Face à la dégradation rapide de la situation économique dans le pays, Pékin est-il en train de changer radicalement de politique de change ? Avec le risque de déclencher un grave conflit monétaire avec les Etats-Unis et l’Europe ?
Alors que la Banque centrale chinoise pilotait depuis près de deux ans une réévaluation en douceur du yuan, conformément aux demandes américaines et européennes, elle a au contraire laissé celui-ci légèrement se déprécier depuis plusieurs jours. Mardi 2 décembre, elle a fixé le cours pivot de la monnaie chinoise à 6,8527 yuans contre le dollar, après 6,8505 yuans lundi, alors qu’en novembre le taux de change moyen avait été de 6,8286, selon le site officiel Chinamoney. com.
Cette évolution très légère, mais très inattendue, intervient à la veille de la rencontre, jeudi et vendredi à Pékin, des plus hauts dirigeants économiques et monétaires américains et chinois. Un sommet dans le cadre du dialogue économique de haut niveau entre les deux pays lancé fin 2006 pour tenter de résoudre les différends bilatéraux, parmi lesquels la valeur de la monnaie chinoise.
« Les mouvements du yuan pourraient être destinés à montrer aux Etats-Unis que la Chine a ses propres problèmes et ne cédera pas facilement aux pressions », estime Frank Gong, économiste chez JP Morgan.
Avant de s’envoler pour Pékin, le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, n’a pas souhaité directement commenter l’apparent changement de cap monétaire des Chinois. M. Paulson s’est au contraire félicité que Pékin ait « réévalué le yuan de 20 % par rapport au dollar depuis 2005 », mais il a juste souhaité que ce « processus continue ».
« Ces premières années du dialogue économique stratégique ont montré que les discussions directes donnaient des résultats, s’est réjoui M. Paulson. Cela a amélioré les relations entre nos deux pays de telle sorte que nous pouvons désormais traiter efficacement de questions complexes, comme celle de la crise financière récente. »
Des signes de coopération étroite avaient été donnés, notamment en matière d’achats emprunts du Trésor américain par la Banque centrale de Chine : Pékin a clairement laissé entendre que malgré la crise des subprimes, il n’entendait pas se débarrasser du stock très important qu’il détient (plus de 400 milliards de dollars, au deuxième rang derrière le Japon).
« Nous avons surmonté de nombreuses épreuves jusqu’ici et je pense que nous pouvons en supporter encore de nombreuses autres si nous continuons à discuter directement avec la Chine telle qu’elle est, et non telle que nous pourrions l’imaginer », a ajouté M. Paulson. Il a toutefois exhorté Pékin à stimuler sa demande intérieure plutôt que de miser sur les exportations. « La Chine a l’opportunité de prendre des mesures pour garantir une croissance forte et équilibrée. Cela signifie qu’elle doit s’appuyer davantage sur la demande intérieure et moins sur les exportations. »
De fait, la consommation des ménages ne représente en Chine que 35 % du PIB, contre 50 % dans les années 1980 et surtout contre 66 % aux Etats-Unis. Alors que les Américains consomment trop et n’épargnent pas assez, c’est le contraire en Chine, où les ménages ne consomment pas assez et épargnent trop (25 % de leur revenu disponible, un record mondial).
« POLITIQUE ERRONÉE »
Face à la crise, Pékin semble décidé à jouer sur les deux tableaux pour tenter de relancer son économie. A la fois sur celui de la demande intérieure, mais aussi sur celui de la demande extérieure. Les exportations représentent la moitié du PIB chinois. « Ce serait une politique erronée de dévaluer en ce moment », estime toutefois l’économiste Frank Gong, pour qui le ralentissement récent des exportations chinoises n’est pas lié à leur coût ou au manque de compétitivité, mais à une absence de demande des économies occidentales en crise.
S’il se confirme dans les prochaines semaines, le coup d’arrêt donné à la réévaluation du yuan - susceptible de provoquer des conflits sérieux avec les Américains et les Européens - semble surtout refléter l’inquiétude croissante du gouvernement chinois face à la dégradation de la situation économique dans le pays.
Le 29 novembre, le président chinois Hu Jintao a reconnu que l’impact de la crise sur l’économie nationale « continue à se renforcer ». « Certains indicateurs économiques montrent un déclin accéléré », a pour sa part affirmé Zhang Ping, le président de la Commission nationale pour la réforme et le développement.
En novembre, l’indice PMI mesurant l’activité manufacturière a plongé de 5,8 points et les experts du CLSA estiment que le PIB chinois, après avoir progressé de 9 % au troisième trimestre, pourrait enregistrer une hausse limitée à seulement 6 %, en rythme annuel, au dernier trimestre.
Une sorte de catastrophe dans un pays dont les économistes jugent qu’il a besoin d’un taux de croissance minimum de 8 % pour pouvoir donner du travail aux 20 millions de personnes qui entrent chaque année sur le marché de l’emploi.