La commande passée, en mai, à la commission Varinard sur la justice des mineurs par la garde des Sceaux, Rachida Dati, était claire : en finir avec l’ordonnance de 1945, qui affirmait la prééminence de l’éducatif sur la répression pour les jeunes auteurs de délits. La commission avait été soigneusement sélectionnée, une partie des membres de la commission étant marquée par son engagement anti-Pacs, anti-IVG, etc.
Sarkozy et la droite, au fil des campagnes électorales, le répétaient : les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux de 1945. Derrière ce vocable, on entendait « racaille », « voyou », expressions utilisées fréquemment par l’ancien ministre de l’Intérieur, visant principalement les jeunes issus des quartiers populaires. Cette stigmatisation d’une jeunesse prétendument dangereuse permettait d’éviter, sur fond de chômage et de précarité, les vraies questions : insécurité sociale où, pour un jeune, la projection dans l’avenir signifie chômage et précarité, et, pour les jeunes issus de l’immigration, de certains quartiers ou marqués par la couleur de leur peau, discrimination et racisme dans l’accès à la formation, à l’emploi et au logement.
Les déclarations de Rachida Dati concernant l’augmentation de la délinquance des mineurs sont complètement fausses. Pour le sociologue Laurent Mucchielli, la proportion des mineurs dans les infractions baisse depuis dix ans. Il fallait préparer l’opinion publique aux préconisations de ce rapport : disparition de l’accompagnement éducatif au profit de mesures de probation et de sanctions. Voici un aperçu des principales propositions : premier acte de délinquance géré par les maires et les conseils locaux de sécurité ; incarcération possible dès 12 ans, avec garde à vue et contrôle judiciaire possibles dès cet âge ; retenue par la police ou la gendarmerie pendant six heures avant 12 ans ; création d’une sanction éducative permettant l’incarcération de week-end ; création d’un tribunal correctionnel proche de celui des majeurs, pour les 16-18 ans récidivistes ; suppression des mesures éducatives au pénal, et généralisation des obligations probatoires.
Les 70 propositions remettent en cause la spécificité éducative de la justice des mineurs. Elles vont augmenter la mise à l’écart et le placement dans des centres fermés, dans des établissements pénitentiaires pour mineurs, dans les quartiers mineurs. Le tout récent rapport de la Commission de déontologie sur le suicide d’un jeune de 16 ans à la prison de Mézieux, le 2 février dernier, est édifiant. L’administration pénitentiaire est coupable de la mort de ce jeune, qui en était à sa quatrième tentative de suicide. En novembre, les deux suicides de mineurs détenus dans des prisons de l’est de la France sont aussi insupportables. L’incarcération des mineurs ne produit que souffrance et maltraitance. Soyons clairs : il n’y a pas de travail éducatif possible dans un lieu fermé.
Si les réactions ont obligé le gouvernement, par la voix du Premier ministre, à un premier recul tactique – la prison à 12 ans serait abandonnée… –, tout le reste subsiste ! Au même moment, le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, propose le dépistage des troubles du comportement dès l’âge de 3 ans ! Ce projet, abandonné à la suite d’une forte mobilisation autour de la pétition « Zéro de conduite », traduit une idéologie qui affirme que tout être humain est défini par ses gènes. Cela permet d’évacuer, à la fois, toute idée qu’un enfant, un adolescent, est un être en devenir, donc éducable, et de mettre de côté les causes économiques, sociales et familiales.
Si les propositions étaient retenues par le gouvernement, elles confirmeraient que la logique réactionnaire et sécuritaire l’emporte aujourd’hui, nous ramenant à la société de l’Ancien Régime, où les notions même d’enfance et d’éducation n’étaient pas concevables. Les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les professionnels de la justice des mineurs, de l’Éducation, de la santé et du social ont multiplié les actions et les prises de position. La LCR, dans le cadre du comité Liberté-égalité-justice, est partie prenante de cette mobilisation. Les personnels de la PJJ seront en grève le 15 décembre prochain, et ils envisagent la grève reconductible pour obtenir le rejet des propositions Varinard, la fermeture des EPM et le maintien des services éducatifs de la PJJ.
Le rapport Varinard paraît au moment où les libertés et le droit des personnes sont de plus en plus bafoués par la mise en place d’une justice d’exception. Que ce soit dans les procédures judiciaires – qualification de terrorisme pour les inculpés de Tarnac –, et dans les procédures policières – mandat d’amener pour Vittorio de Fillipis, ancien directeur de publication de Libération, fouille avec les chiens des collégiens de Marciac (Corrèze). Plus que jamais, nous devons saisir toutes les occasions de dénoncer un État de plus en plus réactionnaire et liberticide, pendant du libéralisme économique.