A la veille des vacances, le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, décidait de reporter d’un an l’application de sa contre-réforme du lycée, massivement rejetée par la puissante grève enseignante du 20 novembre. C’est le mouvement des lycéens et la peur de la jeunesse, de sa capacité à imiter celle de Grèce, qui ont permis ce report. La preuve est ainsi faite qu’on peut faire reculer le gouvernement. Mais ce n’est qu’un sursis : Darcos n’a pas renoncé à faire des économies sur le dos du service public d’éducation. Lors de ses vœux du Nouvel An, Sarkozy a insisté sur la nécessité de mettre en place cette contre-réforme.
Il importe donc d’amplifier la mobilisation pour imposer au ministre de renoncer définitivement à cette contre-réforme. De se mobiliser aussi pour faire triompher les autres revendications. Avant tout, il faut que ce gouvernement écoute la volonté de maintenir l’offre éducative que la jeunesse a montrée avec force : cela implique de renoncer aux 13 500 suppressions de postes, qui s’ajoutent aux 11 500 de l’an dernier. La carte scolaire va, dans les semaines qui viennent, concrétiser ces suppressions établissement par établissement et augmenter la colère des lycéens, des enseignants, des parents.
Dans le primaire, les sujets de mécontentement ne manquent pas, au premier rang desquels la nouvelle organisation de la semaine et du soutien aux élèves en difficulté, la suppression des Rased, les menaces contre les maternelles. Les grèves d’instits ont été très massives ces derniers mois. De plus, pour pallier le manque d’initiative des directions syndicales, nombre de professeurs des écoles ont choisi de refuser d’obéir au ministre en ce qui concerne les directives qu’ils jugent dangereuses pour le service public (Rouge du 18 décembre). L’un d’entre eux, Bastien Cazals, à Montpellier, a été frappé de huit jours de retrait de salaire pour cette désobéissance (mesure annulée, puis remise en place).
C’est donc toute l’Éducation qui peut et doit se mobiliser, comme ce fut le cas le 20 novembre. Mais pas le temps d’une journée d’action sans lendemain. Les jeunes ont montré la voie : ce gouvernement peut reculer s’il sent face à lui une force déterminée. Ils appelaient à une première journée de manifestations, le 8 janvier. Le samedi 17 janvier, une manifestation nationale unitaire, avec les parents et les lycéens, est organisée. Le 29 janvier, la journée d’action nationale interprofessionnelle sera marquée par la grève dans l’Éducation nationale. Un fort mouvement lycéen peut très bien précipiter ces échéances prévues par les directions syndicales et permettre que se mette en place un puissant mouvement d’ensemble contre la politique de casse du service public d’éducation. À condition que les personnels prennent leurs luttes en main et que la jonction s’opère avec les lycéens et les parents d’élèves.
Robert Noirel
* Paru dans Rouge n° 2281, 08/01/2009.
Instits et parents mobilisés
Le report de la contre-réforme des lycées, qui vise entre autres à diviser premier et second degrés, ne semble pas avoir eu l’effet escompté. Les lycéens restent mobilisés, tout comme les instits, les parents et les enseignants.
Instits et parents n’ont pas désarmé : mercredi 17 décembre après-midi, on a compté encore de nombreuses manifestations (250 personnes à Toulouse…), distributions de tracts et veillées des écoles (Marseille…). Des actions sont menées dans la plupart des villes, la pression est toujours là. Nul doute, la reprise de la mobilisation va être incitée par la perspective d’une journée de manifestation unitaire, le samedi 17 janvier, à laquelle se joindront les parents d’élèves, et par celle d’une journée de grève interprofessionnelle, le jeudi 29 janvier, dans laquelle les enseignants illustreront la défense de l’école publique.
Malgré sa petite « reculade » sur les « jardins d’éveil », structures territoriales censées remplacer l’école maternelle pour les 2-3 ans, le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, n’a pas réussi à éteindre le feu au niveau des écoles primaires. La vague de « désobéissants » continue d’entretenir la résistance des instits, les lettres de désobéissance ayant été remises collectivement aux inspections académiques dans plusieurs départements. Des secteurs entiers « suspendent » l’aide personnalisée, en réponse à la mise à mort des Rased (enseignants spécialisés pour les élèves en difficulté). La pétition « Darcos démission », avant d’être piratée, avait rassemblé plus de 15 000 signatures. Après avoir voulu infliger un traitement d’exception à Bastien Cazals (retrait de huit jours de salaire) pour avoir revendiqué sa désobéissance aux contre-réformes Darcos, l’administration a annulé la poursuite le jour des vacances.
Ces « reculades », si elles restent à la marge, indiquent que le rapport de force est favorable à la mobilisation. La stratégie syndicale devra enfoncer le clou. On ne peut que regretter que l’intersyndicale de l’Éducation, réunie jeudi 18 décembre, n’ait pas débouché sur une nouvelle journée de grève, ce que demandaient les assemblées générales du 20 novembre. La FSU se pose la question d’appeler à la grève seule, en amont de la grève de la fonction publique du 29, si le mouvement enseignants-parents-lycéens se poursuit à la rentrée. Ce serait nécessaire, pour ne pas laisser le secteur se mobiliser seul et braver les pressions hiérarchiques de manière individuelle… Seule une action forte et fédérée pourrait venir à bout de ces contre-réformes. Ne laissons pas le mouvement refroidir avec la dinde de Noël et poussons les directions syndicales à fixer les cadres de lutte, notamment celui de la grève.
Hélène Kaplan
* Paru dans Rouge n° 2280, 25/12/2008.
LE MOUVEMENT LYCÉEN EN FINISTÈRE : Rendez-vous à la rentrée
Le recul de Xavier Darcos n’y a rien fait : les lycéens étaient près de 160 000 à manifester à la veille des vacances. Le mouvement se poursuivra sans aucun doute à la rentrée. Le point sur la situation dans le Finistère.
En 2006 déjà, les lycéens et les étudiants bretons s’étaient fortement mobilisés contre le CPE. Deux ans plus tard, la jeunesse de l’Ouest fait une nouvelle fois figure de fer de lance de la contestation, dès le début du mouvement. Dans le Finistère, la mobilisation lycéenne s’est prolongée jusqu’au vendredi 19 décembre, jour des vacances scolaires. Déjà, lors des manifestations d’enseignants, des centaines de lycéens avaient pris la tête du cortège à Quimper, pour affirmer leur détermination à repousser la contre-réforme Darcos.
Les deux dernières semaines, le mouvement n’avait cessé de s’amplifier, redoublant d’ardeur à l’annonce du recul partiel de Darcos. Dans toutes les villes du Finistère, les lycéens et même les collèges étaient en mouvement, y compris les lycées privés. À Quimper, par exemple, à plusieurs reprises, entre 2 500 et 3 000 lycéens ont battu le pavé. Les blocus des lycées, décidés démocratiquement lors des différentes assemblées générales, étaient complets. Les poubelles, amoncelées devant les grilles d’entrée, étaient toujours surveillées par un petit groupe, privé du coup de manifestation.
Rivalisant d’imagination dans la confection des banderoles (« Du fric pour les lycées, pas pour les banquiers », « L’école de la République, pas celle du fric et des bling-bling ») et des mots d’ordre, les lycéens auto-organisés ont géré de bout en bout leur grève et leur mobilisation. Ils ont su s’appuyer sur les représentants de certains comités de vie lycéenne afin de coordonner leur mouvement au niveau départemental. Développant les liens avec les enseignants et les parents d’élèves, Lucas, lycéen membre du NPA, explique que la FCPE a mis à disposition plusieurs bus afin que les lycéens de Pont-l’Abbé puissent rejoindre leurs camarades de Quimper.
Sur une terre de résistance à la disparition des hôpitaux et de la santé publique, les lycéens du Finistère ont repris le flambeau avec méthode, organisation et détermination. « Aucune, aucune, aucune hésitation, c’est la, c’est la, c’est la révolution », pouvait-on entendre à Quimper ou à Brest, comme en écho à la lutte de Carhaix… À l’instar de Camille, lycéenne du NPA, les filles étaient nombreuses et souvent porte-parole des mobilisations et des coordinations lycéennes.
À Quimper, Morlaix, Brest, Concarneau, Carhaix, Quimperlé, entre autres, le mouvement lycéen n’est pas près de s’éteindre. Toutes et tous se sont donnés rendez-vous à la rentrée de janvier, afin d’obtenir le retrait total de la contre-réforme Darcos, mais aussi sur des revendications plus larges, comme la fin des suppressions de postes d’enseignants, des bacs pros en trois ans et la contre-réforme de l’université.
Correspondants
* Paru dans Rouge n° 2280, 25/12/2008.
ÉDUCATION NATIONALE : Premier recul significatif
Face à la mobilisation lycéenne, le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, a repoussé la contre-réforme des lycées. Il s’agit d’une première victoire, mais l’ensemble des mesures réactionnaires du gouvernement doit être supprimé.
Les lycéens sont entrés massivement dans la contestation des contre-réformes Darcos avec, dans de nombreux départements, des blocages de lycées, des manifestations exceptionnelles, des occupations de nuit. Face à ce mouvement, le gouvernement a dû retirer la contre-réforme des lycées, assurant la repousser d’un an. Au-delà des actions appelées par les syndicats, la résistance et les mobilisations se poursuivent aussi chez les enseignants du primaire, où d’autres formes d’action se multiplient : occupations administratives des écoles par les parents, appels à la désobéissance pédagogique, etc. La pétition demandant l’arrêt de la démolition de l’école et la démission de Darcos a déjà recueilli plus de 15 000 signatures.
La désobéissance des enseignants du premier degré fait tache d’huile, près de 40 départements appelant à la suspension des mesures Darcos concernant les nouveaux programmes, la suppression des Rased (enseignants spécialisés auprès des élèves en difficulté) et la mise en place d’une évaluation des élèves destinée à mettre les écoles en concurrence. Les enseignants sont soumis à des pressions hiérarchiques, comme Bastien Cazals, enseignant de l’Hérault, qui a subi une retenue sur salaire pour avoir envoyé à sa hiérarchie une lettre de désobéissance.
Ces mouvements de résistance confirment la colère des enseignants, des élèves et des parents face à la démolition du service public. Ne prenant pas appui sur les personnels les plus mobilisés, comme ceux de Loire-Atlantique qui appelaient à la grève le 18 décembre aux côtés des lycéens, les fédérations de la fonction publique tergiversent sur un éventuel appel à la grève en janvier.
Pour faire reculer le gouvernement, un « tous ensemble » s’impose. S’il est positif, l’appel interprofessionnel à la grève, le 29 janvier, ne suffira pas : dans l’Éducation, les vacances de février débutent le 3… Darcos se plaît à dire qu’il n’est pas le ministre de l’hésitation nationale, mais il a déjà été contraint à un recul. Les enseignants, les lycéens, les chercheurs, les parents ne doivent pas être non plus les victimes de l’hésitation nationale des organisations syndicales à organiser une mobilisation tous ensemble.
Si les directions syndicales ne sont pas capables d’engager le bras de fer avec le gouvernement, c’est par en bas que le mouvement de grève doit se construire. Ces dernières semaines, le mouvement a franchi une étape, la colère gronde bien au-delà des seuls enseignants. D’ici l’arrivée des vacances scolaires et à la rentrée, la fédération des luttes doit se poursuivre, afin d’arriver à une grève nationale reconductible aussitôt après la rentrée de janvier, dans le but de mettre un coup d’arrêt aux contre-réformes Darcos, d’exiger l’abrogation de ses décrets et l’organisation d’états généraux sur l’école.
Nina Lehair
* Paru dans Rouge n° 2279, 18/12/2008.
LYCÉES : Les Bouches-du-Rhône mobilisées
Rouge n° 2279, 18/12/2008 Commentez cet article
Partie du centre de Marseille, la mobilisation s’est étendue à une majorité des lycées des Bouches-du-Rhône. Loïe est lycéenne à Marseilleveyre (quartiers sud) et Roxanne à Antonin-Artaud (quartiers nord) [1].
● Quelles sont vos revendications ?
Loïe – Nous refusons la « réforme » des lycées et la mise en place de modules qui vont créer des inégalités entre lycéens et entre lycées. Les modules les plus demandés entraîneront une limitation des inscriptions et les options les moins prisées, comme le grec, risquent d’être supprimées. On ne comprend pas l’intérêt de la semestrialisation, car les lycéens vont être évalués sur des périodes plus longues avec davantage de difficultés pour se rattraper. Enfin, le contenu des trois heures d’aide n’est pas défini clairement. Certains lycées les utiliseront pour faire du soutien, d’autres pour l’orientation ou l’expérimentation. Là encore, cela va entraîner des inégalités entre les établissements.
Roxanne – Nous réclamons la réduction des effectifs par classe et donc l’arrêt des suppressions de postes et l’augmentation conséquente du budget de l’Éducation. Nous sommes opposés au financement et au développement de l’enseignement privé. Nous demandons le rétablissement de la carte scolaire et le maintien d’un bac national. Nous voulons lancer une réelle réflexion sur la réforme à faire, avec l’ensemble des professeurs, des lycéens et des parents d’élèves, pour améliorer l’école et non pas la détruire.
● Comment vous êtes-vous organisés ?
Roxanne – Nous avons mis en place une coordination départementale, avec deux ou trois délégués par lycée et avons élu un secrétariat. Nous avons créé un service d’ordre. La coordination a déjà rencontré la FCPE et organisé une réunion commune avec la Fidl et l’UNL, avec lesquelles il existe des désaccords.
Loïe – La Fidl a tout d’abord critiqué la coordination en lui reprochant d’aller trop vite et de ne pas attendre le vote de la loi, en janvier, pour agir. Finalement, ils ont été contraints de rejoindre la coordination. On a créé une liste de discussion par mails et on est en train de se structurer au niveau départemental, avec Aix, Aubagne, Miramas… Nous avons organisé une veillée des lycées avec les parents d’élèves.
● Comment voyez-vous les suites de votre mobilisation ?
Loïe – On ne va pas s’arrêter là. On va continuer à s’organiser et à mener des actions pendant les vacances. On va repartir encore plus fort à la rentrée avec des blocages, des manifestations, des actions. Les lycéens demandent à être écoutés.
Roxanne – On a déjà prévu plusieurs actions pour la dernière semaine avant les vacances (manifestation nocturne, veillée des lycées). On va continuer à discuter et à s’organiser pendant les vacances pour repartir encore plus fort à la rentrée. On a encore besoin du soutien des enseignants et on doit se structurer au niveau national.
Propos recueillis par Nicolas Ribière
1. Interview réalisée avant l’annonce du report de la contre-réforme des lycées.
* Paru dans Rouge n° 2279, 18/12/2008.