Il n’est pas difficile de comprendre la satisfaction que ressentent bien des gens lorsqu’ils apprennent qu’une personnalité du PS quitte ce parti sur une posture de gauche. Une telle démarche a été attendue depuis si longtemps, surtout s’agissant d’un acteur politique exprimant avec talent les valeurs de gauche, qu’elle suscite une sorte d’engouement. Enfin ! pensent beaucoup. Et cela les comble, tant les postures suffisent, aujourd’hui, à emporter les adhésions.
« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas » aurait dit Voltaire. On ne fera donc pas grief à Mélenchon d’avoir changé, même si, en dépit de sa marginalité au sein du PS, il a avalé toutes les couleuvres néolibérales de ce parti depuis 1983, y compris la synthèse du Mans qui effaçait le « non » de gauche au TCE dont, pourtant, il fut un défenseur éloquent. On le fera d’autant moins que son geste contribue à désacraliser une des pires dérives de la gauche : la primauté du parti sur ses raisons d’être. Le culte quasi religieux du parti, entretenu par quasiment toutes les églises de la gauche, inspirées par Lénine ou par Blum, explique pour une grande part que furent acceptées toutes les dérives, staliniennes, social-démocrates ou néolibérales. Je me réjouis de voir le NPA inscrire dans son texte fondateur qu’un parti politique n’est pas une fin en soi, mais seulement un outil pour réaliser des objectifs.
Mais suffit-il de créer un nouveau parti pour rester cohérent avec des valeurs et des principes ? N’est-ce pas d’ailleurs le procès que font au NPA tous ces petits groupes qui invoquent bruyamment l’indispensable unité et nous accusent de sectarisme après s’être eux-mêmes structurés en entités autonomes et jalouses de leur autonomie ? Procès auquel nous répondons en affirmant que la valeur d’un choix politique se détermine par son contenu, les luttes auxquelles on participe pour l’exprimer et les stratégies qu’on adopte pour le mettre effectivement en œuvre.
C’est la raison pour laquelle au-delà des formules incantatoires sur l’indispensable unité à la gauche du PS, ce qui importe, c’est que soit précisé le contenu du projet de ce qu’on appelle, selon la formule de Pierre Bourdieu, « la gauche de gauche ».
Et c’est là que, pour ma part, j’attends les signataires de l’appel de Politis, les CUAL, les « unitaires » de différents partis et le PdG de Mélenchon :
– contre le capitalisme ou contre le néolibéralisme qui n’est qu’un moment de l’évolution du capitalisme ? Sur ce point, force m’est de constater que rares sont les structures politiques à la gauche du PS qui dénoncent le capitalisme comme tel. C’est d’ailleurs le discours contre le néolibéralisme qui a soudé le « non » de gauche au TCE. Pas une remise en cause radicale du système. Or, il est manifeste que le capitalisme est à l’origine à la fois de la question sociale et de la question écologique ;
– contre le productivisme ou simplement pour diminuer les excès de nos modes de consommation ? Est-on prêt à aller jusqu’au bout de l’analyse et accepter cette réalité selon laquelle il n’y a pas de sortie du productivisme sans sortie du capitalisme ? Il n’y a pas de remise en cause des modes de consommation sans contrôle de la production. Aujourd’hui, ceux qui décident de ce qui est produit décident de ce qui est consommé. Une critique du mode de consommation se réduit à de l’incantation et ne conduit qu’à une impasse si elle n’implique pas une critique des finalités et des modes de production ;
– contre les causes des nuisances ou seulement contre les nuisances ? Il n’y a pas d’arrêt aux nuisances, à l’exploitation du vivant, à la dégradation de la biodiversité et à l’épuisement des ressources naturelles sans passage d’un système fondé sur la valeur d’échange à un système fondé sur la valeur d’usage. Le système actuel ignore le coût des usages qu’il fait des ressources et des écosystèmes. Invoquer l’écologie sans remettre en cause ceux qui sont à l’origine des maux qu’on dénonce et les logiques qui les animent, c’est réduire l’écologie à un argument électoral. C’est faire du capitalisme vert. C’est refuser une solution durable aux problèmes écologiques. On ne peut pas être écologiste et accepter le capitalisme ;
– pour le nucléaire ou pour les économies d’énergie et les énergies alternatives ? PS et PCF ont soutenu inconditionnellement le tout nucléaire français qui implique une société sécuritaire, qui nous a fait perdre des dizaines sinon des centaines de milliers d’emplois dans le secteur des économies d’énergie et des énergies alternatives (l’Allemagne et l’Autriche nous le prouvent) et qui compromet gravement l’avenir des générations futures. Ce ne sont pas les formules ambiguës de la phraséologie des 125 propositions qui offrent à cet égard un choix clair et des certitudes sur les engagements ;
– contre le nucléaire militaire et pour la sortie de la France de l’OTAN ou le refuge dans des formules qui laissent le choix aux autres et permet de ne pas en faire ? Sur ces questions majeures, les 125 propositions n’apportent pas davantage de réponse claire ;
– pour une Europe puissance érigée en forteresse ou pour une Europe solidaire et ouverte ? Là aussi, on est en droit d’exiger des choix clairs de la part de gens qui n’ont pas remis en cause les lois Pasqua lorsqu’ils en ont eu l’occasion et qui, au contraire, les ont renforcées. C’est le gouvernement PS-PCF-Verts qui a donné une base légale au fichier créé en toute illégalité par Pasqua ;
– pour le centralisme et l’impérialisme culturels ou pour la diversité des langues et des cultures en France, en Europe et dans le monde ? L’hostilité de Mélenchon à la diversité culturelle, son refus de voir la France ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires justifient que la question soit posée ;
– pour la construction d’une véritable alternative de gauche ou pour la préparation d’une simple alternance ? La question de la stratégie est centrale si on veut éviter de construire des coalitions qui, une fois arrivées au pouvoir, se résignent au « principe de réalité ». Et caricaturer cette exigence en la qualifiant de « posture protestataire » n’est pas une manière satisfaisante de répondre aux problèmes que pose le pouvoir. Certes, « se refuser à toute idée de pouvoir, c’est finir par s’accommoder de celui qui est en place » (O. Besancenot, préface à Evolution et révolution d’Elisée Reclus, 2008), mais le pouvoir n’est pas une fin en soi pour celles et ceux qui refusent de confondre engagement politique et activité professionnelle. L’accès au pouvoir ne peut déboucher sur la transformation que s’il s’accompagne d’un surgissement populaire puissant, comme 1936 nous en a fourni un exemple d’ailleurs incomplet.
La liste est longue des questions majeures qu’il faut clarifier faute de quoi l’incohérence d’un projet ne permettra pas de construire une unité durable et ne servira qu’à faire illusion le temps d’un scrutin, fut-il européen.