Dans la nuit du 27 au 28 décembre, un patient de 67 ans a été pris en charge par le Samu de l’Essonne pour un malaise cardiaque. Il est mort après avoir attendu six heures une place en réanimation disposant. 27 hôpitaux avaient été sollicités, en vain. L’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et son président, Patrick Pelloux, mettaient immédiatement en cause les restrictions budgétaires, comme explication fondamentale d’une telle situation.
En quelques heures, l’ampleur du scandale a été telle que le cabinet de la ministre et Roselyne Bachelot elle-même ont été débordés, obligeant l’omniprésident à entrer en scène, le 1er janvier, pour tenter de justifier sa politique et son projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires ».
Les urgences sont le lieu où s’exprime la crise de l’ensemble du système de santé et de l’hôpital, soumis depuis des années, et plus particulièrement avec le plan « Hôpital 2007 », aux politiques de restriction et de privatisation du service public. Les urgences sont le seul lieu où l’on peut accéder rapidement à des soins gratuits. La médecine de ville répond mal aux sollicitations urgentes, surtout le soir et la nuit. L’accès en est de moins en moins gratuit (franchises, dépassements…).
Mais si les urgences sont saturées, c’est avant tout parce que la pénurie de lits est générale dans l’ensemble des services hospitaliers. « Trouver un lit » devient le casse-tête quotidien des équipes de soins déjà surchargées de travail ! Comme le constate à juste titre le président de la Société de réanimation de langue française, le professeur Guidet, « les services de réanimation se remplissent mais ne se vident pas », faute de solution en aval.
Le service public suppose la possibilité d’accueillir l’imprévu, le « non-programmé », et donc de maintenir une marge de sécurité en lits et en personnel. Le dogme gestionnaire du « taux d’occupation des lits » maximum imposé aux hôpitaux est renforcé par le nouveau système de tarification du T2A (tarification à l’activité) : un lit vide est un lit qui ne « rapporte rien ». Il doit être ou fermé ou rempli…
Comme le résume parfaitement l’auteur de l’appel « Sauver l’hôpital public », André Grimaldi : « La logique de flux tendu […], logique marchande [est] contradictoire avec le besoin, pour les hôpitaux, d’avoir des lits vides, pour assurer en toutes circonstances la continuité du service public. »
Il y a bien pénurie et manque de moyens pour assurer un véritable service public. À l’AP-HP, 2600 postes ont été supprimés en 2008, dont 2 000 d’infirmières ! Quant à la « meilleure organisation » que prétendent vouloir mettre en place Sarkozy et Bachelot, il s’agit pour eux non de mettre la gestion au service du soin, mais l’inverse, avec des directeurs qui pourront être désormais des managers d’entreprises privées. Autant de raisons de combattre et de mettre en échec la loi Bachelot/Sarkozy, qui va encore aggraver la pénurie, et les risques qu’elle fait courir aux patients.
Jean-Claude Delavigne
* Paru dans Rouge n° 2281, 08/01/2009.
POLITIQUE DE SANTÉ : Responsables et coupables
Au cours de cette période de fêtes, trois drames ont endeuillé l’hôpital. La tragédie des familles qui vivent la perte d’un proche est encore plus douloureuse quand elle s’accompagne de l’idée qu’il aurait pu être sauvé .
Une erreur ou un « dysfonctionnement » à l’hôpital peut très vite devenir un drame humain. Chaque soignant le sait et vit en permanence avec cette inquiétude, sachant aussi, par expérience, que tout professionnel, même le mieux formé et le plus consciencieux, est toujours à la merci d’une erreur. À ce titre, la garde à vue de l’infirmière de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris), consécutive à la mort du petit Yliès, visant à jeter en pâture une « responsable » à une opinion sous le coup de l’émotion, est inacceptable et scandaleuse.
Un véritable service public a pour vocation de permettre que la défaillance individuelle ou la déficience d’un service puissent être évitées par un fonctionnement collectif, des moyens suffisants et des conditions de travail satisfaisantes. Or, par leur politique de restriction des moyens et de transformation de l’hôpital en « entreprise rentable », Sarkozy et sa ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, font sauter une à une toutes les sécurités, et ils créent toutes les conditions pour que se multiplient les drames.
Seuls le grand professionnalisme et la responsabilité des hospitaliers permettent de conserver à ce jour une qualité et une sécurité de soins pour les 8,5 millions de personnes qui passent chaque année à l’hôpital. Responsables et coupables, Sarkozy et Bachelot le sont quand, en organisant la fermeture des services d’urgence de chirurgie et des maternités des hôpitaux de proximité, ils allongent délibérément les délais pour accéder à des soins, saturant un peu plus les services des grands établissements.
Responsables et coupables, quand ils imposent comme premier objectif à l’hôpital le « retour à l’équilibre budgétaire » par « l’accroissement de la productivité », le travail à flux tendu et la polyvalence généralisée. Qui osera prétendre qu’un professionnel, après huit voire douze heures de travail ininterrompu et de pressions constantes imposées par le « management », ne risque pas une défaillance, voire une erreur grave ? Responsables et coupables, quand, en réduisant le nombre de lits des établissements hospitaliers, dont un sur quatre a été supprimé depuis 1981, ils créent l’asphyxie des services, à commencer par les urgences (lire ci-dessus et ci-dessous).
Ils sont d’autant plus responsables et coupables qu’ils entendent poursuivre et aggraver cette politique dans les mois qui viennent, avec les plans de « retour à l’équilibre » des hôpitaux (suppressions massives de postes) et la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », dite « loi Bachelot ». Pour que les morts de cette fin d’année ne l’aient pas été en vain, par respect pour eux, il y a urgence à se mobiliser, afin de permettre à l’hôpital public et à ses professionnels de continuer à dispenser des soins de qualité et de proximité en toute sécurité.
Jean-Claude Delavigne
* Paru dans Rouge n° 2281, 08/01/2009.
Décès dans les hôpitaux publics
Pour toute personne sensée, au-delà des erreurs humaines, les décès survenus ces derniers jours dans les hôpitaux publics posent crûment la question des moyens, matériels et humains, ainsi que des conditions de travail qui sont celles des différents personnels de soins. C’est, très exactement, le débat qu’ont voulu ouvrir leurs syndicats et leurs associations, à commencer par l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Impardonnable aux yeux de la rédaction du Figaro !
Ainsi, le 30 décembre, Yves Thréard titre son éditorial : « La responsabilité des syndicats hospitaliers. » Pour l’éditorialiste, il ne fait aucun doute que l’argent est « mal utilisé » et que « c’est l’ensemble du dispositif qu’il convient donc de reconsidérer ». Tous les lieux communs y passent : « l’introduction calamiteuse des 35 heures », « nos réflexes individuels qui nous conduisent aux urgences pour un oui ou pour un non » et, bien sûr, « l’excès de bureaucratie ». Alors, bien sûr : « On aimerait que les syndicats l’admettent plutôt que de monter en épingle des cas particuliers. » Avec cette conclusion qui laisse pantois : « Le zéro mort n’existant pas en médecine, rien ne prouve que plus de moyens, ainsi que le clament les syndicats, auraient permis d’éviter ces trois décès. »
Comme cela ne suffit pas – même pour les lecteurs du Figaro ! –, deux jours après, c’est Martine Perez, « rédactrice en chef chargée de la rubrique “Science et Médecine” », qui est mise à contribution pour enfoncer le clou. Là encore, le titre – « L’injuste récupération des drames de la médecine » – vise à détourner l’attention du véritable problème, en s’en prenant à ceux qui le soulèvent. Là encore, les mêmes fausses évidences destinées à enfumer le lecteur : « C’est regrettable, mais le monde de la médecine n’échappe pas au risque d’erreur humaine. » Et la même attaque contre les syndicats : « Mais c’est vrai qu’en faisant feu de tout bois pour déstabiliser le ministère de la Santé, le syndicat des médecins urgentistes a commencé, lui, à perdre tout crédit. » Un risque que ne court assurément pas Le Figaro ! Coïncidence révélatrice : au-dessus de l’article cité, le haut de page est consacré aux « Vœux de Serge Dassault ». Merci, patron !
François Duval
* Paru dans Rouge n° 2281, 08/01/2009 (La gazette des gazettes).
CHI DE POISSY : La coupe est pleine
Depuis de nombreux mois, le personnel du service des urgences du centre hospitalier intercommunal (CHI) de Poissy (Yvelines) formule des demandes à la direction de l’hôpital : réfection des locaux et des douches, installation d’un téléviseur, acquisition de matériel indispensable à un fonctionnement technique, respect du mois de formation pour les nouveaux professionnels, et prise en compte d’un temps de transmission d’un quart d’heure entre les équipes, chaque équipe réalisant douze heures.
De son côté, la direction a l’œil rivé sur le déficit de l’établissement (72 millions d’euros), lié en partie à des défaillances informatiques ayant empêché des recettes mais également, comme de nombreux hôpitaux publics, aux conséquences de la tarification à l’activité (T2A). La coupe a débordé quand la direction des ressources humaines a abordé la question du temps de travail en proposant que la pause déjeuner, actuellement d’une heure (mais pendant laquelle l’agent reste à disposition), passe à une demi-heure payée et une demi-heure non payée (l’agent est libre de la prendre ou non) ! Le calcul a été vite fait : selon les choix, cela équivaut de deux à quatre gardes de 12 heures en plus par an et par agent.
Les personnels se sont également vus soumis au chantage du risque de mise sous tutelle de l’hôpital. Le service marche en effectifs limites et fait très souvent appel à des intérimaires, ce qui vient de nouveau illustrer la pénurie de personnels dans les services, notamment d’urgence, contrairement aux mensonges de la ministre, qui prétend que tout cela n’est qu’un problème d’organisation.
Les personnels des urgences de l’hôpital de Poissy ne s’y trompent pas : si l’État peut sauver des banques avec des milliards, il peut aider les hôpitaux avec des millions. Ils ont donc décidé de faire la grève de l’enregistrement des cartes vitales et des actes paramédicaux, et ils envisageaient de se mettre en grève à partir du 8 janvier. Le NPA et ses militants de la branche santé leur apportent leur soutien.
Correspondant
Rouge n° 2281, 08/01/2009
* Paru dans Rouge n° 2281, 08/01/2009.
Le CHU de Besançon en lutte
En 2009, l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Franche-Comté prévoit plusieurs centaines de suppressions de postes et une diminution des RTT. À Champagnole (Jura), une manifestation départementale a eu lieu le 19 décembre, à la suite de l’annonce de la suppression du service de chirurgie. Dans l’aire urbaine Montbéliard-Belfort, le projet de construction d’un site hospitalier unique, à Trevenans (Territoire de Belfort), prévoit 650 lits, contre plus de 900 actuellement. Un comité de défense, actif depuis de nombreux mois, alerte la population.
À Besançon (Doubs), après une première journée de grève massive, le 20 novembre, l’intersyndicale poursuit la mobilisation. Des groupes de personnels volontaires ont fait signer une pétition en défense de l’hôpital public sur les marchés, avec des résultats très significatifs (1400 signatures dans l’après-midi). Lors du traditionnel arbre de Noël du 17 décembre, le discours du directeur a été interrompu par les sifflets de centaines de mères présentes pour l’occasion. Et, surtout, décision a été prise d’organiser une manifestation régionale des personnels hospitaliers, le jeudi 22 janvier.
Des équipes militantes sont en train de se rendre sur les divers hôpitaux de Franche-Comté pour nouer des contacts et informer les personnels. Le NPA n’est pas inactif. Il a organisé, le 16 décembre, à Besançon, une réunion publique qui a rassemblé 24 personnes. Toutes les énergies sont désormais tournées vers la réussite de la manifestation régionale du 22 janvier, tremplin vers la grève du 29.
Correspondant
* Paru dans Rouge n° 2280, 25/12/2008 (Au jour le jour).
HÔPITAL DE CARHAIX : Allô, la gauche ?
L’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) est prête à remettre le couvert. Elle tente d’imposer la fusion de l’hôpital de Carhaix (Finistère) avec celui de Brest. Or la « fusion » est un moyen de supprimer un certain nombre de spécialités. L’hôpital de Concarneau est là pour en témoigner.
Loin d’être résignée, la population s’est jointe, samedi 20 décembre, à une manifestation départementale réclamant un service public hospitalier de proximité pour tous. Cette manifestation a rassemblé près de 800 personnes, à l’appel du comité de défense des hôpitaux de proximité, relayé par les comités de défense des hôpitaux de Carhaix, de Concarneau, de Pont-l’Abbé et de Douarnenez.
Le problème de l’hôpital de Carhaix est politique. Malheureusement, une nouvelle fois, le PS a choisi l’accompagnement de la casse des services publics. Il y a quelques mois, le président socialiste de la région Bretagne, Jean-Yves Le Drian, appelait la population centre bretonne « à se préparer à un nouveau Plogoff » ; il déclare aujourd’hui « que la fusion sans garantie du maintien des services est une victoire pour la santé en Centre Bretagne ». Au temps fort de la lutte, le conseiller général socialiste Richard Ferrand prônait « l’union sacrée pour le maintien de l’ensemble des services » ; il n’a pas appelé à manifester le 20 décembre à Quimper. Le maire de Brest et le président du conseil général du Finistère, socialistes, sont aussi causant que des huîtres sur le sujet.
Mais, signe positif, le lundi suivant la mobilisation, le conseil d’administration de l’hôpital de Carhaix indiquait, à titre indicatif, qu’il rejetait la fusion (neuf voix contre sept). Un vote formel aura lieu le 22 janvier. « Le NPA/LCR est favorable au renforcement de la coopération de l’hôpital de Carhaix avec d’autres centres hospitaliers. Cette coopération accentuée préserverait à Carhaix un pouvoir de décision, et donc la garantie du maintien de l’ensemble de ses services et de son personnel » : voilà, le 15 décembre dernier, le message qu’apportait d’Olivier Besancenot, seul représentant politique national à médiatiser cette lutte.
Matthieu Guillemot
* Paru dans Rouge n° 2280, 25/12/2008.
Le Centre de santé mentale angevin en lutte
Jeudi 4 décembre, réunis en assemblée générale à l’appel de l’intersyndicale (CGT, FO), 300 agents du Centre de santé mentale angevin (Cesame) de Saintes-Gemmes-sur-Loire (Maine-et-Loire), se sont prononcés pour la grève reconductible contre les projets de la direction.
L’établissement, asphyxié financièrement par la politique de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, et de Sarkozy se retrouve en déséquilibre budgétaire. Le directeur, en étroite collaboration avec l’agence régionale d’hospitalisation (ARH), concocte un « plan de retour à l’équilibre », avec la création de trois nouvelles structures et l’objectif de diminuer de 20 % le nombre de patients hospitalisés au Cesame. Les cliniques privées et psychiatres libéraux s’en frottent déjà les mains.
La direction prévoit de supprimer vingt postes non médicaux (soignants, administratifs et techniques), quatre postes de médecins et, surtout, de démanteler un secteur de soins.
Vendredi 5 décembre au matin, l’hôpital était bloqué par des piquets de grève. Seules les urgences pouvaient passer. Des banderoles ont fleuri, des tracts ont été distribués en direction de la population, un barrage filtrant a été installé au rond-point des Ponts-de-Cé. L’assemblée générale du 5 décembre a reconduit la grève pour une semaine.
Face à la direction et à l’ARH qui, pour l’instant, restent sourdes, les salariés restent déterminés. Les samedi et dimanche suivants, des diffusions de tracts ont été organisées sur les marchés d’Angers, et de nouvelles actions sont programmées.
Correspondant
* Paru dans Rouge n° 2278, 11/12/2008 (Au jour le jour).
URGENCES : « ça craque de partout »
La grève des médecins urgentistes a démarré le 1er décembre, pour une durée illimitée. Entretien avec Christophe Prudhomme, urgentiste à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et responsable des médecins CGT.
● D’où vient le ras-le-bol ?
Christophe Prudhomme – Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la dégradation des conditions de travail, en même temps que celle des hôpitaux. Dans le cadre des plans de rééquilibrage financier, les directeurs transforment le décompte du temps de travail. En 2003, on avait obtenu l’application de la législation européenne, avec une semaine bloquée à 48 heures. Aujourd’hui, avec le statut de praticien hospitalier, on compte le temps de travail en demi-journées, ce qui nous fait travailler 60 heures par semaine ! De plus, dans plusieurs hôpitaux, les urgences craquent de partout. Les centres 15 sont débordés. Le gouvernement a accepté que la médecine libérale se désengage des urgences après minuit. On n’en peut plus ! L’accès aux soins courants étant plus difficile, on voit affluer cette demande aux urgences. 80 % des hôpitaux sont « déficitaires ». Les suppressions concernent aussi des postes de garde et on va terminer l’année avec 20 000 suppressions d’emplois paramédicaux. À Avicenne, la CGT a déposé une alerte pour « danger grave et imminent » aux urgences, et on a même demandé la visite de l’inspection du travail. La directive « temps de travail » passe au Parlement européen, les 15 et 16 décembre. Elle va mettre le feu aux hôpitaux. Des délégations de médecins européens viendront à Strasbourg et il y aura une manifestation de la CES.
● Quelles sont les perspectives ?
C. Prudhomme – Les urgentistes ne pourront pas créer le rapport de force tout seuls. Il est aussi possible de faire la grève du codage des actes. L’idée est d’aboutir, en janvier, à une action générale. La fédération CGT lance un appel pour un mouvement associant personnel non médical et médical, avec la volonté d’un grand retentissement, par exemple du type « hôpital mort », en faisant le lien avec les collectifs contre les franchises et la Coordination de défense des hôpitaux, qui envisagent une action samedi 24 janvier. D’autres mouvements commencent un peu partout. Par exemple, en Île-de-France, le 9 décembre, et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Nous souhaitons que la mayonnaise prenne et qu’on puisse faire échec à la loi Bachelot. Notre revendication est claire : pour remettre sur pied le service public hospitalier, il faut en finir avec le service privé ou commercial hospitalier et imposer des normes publiques. La mise en place de la tarification à l’activité (T2A) dans les hôpitaux publics est faite pour les rapprocher du secteur privé à but lucratif. La Générale de santé, groupe gérant plus de 170 établissements hospitaliers privés, en France et en Italie, a versé, fin 2007, 430 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros.
Propos recueillis par Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge n° 2278, 11/12/2008.
HÔPITAUX PARISIENS : Cote d’alerte dépassée
Depuis plusieurs mois, les personnels de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) agissent contre l’application anticipée de la loi Bachelot.
Paris 28 mars 2008, hôpital Saint-Antoine en grève.
En plein été, la direction générale de l’Assistance publique de Paris (AP-HP) annonce un vaste plan d’éclatement des hôpitaux, anticipant le projet de contre-réforme « Hôpital, patients, santé et territoires » [1] : il s’agit du regroupement-fusion des 39 hôpitaux actuels en treize entités géographiques. Fin octobre, dans sa lettre de cadrage budgétaire pour 2009, le directeur général a enfoncé le clou en dévoilant un nouveau « plan d’économie » de 150 millions d’euros et la suppression d’un millier d’emplois, qui viendront s’ajouter aux 2000 postes de soignants et 600 d’administratifs et ouvriers déjà « perdus » cette année. Pour ceux qui trouveraient la potion trop amère, ces mesures ne représenteront « qu’une étape d’ici à 2012 ».
Comment, dès lors, s’étonner, si ces coupes claires se généralisent, de voir notre système de santé régresser à la dixième place (sur 31 pays classés), après en avoir occupé la première jusqu’à ces deux dernières années ? Franchises diverses et multiples (consultations, médicaments, forfait hospitalier), déremboursements, financement de l’hôpital par la tarification en fonction de l’activité (T2A) : au total, une décennie de plans d’austérité hospitalière a conduit à cette dégringolade.
Début novembre, c’était au tour des présidents des 40 comités consultatifs médicaux (CCM) des hôpitaux de l’AP-HP de s’alarmer, dans une lettre ouverte à leur ministre. Ils y signalaient « des restrictions budgétaires sans objectifs médicaux ni de santé publique » et dénonçaient « un étranglement financier pur et simple ». « Nous […] médecins de terrain, sommes inquiets […]. Il y a danger », concluaient-ils. Que les mandarins médicaux – qui ont pourtant accepté et mis en place la tarification à l’activité, après s’être coulés dans les fauteuils de chefs de « pôles » (fusion de services sur des critères gestionnaires) – s’émeuvent des restrictions budgétaires, en dit long sur le désenchantement qui gagne les notables hospitaliers eux-mêmes. La Fédération hospitalière de France (FHF), qui regroupe les directeurs d’hôpitaux, a également lancé une alarme nationale sur l’asphyxie financière généralisée.
Le 2 octobre dernier, à l’appel d’une intersyndicale au grand complet (la CFDT s’est, depuis, retirée), plus de 5 000 agents de l’AP-HP ont manifesté. Un nouvel appel, accompagné d’une pétition « Pour le retrait de la loi Bachelot » (CGT, CFTC, CGC, FO, SUD, Unsa), est lancé pour le mardi 9 décembre, avec une manifestation en direction du ministère, tandis que le débat sur la loi Bachelot est prévu au mois de janvier. Au même moment, d’autres mobilisations sont en cours dans d’autres régions. Alors, pour balayer le projet de loi Bachelot, mettons ensemble le pied à l’étrier, personnels et usagers, pour défendre un vrai service public de santé.
Correspondant
* Paru dans Rouge n° 2277, 04/12/2008.
CARHAIX : Pour l’hôpital, la lutte continue
Le 22 novembre, la cinquième Fête du bruit et de l’odeur, à Carhaix, a rassemblé plus d’un millier de personnes. L’occasion de revenir sur la lutte pour la défense de l’hôpital de la ville.
À Carhaix, la Fête du bruit et de l’odeur, dernière de la LCR et première du NPA, a réuni les comités finistériens de Brest, Carhaix, Châteaulin, Crozon, Quimper, Quimperlé, Morlaix, Douarnenez, Pays bigouden et le comité jeunes. Des Rennais, des Morbihannais et des Costarmoricains étaient également présents. En début d’après-midi, on a parlé santé. C’était l’occasion de rappeler quelques vérités, notamment celles qui prennent le contre-pied des arguments du gouvernement et de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) pour justifier les fermetures des hôpitaux de proximité.
Il n’y aurait pas d’argent pour combler les déficits ? Mais qui a organisé le « trou » de la Sécu, en préférant rémunérer des actionnaires au détriment des salariés ? La Sécu est financée par notre travail, nos salaires. Plutôt que de réduire nos dépenses de santé, augmentons les salaires ! Des hôpitaux seraient dangereux par manque de médecins ? Mais qui a limité, depuis des années, l’accès des facs de médecine aux étudiants ? De 1982 à 1993, le numerus clausus n’a cessé d’être abaissé, pour tomber à 3 500 places en 1993. Comme pour tous les services publics, la stratégie est toujours la même : on réduit leurs moyens, avant de constater qu’ils ne fonctionnent pas bien et de les privatiser.
Mais, à Carhaix, on a dit « non » ! Pendant dix-sept semaines de combat acharné pour défendre l’hôpital, la population était là, ainsi que les syndicats et les élus – à l’exception du député Ménard (UMP)… Le 25 juin dernier, le tribunal administratif de Rennes leur a donné raison, en annulant l’arrêté de fermeture des services. Une victoire a été obtenue, mais pas la guerre. Un nouveau directeur, Raoul Pignard, avec quelques fermetures de services à son actif, est arrivé à l’hôpital. La mission qu’il a acceptée ? Rayer l’hôpital de la carte. Son arme ? Faire fuir les médecins qui voudraient y travailler. La gynécologue roumaine, qui devait commencer à exercer le 24 novembre, ne l’a pas fait, à la suite de propos qu’il lui a tenus.
Du coup, des représentants des syndicats (CFDT, CGT, SUD), du comité des usagers, du comité de défense et du conseil d’administration sont allés demander des comptes à ce directeur. Il paraît qu’il n’a pas apprécié. Le pauvre ! Qu’il se rassure, il vient de recevoir le soutien inattendu de Richard Ferrand, conseiller général PS. TF1 n’est pas en reste pour détruire la réputation de l’hôpital, grâce à un reportage intitulé « Enquête et révélations » (tout un programme), diffusé le 18 novembre. Un urgentiste de l’hôpital, arrivé depuis peu et qui partira sous peu, y tient des propos diffamatoires à l’encontre de ses collègues. À croire que son bref séjour n’était destiné qu’à répondre aux questions de TF1 visant à discréditer la lutte. Il en faudra plus pour démobiliser. Dès maintenant, une manifestation régionale se prépare à Quimper.
Cette discussion sur la santé précédait, en fin d’après-midi, une réunion avec Myriam Martin, membre du bureau politique de la LCR. Le constat de l’appauvrissement de la population – en France, 7 millions de personnes, dont 2 millions d’enfants, vivent en dessous du seuil de pauvreté – a été dressé. Licenciements par des entreprises qui font des profits, délocalisations, les effets de la crise sont encore à venir. Face au discours qui tendrait à nous faire croire qu’il y aurait un bon capitalisme et un mauvais, il nous faut continuer à construire notre nouveau parti anticapitaliste. Nous avons fini en musique avec Yves Colin et les décoiffantes Maïon et Wenn, venus jouer gracieusement, ce qui a permis de maintenir la gratuité de l’entrée de la fête.
Matthieu Guillemot
* Paru dans Rouge n° 2276, 27/11/2008.
Les essais de la semaine : « Économiser la santé »
Savoir/Agir , « Économiser la santé », septembre 2008, Éditions du Croquant, 15 euros.
L’association Raisons d’agir regroupe une partie de ce qu’il est convenu d’appeler l’école des sociologues « bourdieusiens ». Chaque trimestre, elle édite une revue, Savoir/Agir, dont la livraison de cette rentrée est très largement consacrée au thème de la santé.
Il est vrai que la politique française de santé, Rouge en a abondamment traité, se trouve aujourd’hui « Au régime néolibéral », pour reprendre le titre d’un des articles de ce numéro. Quelque part, l’orientation mise en œuvre en la matière illustre bien la nature du projet de Nicolas Sarkozy : non pas faire disparaître l’État, comme le proclame le credo idéologique des plus ultras de nos néolibéraux, mais le placer au service du marché. Comme l’écrit Jean-Paul Domin, de l’université de Reims Champagne-Ardenne, « le mouvement complexe qui se dessine, dans le domaine de la santé en général et à l’hôpital en particulier, hésite donc entre étatisation et marchandisation. De façon assez paradoxale, le processus d’amplification de l’étatisation se traduit par le développement de la marchandisation, qui prend des formes diverses ».
C’est d’ailleurs à juste titre que, dans son éditorial, Frédéric Lebaron, revient, à ce propos et à partir des travaux récemment consacrés au sujet, sur « l’idéologie politique » que représente le néolibéralisme, tel qu’il s’est formé dès la moitié des années 1930. Une réflexion au détour de laquelle il pointe – avec un certain talent d’anticipation, du fait de la date de parution de la revue – ce qui apparaît à présent comme « la crise systémique du capitalisme financiarisé et mondialisé, crise globale à l’issue incertaine ».
Pour le reste, on trouvera dans cette livraison de la revue les rubriques habituelles : « La rhétorique réactionnaire », où Gérard Mauger traite d’un sujet en pleine actualité, le Monopoly grâce auquel une poignée de spéculateurs réalise des profits fabuleux ; la « Chronique de la gauche de la gauche », où Louis Weber aborde de front la question « Le nouveau parti anticapitaliste, LCR-bis ou ouverture à tous les courants de l’autre gauche ? », avant d’interroger Alain Krivine ; l’« Actualité », où Évelyne Perrin, d’AC !-Stop précarité, revient sur la « Flexisécurité à la française » ; l’« Europe », qui permet à Isabelle Bruno de revenir sur cette « Révolution silencieuse » que constitue, à ses yeux, la stratégie de Lisbonne ; ou encore les « Politiques d’ailleurs » qu’une chercheuse de l’université de Lausanne, Martina Avanza, consacre à « La Ligue du Nord ou la force de la xénophobie “débonnaire” ».
Au total, un nouveau numéro fort riche, où celles et ceux ayant à cœur de faire surgir la « gauche de gauche » que Pierre Bourdieu appelait de ses vœux trouveront des réflexions passionnantes autant que des arguments percutants.
Christian Picquet
* Paru dans Rouge n° 2271, 23/10/2008.