L’Europe que nous ne voulons pas
L’échec du capitalisme est aussi l’échec du processus baptisé « construction européenne » qui s’apparente davantage à la destruction d’un modèle issu des luttes démocratiques et sociales du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle.
D’emblée, l’acte fondateur, le Traité de Rome de 1957, consacre le primat de la dictature du marché. D’emblée, il proclame la liberté d’établissement et de circulation non seulement des personnes et des biens, mais aussi des capitaux et des services. D’emblée, il exclut que la création d’un marché unique s’accompagne d’une harmonisation fiscale et sociale. D’emblée, il organise, sans que les peuples aient été consultés, des transferts de souveraineté qui vident le suffrage universel de tout effet sur les politiques européennes. Au fil des traités successifs, c’est ce projet qui a été mis en œuvre et non l’Europe démocratique et sociale promise par les décideurs politiques.
A partir des années 80, cohérente avec la manière dont elle s’organisait en interne, l’Europe est devenue un acteur décisif de la mondialisation néolibérale transformant la planète en un marché global où tout, le minéral, le végétal, l’animal et l’humain est à vendre et à acheter dans le cadre d’une concurrence qui ne souffre aucun obstacle. Une action planétaire de privatisation de toutes les activités humaines et de leur mise en concurrence a été pratiquée à l’initiative des pays occidentaux dans le cadre d’institutions échappant à tout contrôle démocratique comme l’OCDE, la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC. L’Europe, soutenue par chacun des gouvernements, quelle que soit sa composition politique, a été en pointe dans cette « révolution conservatrice ».
Ce que nos gouvernements ont appliqué en France, ils l’avaient au préalable négocié et adopté au niveau mondial et au niveau européen. Ces choix se sont traduits par l’adoption de l’Acte Unique et du Traité de Maastricht, puis par la Stratégie de Lisbonne et les Décisions de Barcelone qui ont accéléré le processus de financiarisation du capitalisme et de privatisation des activités de service. Le bilan de cette Europe-là est inacceptable : 50 millions de pauvres et 18 millions de chômeurs.
Une dégradation substantielle de la qualité de vie suite au fait que les droits collectifs proclamés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (droit à la santé, droit à l’éducation, droit au logement, droit au travail, droit à la culture, droit à la sécurité sociale, droit à des services publics de qualité, etc.) ont été de moins en moins respectés. Les conquêtes sociales arrachées au cours des deux derniers siècles ont été remises en cause l’une après l’autre. La démocratie a été vidée de sa substance en pratiquant le principe de la délégation au point que le suffrage universel n’est pas en mesure de modifier les politiques européennes.
Cette Europe-là n’est pas la nôtre. C’est une Union européenne voulue par les partis de droite, du centre, mais aussi par la social-démocratie qui a été très souvent à l’avant-garde.
C’est la raison pour laquelle, à la différence du PS et des Verts, en 2005, nous avons dit non au Traité établissant une Constitution pour l’Europe. En 2008, nous avons dit non à son copié-collé qu’est le Traité de Lisbonne.
Nous pensons que dans un certain nombre de matières, l’intérêt des peuples peut être mieux servi dans le cadre européen que dans le cadre national. Nous voulons que pour ces matières, et pour ces matières seulement, s’organise, entre les peuples qui en manifestent la volonté, l’Union des Peuples d’Europe et que soit reconnue et consacrée une souveraineté populaire européenne.
Cette autre Europe réclame une révision radicale des traités européens existants et une remise à plat de la jurisprudence antisociale de la Cour de Justice des Communautés européennes. Sans ces changements, il ne sera pas possible de revenir durablement sur la casse sociale opérée dans chacun de nos pays.
L’Europe que nous voulons ne peut se réaliser sans une transformation profonde des institutions européennes et sans une remise en cause des orientations politiques, économiques et financières mises en œuvre par ces institutions.
L’Europe que nous voulons : l’Union des Peuples d’Europe (UPE)
Nous voulons remplacer une Europe capitaliste, une Europe du marché et de la concurrence, une Europe du productivisme, une Europe forteresse et belliqueuse par une Europe démocratique et écosocialiste. Nous voulons une Europe démocratique, sociale, écologique ; une Europe de l’égalité, de la solidarité, de la paix.
L’Europe que nous voulons doit adhérer à la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et la rendre obligatoire sur tout son territoire.
L’Europe que nous voulons n’exclut pas le droit pour la France d’aller plus loin vers une société différente. Le droit européen ne devra en aucune façon contrarier de telles possibilités.
Une Europe démocratique
Les institutions européennes doivent être refondées, car elles ne sont pas démocratiques. Il faut doter le Parlement européen des pouvoirs réels d’une institution parlementaire : l’initiative de la législation dans toutes les matières relevant de l‘Union, le vote de toutes les dépenses et de toutes les recettes et surtout des moyens poussés de contrôle du pouvoir exécutif. Il faut que les élus européens soient élus à la proportionnelle selon une loi électorale unique, qu’ils ne puissent cumuler leur mandat avec un autre, qu’ils ne puissent exercer plus de deux mandats et qu’ils puissent être révoqués par les électeurs de leur circonscription dans des cas très précis. Il faut interdire l’accès du Parlement européen aux lobbies.
Il faut que la Cour de Justice soit réellement indépendante et que ses attributions ne lui permettent pas de créer du droit qui étende la portée des traités.
Il s’impose de créer un droit des citoyens d’accéder à toutes les informations et à tous les documents de l’Union européenne (sur le modèle du Freedom Information Act).
Il faut instaurer la citoyenneté de résidence pour toutes les personnes qui vivent sur le territoire européen.
Pour cette Europe que nous voulons, nous réclamerons que les peuples qui partagent cette ambition élisent une assemblée constituante afin d’en définir les structures et les modalités de fonctionnement. Nous défendrons le projet d’une Union des Peuples d’Europe.
Une Europe sociale
L’Europe sociale ne peut se réaliser dans le cadre du droit européen actuel. Il faut donc annuler dans ce droit européen toutes les dispositions qui organisent le démantèlement du droit du travail et des services publics, qui remettent en cause les acquis sociaux. Il faut que le droit européen rende possible dans toute l’Europe :
– l’interdiction des licenciements
– la répartition du travail entre tous
– la diminution du temps de travail
– le respect absolu du principe « à travail égal, salaire égal »
– un salaire minimum interprofessionnel européen
– un minimum d’existence européen
– l’harmonisation à l’ensemble des pays européens du droit du travail le plus avancé
– des services publics européens chaque fois que le niveau européen est le plus pertinent (transports aériens, ferroviaires, fluviaux, maritimes ; énergie ; eau, etc)
– le droit de grève européen
– l’interdiction de tout dumping social
– rendre contraignante la directive sur l’information et la consultation des travailleurs
– rendre contraignante pour toutes les entreprises la directive créant le comité d’entreprise européen.
Toutes ces dispositions devront s’insérer dans une version complétée dans ce sens de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, dite Charte de Turin (1961) dotée d’un pouvoir contraignant.
Une Europe sociale implique une Europe fiscale. Celle-ci doit se caractériser par :
– la suppression des paradis fiscaux ;
– la suppression du secret bancaire ;
– le contrôle des mouvements de capitaux et la taxation des opérations spéculatives ;
– une harmonisation des fiscalités directes et la généralisation du principe de progressivité ;
– l’interdiction de tout dumping fiscal ;
– l’instauration aux frontières de l’Europe d’une taxe sur tout produit en provenance de pays pratiquant le dumping social, fiscal et écologique.
Il faut créer les conditions d’une autonomie réelle de la Confédération Européenne des Syndicats par rapport aux institutions européennes afin de faciliter, au niveau européen, l’émergence d’un syndicalisme de combat.
Une Europe écologique
Si on ne peut nier quelques avancées dans le domaine de l’écologie, les politiques de l’Union européenne en la matière se caractérisent surtout par leur timidité et leur relative inefficacité tant la Commission européenne et le Parlement européen sont sensibles à la pression des divers lobbies industries automobiles, pharmaceutiques, chimiques, agro-industrielles, biotechnologiques.
Notre conception d’une société écosocialiste implique une remise en question démocratique des finalités de la production, de la consommation et des échanges. Une satisfaction écologique des besoins sociaux doit remplacer la société productiviste du gaspillage qui caractérise le modèle européen.
La santé doit avoir la priorité sur toutes les formes d’activités susceptibles de l’affecter.
Il faut relocaliser l’économie, produire sur place ce qui doit être utilisé sur place. Il s’impose de limiter le recours aux transports et de privilégier les transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.
L’agriculture doit évoluer vers un modèle qui nourrisse ceux qui vivent du travail de la terre, qui préserve l’environnement et la santé des consommateurs. L’Europe doit reconnaître pour les siens et pour tous les paysans du monde le principe de la souveraineté alimentaire.
La décision de sortie du nucléaire doit être accompagnée immédiatement d’un programme intégré couvrant à la fois l’incitation aux économies d’énergie, l’accès aux énergies alternatives. Il faut pénaliser lourdement les gaspillages d’énergie et décourager les pratiques coûteuses en énergies non renouvelables.
Une Europe de l’égalité
La laïcité est une condition incontournable de l’égalité. En neutralisant l’espace public de toute ingérence philosophique ou religieuse, elle offre à chacun une égale liberté de croire ou de ne pas croire. La laïcité doit être reconnue. Les délits de blasphème et d’offense doivent être abolis sur tout le territoire européen.
L’Europe que nous voulons doit consacrer l’absolue égalité entre la femme et l’homme. Elle doit garantir l’autonomie de la femme et lui accorder le plein usage du droit au divorce, à la contraception et à l’avortement.
Toutes les personnes qui vivent sur le territoire de l’Europe doivent bénéficier d’un traitement égal. Il faut mettre fin à l’Europe forteresse qui s’enferme égoïstement derrière des barbelés. Il faut appliquer le droit du sol et la citoyenneté de résidence.
L’Europe que nous voulons combattra et punira toutes les discriminations fondées sur le sexe, la race, la langue. De même, toutes les formes d’homophobie seront poursuivies.
L’Europe à laquelle nous aspirons effacera tout ce qui a contribué à l’uniformité et reconnaîtra toutes les diversités qui en font la richesse et s’affirmera comme une société multiculturelle.
Une Europe de la solidarité
L’Europe que nous voulons doit abolir immédiatement la totalité des dettes des pays du Sud qui ont déjà été remboursées au moins sept fois.
L’Europe doit devenir un acteur décisif pour la refonte ou la suppression des institutions internationales nocives pour les peuples (OCDE, Banque Mondiale, FMI, OMC).
Elle doit inverser radicalement sa politique actuelle et se trouver aux côtés des peuples du Sud afin qu’ils conquièrent enfin leur pleine indépendance économique.
Elle doit s’interdire, dans ses choix internes, des politiques qui ont pour effets de priver les peuples du Sud des fruits de leurs ressources et de leur travail pour le seul bénéfice des firmes multinationales (ex : Danone et Nestlé qui ont obtenu la directive permettant de remplacer 5% de cacao par 5% de graisses végétales dans la fabrication du chocolat, ce qui a privé la seule Côte d’Ivoire de 25% de ses recettes et frappé 11 millions de paysans en Afrique de l’Ouest).
Une Europe de la paix et de la justice
L’Europe doit contribuer à l’établissement d’un ordre international où la force du droit remplace le droit de la force. Elle doit se retirer de l’OTAN. Elle doit renoncer à l’arme nucléaire et s’ériger en zone dénucléarisée.
Elle doit soutenir une réforme de l’ONU qui aboutisse à une plus grande représentativité du Conseil de Sécurité et à une plus grande autonomie de l’institution, en particulier dans le cadre des missions de paix.
L’Europe doit cesser de renvoyer dos à dos occupants israéliens et occupés palestiniens et contribuer à la création d’un Etat palestinien indépendant et viable dans les frontières de 1967.
Les chemins d’une autre Europe
Pour réaliser cette Europe que nous voulons, les traités existants et la jurisprudence de la Cour de Justice ne sont plus valables. Ils doivent être abrogés et remplacés par des textes qui offrent le cadre juridique à l’Europe que nous voulons et qui seront issus de la volonté populaire.
S’il faut changer la France pour être en mesure de changer l’Europe, le défi se pose de la même manière dans chaque pays de l’Union européenne. Une Europe des peuples ne peut se construire que par l’irruption des peuples dans ce combat européen. Il est dès lors prioritaire d’établir des liens, de rechercher des convergences, d’entreprendre des luttes qui soient communes aux anticapitalistes de tous les pays de l’Union.
Il y a urgence à mettre en place une coordination européenne des anticapitalistes résolus à combattre l’Europe telle qu’elle se fait au travers des luttes contre les nuisances sociales et écologiques dont elle est responsable.