Il paraît que la téléréalité sera bannie des chaînes publiques. C’est sans doute pour profiter de ce
sursis que France 5 nous a servi, le dimanche 30 novembre, un docu-fiction intitulé « La France en
faillite
? ». Or donc, en 2017, la France ne pourrait plus payer sa dette et toute l’économie
s’effondrerait : 52 minutes de défense et illustration des prévisions les plus catastrophistes,
charriant toutes les contre-vérités qui traînent partout sur ce sujet.
Rappelons encore une fois deux points essentiels. Premièrement, la dette n’a pas augmenté en
raison de dépenses publiques excessives, puisque celles-ci sont stabilisées en proportion du Pib.
Ce sont les recettes qui ont baissé en raison des cadeaux fiscaux successifs aux privilégiés et aux
entreprises. Deuxièmement : ce ne sont pas nos enfants ni nos petits enfants qui paieront nos
« excès ». C’est, année après année, sur les contribuables que retombe la charge de la dette ; ils
versent ainsi une rente à ceux dont on a baissé les impôts et qui ont souscrit aux emprunts d’Etat
émis pour couvrir le déficit. Pas de transfert entre générations, mais entre classes sociales (1).
Aucun de ces arguments n’a été avancé au cours du débat où chacun jouait son rôle : Fitoussi
toussait, Saint-Etienne équilibrait, Mailly revendiquait, Chérèque partenariait, Beytoux
apocalypsait, Pébereau titrisait, et Parisot s’étranglait que l’on puisse parler d’aides aux
entreprises. Personne n’avait conscience de sombrer dans le ridicule en rabâchant les mêmes
arguments éculés que les gouvernements du monde entier sont en train de jeter allégrement par
dessus bord. Le nôtre, par exemple, puisque le plan de relance annoncé quelques jours plus tard
devrait faire passer le déficit budgétaire de 3,1 % du Pib à 3,9 % en 2009. Les retardataires n’ont
pas compris le film : la relance de l’endettement public est absolument nécessaire pour compenser
le recul de l’endettement privé et éviter que l’économie s’enfonce dans la dépression.
Puisque la mode est aux docu-fictions, voici un autre scénario possible, celui de l’explosion sociale.
Il suffit de s’inspirer des angoisses de Sarkozy : « Nous allons vers une série d’affrontements
sociaux, voire vers un affrontement social » ou de son conseiller social, Raymond Soubie (2) : « En
quarante ans de carrière, j’ai toujours refusé d’annoncer que le printemps ou l’automne sera
chaud. Mais aujourd’hui, je pense que tout peut être chaud » (Le Canard enchaîné du 3/12/2008).
Il a raison : ce pays est mûr pour un nouveau Mai 68. La première raison est que la majorité de la
population est littéralement encerclée par les offensives du gouvernement : de la naissance (la
remise en cause des maternelles) à la mort (les retraites) en passant par l’emploi, le pouvoir
d’achat, le logement, les services publics et la santé, etc. Un nombre croissant de professions, des
gardiens de prison aux hospitaliers, des magistrats aux enseignants, se trouvent dans l’incapacité
d’exercer leur métier correctement.
Il n’y a alors que deux issues : soit la résignation à vie, soit la révolte. Et, paradoxalement, le vide
intersidéral de l’opposition officielle - et l’absence de débouché politique « crédible » - pourraient
bien se transformer en motif supplémentaire pour choisir la voie de l’« affrontement social »
plutôt que de vouloir en faire l’économie.
La seconde raison est que toutes les « réformes » déjà faites vont apparaître comme autant de
mécanismes diaboliques venant durcir les effets sociaux de la crise. Le nouveau régime des heures
supplémentaires est une incitation à dégraisser un bon coup, en ajustant les effectifs au-delà de ce
qui serait « nécessaire ». La suppression des dispenses de recherche d’emplois, le recours facilité
aux CDD, le durcissement du suivi des chômeurs, les aides distribuées à l’aveuglette vont fragiliser
encore plus une grande partie du salariat. Il ne sera pas possible alors de dire : « c’est la crise qui
vient d’ailleurs, on n’y peut rien » et c’est toute la logique des politiques néo-libérales qui
apparaîtra dans sa cohérence anti-sociale. Le spectacle des sommes généreusement déversées sans
condition sur les banques et les entreprises et celui des dividendes toujours aussi peu imposés
seront perçues comme une provocation insupportable.
Notes
(1) voir « Sur la question de la dette », notehussonetn°4,
http://hussonet.free.fr/husso4.pdf
Disponible sur ESSF : Sur la question de la dette (en France)
(2) voir son portrait dans PLPL : http://tinyurl.com/soubie