Que représente « Solidaires » ?
Annick Coupé : L’union syndicale Solidaires a été créée légalement en 1998. On y retrouve des syndicats « autonomes » existant depuis longtemps (comme le SNUI - syndicat national unifié des impôts- ou le Snj - Syndicat national des journalistes) , qui avaient refusé de choisir entre FO et la CGT lors de la scission de 1948, et les syndicats SUD qui se sont créés d’abord au PTT et dans la santé en 1989 (après une vague d’exclusions dans la CFDT) et ceux qui se sont créés à partir de 1996, après le grand mouvement social de l’hiver 1995.
Aujourd’hui l’Union syndicale Solidaires regroupe 44 fédérations ou syndicats nationaux professionnels (dont un syndicat Sud Etudiant) et plus de 80 unions départementales interprofessionnelles. Cela représente peu plus de 90 000 adhérents, tous secteurs confondus.
Historiquement, l’implantation était surtout dans le secteur public. Mais ces dernières années ont vu un vrai développement dans le secteur privé : dans l’automobile, dans la chimie – pharmacie, à Michelin, à la Fnac, au BHV ou à La Redoute… Ce développement a été confirmé par l’importante progression de Solidaires lors des dernières élections prud’hommes (qui ne concernent que les salariés du privé) : Solidaires a pratiquement multiplié par 3 son score au plan national avec une progression de 100 000 voix.
Dans certains secteurs, les syndicats de Solidaires ont une représentativité importante : aux Impôts, à la Poste, à France Télécom, à la Sncf ou à Michelin…
JRV : Que penser des récents propos de Nicolas Sarkozy à l’égard de SUD Rail (et des SUD en général) après le mouvement social victorieux de la gare Saint Lazar.
Au-delà de Sud Rail, les attaques de Nicolas Sarkozy vise d’abord le syndicalisme de luttes et les salariés qui se battent. Il faut quand même rappeler que les grévistes de St Lazare et les syndicalistes qui les ont soutenus se battaient sur les conditions de travail et pour obtenir des emplois. Il a fallu près de 4 semaines pour qu’il y ait enfin de vraies négociations qui ont permis de trouver un compromis accepté par les grévistes le 13 janvier. La direction de la SNCF avait été alertée dès la fin du mois de novembre, et pas seulement par Sud Rail, qu’il y avait risque d’un important conflit social si elle n’acceptait pas de réviser sa réorganisation. La grève était parfaitement légale, le préavis déposé…
C’est la direction de la SNCF qui a fait preuve d’irresponsabilité en jouant le pourrissement du conflit et en jetant les grévistes et Sud rail en pâture aux usagers ! La direction de la Sncf, comme Nicolas Sarkozy et ses amis de l’UMP, s’épanchent les jours de grève sur « les usagers pris en otage » par les grévistes, mais ils sont bien silencieux, les autres jours, sur la dégradation du service public ! Faut-il leur rappeler que 94% des pannes et des retards de trains sont dus, non à des grèves, mais à des problèmes techniques et aux restrictions budgétaires qui ont des conséquences sur les emplois et l’investissement ?
En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, il faut aussi rappeler qu’il avait justifié sa loi sur le service minimum dans les transports durant l’été 2007 par le fait qu’il n’y aurait plus de problème les jours de grève avec sa loi ! C’était bien sûr un leurre comme l’était sa récente rodomontade assurant « que les grèves ne se voyaient plus »…
Au-delà, ce que veut le Président de la République, c’est un syndicalisme, non pas responsable comme il le prétend, mais bien un syndicalisme docile ! Il sait que les questions sociales risquent d’être explosives dans les semaines à venir et comme il n’ a rien à proposer sur le fond, il veut criminaliser, par avance, ceux et celles qui se battent, qui ne veulent pas payer le prix fort d’une crise qui n’est pas la leur. Il espère aussi faire le tri entre les bons et les mauvais syndicalistes et diviser pour mieux régner !
JRV : Tout le monde s’accorde à dire que les effets sociaux de la crise économique n’en sont qu’à leurs débuts. Comment l’Union syndicale Solidaire analyse-t-elle cette situation ?
Cette crise financière s’est transformée en récession et les conséquences sociales sont, et vont être, très lourdes. Ce sont les salariés et, plus globalement, les précaires, les chômeurs, les retraités, les jeunes qui vont en payer le prix fort.
La crise est l’occasion, pour certaines entreprises, d’accélérer les restructurations déjà prévues pour accroître leur rentabilité, conserver ainsi des taux de profit élevé malgré la crise et continuer à « créer de la valeur pour l’actionnaire », c’est-à-dire leur verser de forts dividendes.
Les orientations du gouvernement français et de l’Union européenne expriment fondamentalement leur refus de rompre avec les orientations antérieures qui ont pourtant conduit à cette crise. Le plan de sauvetage des banques se fait sans aucune contrepartie et les banques continuent à se comporter comme avant. Le plan de relance français ne relancera rien ! Il s’agit pour l’essentiel de cadeaux aux entreprises sans aucun effet d’entraînement de l’activité économique. Les mesures prises en faveur de l’automobile ne s’accompagnent d’aucune obligation sociale ni même de discussion sur la stratégie et les choix faits par ces groupes. L’annonce de la construction de 70 000 logements sociaux supplémentaires est notoirement insuffisante alors que des millions de personnes sont aujourd’hui à la recherche d’un logement décent et abordable… Un véritable plan d’investissement public de construction de logements et d’aide à la rénovation écologique des logements anciens est nécessaire.
Au-delà, ce qui est en cause, c’est bien le partage de plus en plus inégal des richesses, que ce soit au niveau international ou national. Rappelons que 10 points de PIB (la richesse produite) sont passés du travail au capital en l’espace de 25 ans en France. C’est 180 milliards d’euros par an qui ont été prélevés des revenus du travail (salaires, protection sociale) pour aller garnir les poches des actionnaires ! Cette baisse de la part des salaires dans le revenu national a nourri la financiarisation de l’économie, tout en aggravant les inégalités. Elle était compensée, plus ou moins fortement suivant les pays, par un recours au surendettement des ménages. La seule voie de sortie est la mise en œuvre d’une autre répartition de la richesse produite qui doit se traduire par de réels plans de relance coordonnés visant à répondre aux besoins sociaux et prenant en compte les impératifs écologiques, désormais incontournables. Il faut inverser la logique mise en œuvre depuis un quart de siècle et casser les reins à la finance !
JRV : L’Union syndicale Solidaires appelle l’ensemble des mouvements sociaux à s’engager dans un processus de changement. Quels en seraient les grandes lignes ?
Il s’agit bien de partir de l’analyse de la crise pour voir la nécessité de construction de rapports de forces globaux très ambitieux pour imposer ces autres choix. Le mouvement syndical a une grande responsabilité dans cette construction, mais il est clair que cela concerne tous les mouvements sociaux qui, sur leur terrain de luttes, contestent et résistent aux politiques néolibérales. La question de la convergence des luttes et des résistances au plan national comme au plan international est à l’ordre du jour. Il s’agit aussi de montrer que ce n’est pas une question morale de quelques patrons sans scrupules. Bien sûr, le scandale des dividendes versés aux grands patrons, de leur parachute doré… tout cela est à dénoncer. La question n’est pas la moralisation du système : il faut le remettre en cause pour le changer et réorienter le fonctionnement de l’économie au service des besoins sociaux, des droits fondamentaux et des enjeux écologiques.
Cette convergence des luttes doit se construire aussi au niveau international. Ce sera sans nul doute un des enjeux du Forum social mondial qui va se dérouler à Belém à partir du 28 janvier. Des mobilisations européennes, voire internationales, se mettent en place pour répondre au G20 qui se réunit à Londres le 2 avril sur les réponses à la crise
Gageons que nos réponses ne seront pas les leurs : le mot d’ordre des manifestations qui se dérouleront partout en Europe à la veille de ce G20 sera : « nous ne paierons pas leur crise « !
JRV : La journée interprofessionnelle de grèves et de manifestations du jeudi 29 janvier annonce un rendez-vous crucial du mouvement social face aux mitraillages permanents de mesures anti-sociales tant du gouvernement que du MEDEF. Que peut-on en attendre ? Sur quelles bases Solidaires y participe ? N’y a-t-il pas le risque d’une journée isolée avec des lendemains de résignation ?
La journée du 29 janvier est importante. C’est la première riposte interprofessionnelle nationale depuis le début de la crise ; elle est appelée par tous les syndicats, elle se fait autour de l’idée que ce n’est pas aux salariés, aux chômeurs, aux précaires, aux retraités de payer cette crise . Un tel cadre unitaire ne s’est pas vu depuis longtemps : cela confirme que la situation est grave et que le mouvement syndical, par-delà ses divergences, ne pouvait rester l’arme au pied. On a bien senti que certaines organisations étaient assez frileuses pour aller vers un mouvement de grève générale le 29 janvier La récente négociation sur l’assurance-chômage montre bien que les vieux démons n’ont pas quitté la CFDT : elle se retrouve seule à vouloir signer un accord que tous les syndicats qualifient de régressif !
Mais au-delà de l’appel national unitaire, c’est sur le terrain, dans les villes que les choses vont se jouer pour mobiliser le 29. Solidaires a lancé un appel à une grève générale le 29 janvier, dans le privé comme dans le public. Les salariés sont aujourd’hui partagés entre inquiétude et colère : le 29 janvier doit permettre d’exprimer cette colère par la grève mais aussi par les manifestations de rue. Les manifestations doivent permettre la convergence de ceux qui peuvent faire grève et ceux qui ne le peuvent peut-être pas mais qui voudront crier leur colère dans la rue ; ce doit être aussi l’occasion de la convergence avec les mouvements de jeunes qui se sont mobilisés ces derniers mois. C’est cela que craint le gouvernement.
Bien sûr que le 29 ne doit pas être une journée de 24 h de plus…
Il faut donc partout, dès avant le 29, débattre dans les entreprises des suites possibles. Les organisations syndicales ont décidé de se revoir le 2 février : l’importance des grèves et des manifestations, ce qui se passera le 30 dans les entreprises, l’attitude du gouvernement… Tout cela pèsera sur la volonté des uns et des autres de poursuivre la mobilisation.
Pour Solidaires, le 29 doit être la première étape pour imposer d’autres politiques au gouvernement et au patronat, pour inverser la tendance vis-à-vis de tous les reculs sociaux que nous avons subis ces dernières années. D’une certaine façon, le 29 peut-être le début de la riposte sociale générale à la politique antisociale de Nicolas Sarkozy et de ses amis du Medef. C’est en tout cas dans ce sens que l’Union syndicale prépare la mobilisation du 29.