
Les lois ont évolué. Les luttes ouvrières ont imposé un droit du travail. Le respect de garanties minimales offertes par ce droit passe par les juridictions du travail que sont les conseils de prud’hommes. Sous l’influence des luttes ouvrières, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel ont donné de l’importance au droit du travail. Au nom des grands principes, considérés « comme particulièrement nécessaires à notre temps », le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 reconnaît le droit à la santé et à la sécurité au travail, le droit d’obtenir un emploi et le devoir de travailler, le droit à la participation et à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises (comités d’entreprise), le droit de grève et la liberté d’adhérer au syndicat de son choix. Bien sûr, tous ces droits sont encadrés par le droit de propriété, par la « liberté du travail » ou par la « liberté d’embauche », droits de la bourgeoisie à exploiter librement. Cependant, jusqu’aux offensives libérales des années 2000, le rapport de force concernant le droit du travail était favorable aux salariés.
Aujourd’hui, les contre-réformes sarkozystes, qui complètent celles des décennies précédentes, se traduisent dans les conseils de prud’hommes. Le code du travail, que Sarkozy prétend recodifier avec une « traduction à droits constants », ne résistera pas à quelques années de pratique antisociale et à l’intégration de toutes ses contre-réformes. Déjà, deux attaques ont été menées contre la possibilité de contester les décisions patronales aux conseils des prud’hommes. Les conseils sont présents dans chaque zone de tribunal de grande instance. La nouvelle carte judiciaire de Rachida Dati entraîne la suppression de plus de 60 conseils, en les éloignant des lieux de travail et de résidence des salariés. L’encadrement des temps laissés aux conseillers prud’homaux pour assumer leurs fonctions est l’une des conséquences de l’application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Les conseils de prud’hommes sont des lieux où se créent de véritables stratégies syndicales. Ils peuvent être un cadre d’intégration du mouvement syndical, lorsque le poids de l’institution l’emporte sur les convictions de conseillers salariés, qui se mettent alors à jouer au « magistrat ». Mais ils peuvent aussi être un lieu d’affrontement de classe, lorsque les enjeux judiciaires concernent des droits essentiels des salariés. Un bon exemple est donné par la façon dont a été mis fin au contrat nouvelles embauches (CNE). Oublié par les confédérations syndicales lors des mobilisations victorieuses de 2006 contre le contrat première embauche (CPE), le CNE n’a pas survécu plus de deux ans au CPE, son frère jumeau. Si certaines confédérations – FO, en saisissant le Bureau international du travail (BIT), la CGT en diffusant largement dans sa presse les moyens juridiques de la contestation – ont assumé la bataille contre le CNE, l’affaire soulevée par le conseil des prud’hommes de Longjumeau (Essonne), qui entraîna la mort du CNE, n’est pas le fruit du hasard [1]. Il a suffi de quelques militants d’une petite union locale de la CGT des Yvelines, d’une salariée licenciée qui accepte que son cas soit mis en avant au risque d’un allongement de la procédure, et d’un avocat ami qui se chargea de plaider. Il a suffi que le conseil des prud’hommes de Longjumeau juge que l’ordonnance gouvernementale instituant le CNE était contraire à une convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) [2] et qu’une procédure particulière soit mise en place par le préfet de l’Essonne pour que, coup sur coup, un arrêt de la cour d’appel de Paris, confirmé en cassation, déclare le CNE contraire aux règles internationales, et que le gouvernement décide d’abandonner le CNE. Une victoire dont nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences.
Affrontements
Les conseils des prud’hommes peuvent prendre aussi de nombreuses décisions, comme celles déclarant insuffisantes les mesures accompagnant des plans « sociaux ». Ils peuvent, dans ce cas, condamner les entreprises à des centaines de milliers d’euros de dommages et intérêts pour chacun des salariés. La victoire des ouvrières d’Arena en est un bel exemple [3]. Ils peuvent aussi déclarer nuls les plans de licenciements et obtenir la réintégration de salariés. Des centaines de décisions sont prises, requalifiant des CDD ou des contrats d’intérim à répétition en CDI avec des indemnités pour les salariés. Il y a aussi des décisions de requalification de contrats d’intérim à répétition pour des salariés sans papiers avec, à la clé, la régularisation de leur situation.
Certes, de nombreuses sanctions ne sont que financières et les condamnations ont souvent été provisionnées par le patron comme risques. C’est la contradiction principale d’une institution qui a pour fonction de statuer sur des contentieux individuels entre salariés et employeurs, contradiction entre le caractère individuel de la procédure et le caractère collectif des luttes pour un droit du travail de protection. Le droit du travail est un lieu d’affrontement de classes, avec les mêmes contradictions que dans les autres secteurs du combat social. Chacun des protagonistes de la juridiction, organisations patronales et syndicales, cherche à gérer ces contradictions à son avantage.
Les élections aux prud’hommes sont aussi l’occasion de mesurer les rapports de force électoraux entre organisations. Le Medef entend garder sa position dominante sur les organisations patronales, en dépit des tentatives de certaines de faire cavalier seul. La situation des syndicats de salariés est encore plus éclatée. Aux dernières élections prud’homales, en décembre 2002, sur fond d’abstention massive (67 %), la CGT avait conservé, avec 32 % des voix, la première place nationale, devant la CFDT (25 %), FO (18 %), CFTC (9,5 %), CGC (7 %), l’Unsa (5 %) et le Groupe des Dix-Solidaires (1,5 %). L’abstention massive était surtout la conséquence des irrégularités lors des inscriptions par les entreprises. Les non-inscriptions ou les inscriptions dans une commune lointaine du lieu de travail (souvent au siège social), les pressions des employeurs et les refus de laisser voter les salariés sur le temps de travail ont été généralisés.
Représentativité syndicale
On peut penser que les moyens techniques utilisés par le gouvernement cette année (autorisation du vote par correspondance, vote par Internet sur Paris, rapprochement entre lieux de vote et lieux de travail) vont avoir une influence sur la participation. Un autre enjeu sera de voir si le rapport de force entre les organisations syndicales va évoluer et sera influencé par le changement du paysage syndical et le positionnement des confédérations sur les retraites, contre le CPE, en accompagnement ou en opposition avec les mouvements sociaux. Le changement d’implantation des différentes organisations syndicales pourra aussi avoir une influence, tout comme les moyens politiques mis en œuvre pour exclure Solidaires de la campagne officielle et du financement public.
L’application de la « position commune sur la représentativité » [4], transcrite par la loi du 20 août 2008, va avoir des conséquences aux prochaines élections professionnelles, dès janvier 2009, mais seulement au niveau des entreprises. Pour les branches professionnelles, elle n’aura d’effets pratiques qu’en 2012 et, au niveau national, en 2013. En attendant, les cinq syndicats considérés actuellement comme représentatifs (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC) continueront à pouvoir siéger à toutes les réunions interprofessionnelles et à être les seules à pouvoir signer les conventions et accords collectifs.
Mais cela ne devrait pas empêcher d’autres organisations de solliciter leur entrée dans ce « club des cinq ». Dès le lendemain des élections prud’homales de 2002, l’Unsa, forte de ses 5 %, avait vainement demandé au Conseil d’État son inscription comme syndicat représentatif au niveau national. Ce dernier décida de reporter sa décision aux prochaines élections prud’homales. En 2002, Solidaires n’a pu présenter des listes aux élections prud’homales que pour 30 % des salariés. Aux élections de 2008, elle présente des candidats pour plus de 90 % de l’électorat. En cas de maintien ou de progression de l’Unsa, comme en cas de progression attendue de Solidaires, il sera difficile de trouver des arguments pour les écarter du droit à la représentativité.