La ministre du Logement, Christine Boutin, s’est encore illustrée par ses déclarations visant à obliger les sans-domicile fixe à aller dans les centres d’hébergement. Comme d’habitude, au moment des grands froids, on assiste à une gestion politique de l’émotion. La rue tue tous les jours et tous les mois de l’année, car être SDF c’est encaisser tous les jours, au niveau physique et moral, les conséquences d’une vie dehors et, entre autres conséquences, le fait de ne pas être soigné.
Quand on sait que les lieux d’accueil pour beaucoup de SDF sont pires que la rue ; quand on sait qu’avant la trêve hivernale, les expulsions locatives étaient quasi quotidiennes ; quand on sait que la future loi Boutin, débattue au Parlement le 15 décembre, casse le logement social ; quand on sait que le Livret A, censé financer la construction de logements sociaux, est livré aux appétits des banques privées ; quand on sait que Madame Boutin se réjouit de la scandaleuse condamnation du DAL à 12 000 euros d’amende pour « encombrement de la voie publique » lorsque les familles mal logées campaient rue de la Banque ; quand on sait que rien n’a été fait pour les sans-abri ; quand on sait que la spéculation immobilière jette tous les jours des personnes dehors : les propos de Christine Boutin constituent une véritable provocation.
Le Premier ministre et Sarkozy lui-même ont essayé d’amoindrir ces propos. Le président de la République, qui déclarait il y a deux ans que « plus personne ne sera obligé de dormir dehors d’ici deux ans », affirme aujourd’hui « qu’il faut mettre les personnes sans domicile fixe en situation de décider ». Mais d’ajouter : « La question est de savoir si cette personne est lucide pour décider de sa vie ou de sa mort. » Édifiant… Mais ce n’est pas étonnant, de la part d’un chef d’État qui mène une politique d’exclusion et de précarisation en renflouant les banques, en cassant le service public, en criminalisant ceux qui contestent l’ordre établi. Alors, cela suffit de verser des larmes de crocodile sur les morts de la rue.
Ensemble, mobilisons-nous pour un logement pour tous et toutes. Rendez-vous le 14 décembre, à Paris, aux côtés des familles de la rue de la Banque et de tous les mal-logés, car l’État et le gouvernement ne tiennent pas leurs engagements.
Anne Leclerc (Editorial)
* Paru dans Rouge n° 2277, 04/12/2008.
LOGEMENT : Le scandale en chiffres
Alors que le froid est arrivé, les morts de SDF se multiplient. En France, 100 000 personnes vivent dans la rue.
- 6° C C’est la température en dessous de laquelle la ministre du Logement, Christine Boutin, a proposé de contraindre les SDF à se rendre dans un centre d’hébergement d’urgence. Un ministre lance une idée absurde, un autre ministre la conteste et le président arrive au galop pour tout arranger… Le scénario se répète et, comme à chaque fois, les questions de fond restent dans l’ombre.
265 Depuis le début de l’année, le collectif Les morts de la rue a dénombré « plus de 265 personnes mortes dans la rue, dans des voitures, dans des cabanons [auxquelles il faut] ajouter également les personnes qui se sont défenestrées, se suicidant pour éviter une expulsion, pour fuir la misère ». 158 morts depuis l’été.
100 000 C’est le nombre (sous-évalué) de personnes vivant dans la rue – dont 16 500 enfants – et, avec la même difficulté d’estimation, ils sont au moins 1 million à ne pas avoir de domicile personnel ; ils sont de plus en plus nombreux à avoir un emploi, mais toujours pas de logement. Les sans-logement répugnent à aller s’entasser dans les hébergements parce qu’ils sont vite sales, parce qu’on les y oblige à l’abstinence, parce qu’ils ne s’y sentent pas en sécurité (vols, agressivité), parce que ce sont des lieux où on ne peut rester qu’une nuit et qu’on doit laisser à l’entrée sa dignité d’individu. Et ce n’est pas de la faute de ceux qui gèrent ces lieux, et ce n’est pas en augmentant les places d’accueil, et ce n’est pas en enfermant les pauvres qu’on fait disparaître les raisons du scandale. Il faut construire, vite, des logements vraiment sociaux, et il faut donner tout de suite un vrai logement à ceux qui n’ont plus rien. Si, déjà, on arrêtait les démolitions d’immeubles en bon état… Il faut rouvrir les milliers de logements fermés en attente de démolition, et il faut interdire les expulsions sans relogement ! Et si les immeubles vides dans Paris étaient réquisitionnés ? « Trop compliqué juridiquement, donc trop long et trop coûteux », a déclaré M. Hirsch. Mais, depuis que la loi de réquisition existe, on aurait eu le temps de loger des centaines de personnes. Quant au coût, les mêmes sociétés, les mêmes protégés du gouvernement, qui spéculent sur leurs immeubles vides, construisent des milliers de bureaux en banlieue ! Les centres d’hébergement doivent être humanisés, garantir le droit des personnes hébergées à l’intimité et à la sécurité : ouverture 24 heures sur 24 et 365 jours par an ; locaux adaptés (chambres ou studios individuels, unités familiales, places accessibles aux personnes ayant un animal…).
90 Depuis la loi sur le droit opposable au logement (Dalo), en mars 2007, sur 50 000 demandeurs, seulement 3 500 ont été relogés sur les onze derniers mois. À Paris, 90 relogements (moins de 1 % des 11 000 demandes), avec des délais incroyables : plus de cinq mois pour obtenir seulement un accusé de réception du dépôt en préfecture, et l’aberration de la multiproposition (la même offre de logement proposée à trois familles Dalo).
12 000 Après le campement de la rue de la Banque, le gouvernement avait dû signer, le 14 décembre dernier, l’engagement de reloger dans un délai d’un an les 374 familles. Non seulement, seules 130 d’entre elles sont logées mais, de plus, le DAL est condamné à 12 000 euros d’amende pour « dépôt et abandon de gravats, de rebuts, ou de poubelles sur le trottoir ». Le délit d’encombrement de la voie publique s’applique désormais à des êtres humains !
• www.mortsdelarue.org/index.html
La commission logement de la LCR
* Paru dans Rouge n° 2277, 04/12/2008.
Pour un logement décent à Angers
A Angers, depuis cet été, une vingtaine de demandeurs d’asile en provenance du Darfour et d’Érythrée est sans logement. Ils devraient être logés, nourris et soutenus par la préfecture du Maine-et-Loire, en vertu de la convention de Genève, qui régit le droit d’asile. Mais cette préfecture refuse d’assumer ses responsabilités. À l’approche de l’hiver, le collectif de soutien aux réfugiés a décidé de réquisitionner des logements vides depuis six ans, dans une gendarmerie désaffectée des Ponts-de-Cé, près d’Angers. L’opération s’est déroulée publiquement, sans heurt ni dégât matériel, samedi 8 novembre.
Moins de 48 heures plus tard, au petit matin, pas moins de seize cars de police et de CRS ont été mobilisés pour les expulser. La police a brisé les portes sans sommation, alors que les occupants avaient annoncé qu’ils n’opposeraient aucune résistance. Deux demandeurs d’asile ont été conduits au commissariat d’Angers pour des vérifications d’identité ; ils risquent d’être expulsés vers l’Italie. Les militants solidaires présents, d’emblée regroupés à part en tant qu’« Européens » (sic) par un responsable de la police, ont également dû subir un contrôle d’identité après avoir vu leurs poignets liés par du Serflex.
Un premier rassemblement de protestation, appelé dans l’urgence, a réuni 150 personnes devant la préfecture, au cri de « Un toit, c’est un droit ! Le préfet est hors-la-loi ! » Une manifestation est appelée, le samedi 15 novembre, à Angers.
(Au jour le jour)
* Paru dans Rouge n° 2274, 13/11/2008.