Si l’Inde a haussé le ton ces derniers jours contre le Pakistan l’accusant de protéger les commanditaires des attaques de Bombay, c’est qu’elle estime désormais détenir des « preuves irréfutables » de l’origine pakistanaise des terroristes et du rôle joué par des officines militaires de ce pays dans cette affaire.
New Delhi a transmis ces éléments, le 5 janvier, à Islamabad dans un rapport de synthèse qui décrit le déroulé minuté des opérations et fournit le détail du montage de l’opération qui a fait près de 170 morts. Les commanditaires appartiennent, selon l’Inde, au Lashkar-e-Taiba (LeT), une organisation islamiste pakistanaise menant des opérations de guérilla au Cachemire indien liée aux services de renseignement militaire pakistanais (ISI).
Tout a débuté le 22 novembre 2008. Grâce à l’analyse de quatre appareils GPS utilisés par les terroristes, les enquêteurs ont reconstitué leur parcours. Les dix membres du commando quittent le port pakistanais de Karachi à 8 heures dans une petite embarcation avec laquelle ils rejoignent, quarante minutes plus tard, un premier bateau, le Al-Husseini, dont le propriétaire serait Zaki-ur-Rehman Lakhvi, l’un des chefs militaires du LeT. Le 23 novembre, ils accostent un navire de pêche indien, le MV-Kuber, qui compte cinq hommes d’équipages. Ils ne laisseront la vie qu’au capitaine qui les guidera jusqu’aux abords de Bombay qu’ils atteignent le 26 novembre, à 16 heures.
Ils attendent alors la nuit. Après s’être équipés de fusils mitrailleurs, de grenades et avoir reçu les dernières consignes par téléphone, ils parcourent les quatre milles nautiques et débarquent à 20 h 30 à la localité de Badwar Park, au sud de Bombay, non sans avoir exécuté le capitaine du Kuber. Les dix islamistes se scindent en cinq groupes de deux hommes. Le seul survivant à l’attaque, Ajmal Amir Kasab, fait équipe avec le chef, Ismaïl Khan. Il est 21 h 20 lorsqu’ils parviennent à la gare centrale de Bombay où ils tirent tous azimuts et abattent 58 personnes et en blessent 104 avant de se diriger vers l’hôpital qu’ils n’atteindront pas.
Hafiz Arshar et Nasir se sont vus, eux, attribuer le café Léopold, vieil établissement fréquenté par des Indiens et des étrangers. Il est 21 h 40 lorsqu’ils lancent une grenade dans le café et tirent par rafales. Ils laissent derrière eux 10 morts et de nombreux blessés avant de courir vers l’hôtel de luxe le Taj Mahal, situé à quatre cents mètres de là. Ils y retrouvent Shoaid et Javed qui ont déjà commencé leur carnage à 21 h 38 dans le hall de l’hôtel où les secours trouveront 20 corps sans vie. Les quatre terroristes s’arrêtent au sixième étage et mettent le feu à l’établissement comme l’enregistrent les caméras internes.
Au même moment, à 22 heures, à l’hôtel Oberoi, deux assaillants, Abdul Rehman Chotta et Fahadullah, traversent le restaurant de ce haut lieu du tourisme en tirant au hasard et en lançant des explosifs avant de rejoindre les seizième et dix-huitième étages. Ils y resteront jusqu’au 28 novembre dans l’après-midi, abattus par les commandos indiens qui recenseront 33 victimes.
Enfin, les deux derniers, Babar Imran et Nazir, se sont rendus à Nariman House, siège de la communauté juive des loubavitch. Des commandos ont été héliportés sur les toits de l’immeuble et tentent de pénétrer à l’intérieur où le rabbin Gavriel Holtzberg et son épouse, Rivka, sont retenus en otage. Leur femme de ménage a réussi à sortir leur enfant de deux ans. Cinq otages perdront la vie ainsi que les terroristes.
Durant l’attaque du Taj Mahal, affirme le rapport, « les terroristes étaient en contact avec leurs contrôleurs au Pakistan par téléphone ». « Ils recevaient des instructions de personnes qui avaient accès aux médias indiens puisqu’elles souhaitaient vivement qu’ils prennent en otages des »wazirs« (trois ministres et un secrétaire d’Etat) qui se seraient trouvés dans l’hôtel. » L’un des terroristes répond alors : « Ce serait la cerise sur le gâteau, trouver trois-quatre personnes et alors on obtient ce qu’on veut de l’Inde. » Faute de les avoir trouvés, ils mettront, sur ordre de leurs commanditaires, le feu au bâtiment en espérant les atteindre.
Dans l’hôtel Oberoi, des échanges identiques sont interceptés par les services de renseignement indiens. « Frère Abdul, lance un interlocuteur au Pakistan, les médias comparent votre action au 11 septembre 2001, un haut gradé de la police a été tué (le chef de du service antiterrosiste de Bombay), laissez vos téléphones ouverts qu’on puisse entendre les coups de feu. » « Nous avons cinq otages », lui indique un assaillant qui se voit répondre, « tuez tous les otages sauf les deux musulmans ». A Nariman House, les deux membres du commando sont avisés par leur interlocuteur qu’il leur faut prendre garde aux tentatives d’incursion par hélicoptères.
L’analyse des téléphones a montré que certains avaient été pris aux victimes, mais que la plupart appartenaient aux assaillants, notamment des appareils satellitaires Thuraya. Les experts ont découvert qu’un réseau de communication sophistiqué avait été imaginé par un spécialiste du LeT, Zarar Shah. L’achat de numéros de téléphone dits « virtuels », américains et autrichiens, leur a permis, un temps, de détourner l’attention du Pakistan. Les paiements ont été effectués via des sociétés de transferts d’argent en espèces et les bénéficiaires officiels ont déclaré des adresses en Italie et en Inde. La téléphonie par Internet offre aujourd’hui une gamme infinie de techniques garantissant l’anonymat.
La police criminelle de Bombay estime, dans le rapport remis aux Pakistanais, que parmi les six interlocuteurs téléphoniques des terroristes figurent Zarar Shah et Youssouf Mouzammil, hauts responsables du LeT. Un numéro composé par l’un des Thuraya permet de remonter jusqu’à l’un des chefs militaires du LeT, Zaki-ur-Rehman Lakhvi. Les Indiens émettent, par ailleurs, de forts soupçons sur l’identité de celui que les terroristes appellent « major général ». Ils estiment que cet homme pourrait avoir un passé militaire au Pakistan au sein de l’ISI.
L’origine de la revendication des attaques a également été éclaircie. Le message Internet est signé par un groupe inconnu, les Moudjahidin du Deccan. Les enquêteurs ont découvert, derrière un serveur en Russie, un courriel initial rédigé, le 26 novembre au soir, par Zarar Shah, l’expert en communication du LeT. Le rapport liste, enfin, l’ensemble des biens du commando les reliant au Pakistan : on y relève une boîte d’allumettes, des habits et des bidons d’essence retrouvés sur le Kuber de marques pakistanaises, des grenades d’une société située près d’Islamabad ou un pistolet 9 mm fabriqué à Peshawar, chef-lieu des zones tribales pakistanaises.
Islamabad n’a pas réagi officiellement au rapport. Pourtant, de source américaine, Zarar Shah, qui a, depuis, été placé en résidence surveillée par le Pakistan, aurait reconnu « avoir communiqué avec les assaillants durant l’attaque et avoir été l’un des planificateurs de l’opération », ce qu’a démenti le pouvoir pakistanais. Kasab confirmerait, pour sa part, dans l’audition annexée au rapport, avoir été entraîné dans les camps du LeT dans le Cachemire pakistanais et avoir été en contact avec « des officiers liés à l’ISI ».
Jacques Follorou
* Article paru dans l’édition du 14.01.09.
LE MONDE | 13.01.09 | 14h23 • Mis à jour le 13.01.09 | 20h37
L’embarrassant survivant du commando de Bombay
Le Pakistan a peut-être atteint les limites de l’exercice du grand écart. D’une part, il semble désireux de protéger ses ressortissants accusés de terrorisme pour ne pas se mettre à dos une opinion publique très sensible aux attaques extérieures. Par ailleurs, il doit donner des gages à la communauté internationale qui le presse de lutter sur son sol contre les djihadistes. Partagé entre ces deux obligations, le pays doit désormais affronter des failles au cœur même du pouvoir.
Le premier ministre pakistanais, Youssouf Reza Gilani, a ainsi limogé, le 7 janvier, son conseiller spécial à la sécurité, Mahmoud Ali Durrani pour avoir « tenu des propos non autorisés ». Après avoir refusé pendant des semaines de l’admettre, M. Durrani venait, en effet, de reconnaître que Ajmal Amir Kasab, seul survivant des auteurs des attaques contre la ville de Bombay, le 26 novembre 2008, était bien d’origine pakistanaise.
M. Durrani, ancien ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis et général à la retraite, avait pris ses fonctions en 2008 lors de l’arrivée au pouvoir du Parti du peuple pakistanais (PPP), dirigé par Asif Ali Zardari, veuf de l’ancien premier ministre Benazir Bhutto. Son départ renforce la défiance de l’Inde vis-à-vis du Pakistan et souligne le jeu trouble d’Islamabad dans l’enquête menée sur les raids meurtriers de Bombay.
Lors de ses premiers interrogatoires, l’unique survivant du commando, Ajmal Amir Kasab, avait indiqué, selon les policiers indiens, son appartenance au Lashkar-e-Taiba (LeT), une organisation islamiste pakistanaise menant des opérations de guérilla au Cachemire indien.
QUATRE GUERRES
Le Pakistan avait, alors, rejeté ces éléments car « ces allégations avaient été obtenues sous de telles pressions de la part des enquêteurs indiens qu’ils ne pourraient jamais être retenus dans le cadre d’une procédure judiciaire offrant des garanties à tout justiciable ».
Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, ajoutait, mi-décembre, à la BBC : « Avez-vous vu une quelconque preuve réelle attestant, de plus, qu’il était pakistanais, je n’en ai encore vu aucune. » Le conseiller national à la sécurité, M. Durrani, qui n’avait pas encore changé d’avis, déclarait encore, fin décembre : « J’aimerais vraiment pouvoir dire le contraire mais nous n’avons aucune preuve de sa nationalité. »
Ces déclarations intervenaient après la visite, à Islamabad, de la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, lors de laquelle elle a invité le Pakistan à mettre un terme à toute relation entre les services de renseignement de l’armée pakistanaise (ISI) et certains groupes extrémistes dont le LeT. Le chef d’état-major interarmées américain, l’amiral Michael Mullen, « exhortait », quant à lui, le Pakistan à « enquêter intensément » sur l’implication de groupes armés basés au Pakistan dans les attaques de Bombay.
Soucieux d’éviter toute escalade de la tension entre l’Inde et le Pakistan, qui ont déjà connu quatre guerres, les Etats-Unis tentent, depuis les attentats du 26 novembre, d’inciter Islamabad à accentuer sa lutte contre le terrorisme sans pour autant déstabiliser son allié.
Cette position diplomatique s’est cependant heurtée, ces dernières semaines, à des évidences faisant douter de la réelle volonté du Pakistan de lutter contre l’activisme islamiste sur son sol.
En effet, le 13 décembre, la télévision pakistanaise interrogeait la famille d’Ajmal Amir Kasab dans son village natal de Faridkot, situé dans le district d’Okara, dans le Pendjab pakistanais. Son propre père a affirmé : « C’est la vérité, j’ai vu sa photo dans les journaux, c’est mon fils Ajmal », propos alors confirmés par certains de ses voisins.
En guise de réponse à ces déclarations, les forces de sécurité se sont rendues à Faridkot et auraient, selon les médias locaux, contraint la famille du seul membre du commando de Bombay encore en vie à quitter les lieux. Les voisins interrogés auraient été invités, quant à eux, à revenir sur leurs affirmations.
Les récentes affirmations de M. Durrani ont conduit le pouvoir pakistanais à ajuster son propos. « Nous confirmons que Kasab est originaire du Pakistan mais l’enquête se poursuit », a relevé Mme Sherry Rehman, ministre de l’information du gouvernement pakistanais.
Une concession qui n’a pas adouci le discours de l’Inde. Son premier ministre, Manmohan Singh, a réitéré, le 6 janvier, ses accusations à l’encontre du pouvoir militaire au Pakistan estimant que le commando de Bombay avait bénéficié du « soutien de certaines agences officielles au Pakistan ».
Jacques Follorou
* Article paru dans l’édition du 14.01.09.
LE MONDE | 13.01.09 | 14h23
Chronologie
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