Personne n’aura manqué le feuilleton politico-médiatico-policier au milieu duquel, bien malgré eux, les neuf inculpés de Tarnac se sont retrouvés. Je ne m’attarderai donc pas sur une remise en contexte de ce qui a déjà été dit mille fois sur la lamentable et triste opération policière par laquelle toute cette affaire a commencé. Cela fait maintenant plus de deux mois que Julien est en détention à la Santé. Tous les autres ont été libérés, sauf lui. Chef d’une cellule terroriste et d’une association de malfaiteurs dont il resterait le seul membre. C’est peut-être par anticipation que Michèle Alliot-Marie (MAM) a inventé cette « cellule invisible ».
Quoi qu’il en soit, l’étourdissement des premiers jours a bien dû s’estomper, et il nous faut maintenant comprendre, parce qu’il nous faut se battre. Et, si je dois bien avouer ne pas être familier des idées « radicales » ou subversives, l’aspect parfaitement aberrant de cette histoire pousse à quelques réflexions et constats.
On aurait pu croire, les premiers jours, que ces neufs jeunes avaient été arrêtés pour les sabotages de lignes TGV qui avaient paralysé le pays. Tout était là : filatures, ADN, GPS sur la voiture, téléphones sur écoute et caméras dans les arbres. Une affaire apparemment ficelée : les journalistes en troupeau, à 8 heures du matin, à Tarnac (Corrèze), sans que personne ne les ait prévenus ; les conférences de presse de MAM et du procureur de la République, si spontanées qu’elles pouvaient commencer à dix heures du matin… Puis, au fil des jours, les preuves matérielles qui permettaient de redorer le blason de notre ministère de l’Intérieur vont et viennent. Et, finalement, disparaissent. Plus d’ADN, aucun GPS, pas de flagrant délit et des écoutes qui ne parlent pas. Les caméras, elles, sont peut-être encore dans les arbres.
Donc, quoi ? Pourquoi les garder ? Pourquoi ne pas ravaler sa fierté et avouer : « Oui, on s’est planté », malgré six mois d’une enquête serrée. Face à cet acharnement, il m’a fallu essayer de comprendre. Pourquoi des soupçons d’actes de malveillance, ou même de sabotage, qui sont le lot quotidien de milliers de citoyens, bien qu’évidemment répréhensibles par la loi, deviennent mécaniquement du terrorisme ? Pourquoi Julien, toujours soucieux d’avoir les rapports les plus humbles et les plus égalitaires avec ses amis, devient-il le chef d’une cellule qui, vous m’excuserez la boutade, n’est pas vraiment la sienne ?
Tout cela est incompréhensible, sauf à penser que ce qui est incriminé ici n’est pas des actes ou des intentions. Et probablement pas des écrits non plus, fallacieusement attribués à un cerveau, qui serait Julien. Je pense personnellement que ce qui est attaqué, c’est la nature supposée de leur engagement politique. C’est une manière de faire passer un message. C’est une manière de faire comprendre à la jeunesse de ce pays que, oui, on peut s’engager politiquement, mais uniquement selon les règles du système. Si vous n’acceptez pas les représentations politiques reconnues, si vos idées dépassent celle de gérer différemment la société, si vous vous organisez par vous-même, et largement en dehors des partis et des syndicats, et qu’en plus de cela, vous développez une pensée à laquelle vous vous tenez, on vous écrasera.
En tout cas, quand je vois les 50 comités de soutien, de New York à Moscou, en passant par Chalon-sur-Saône ou les Cévennes, je suis assez satisfait de constater que l’avertissement de la ministre de l’Intérieur n’a pas vraiment été entendu. La police a donc une idée précise de ce que doit être un engagement politique, mais aussi un schéma de ce qu’est un groupe terroriste. Et c’est de cela que Julien et ses amis sont victimes. Parce que la police ne parvient pas à les faire entrer dans ses petites cases, elle s’entête, par la force et jusqu’à l’absurde.
Mais des gens comme eux, il y en a des dizaines de milliers, partout en Europe et probablement ailleurs… Et des histoires comme celle-ci, il y en a déjà eu d’autres ces dernières années. À Paris, il paraît que des jeunes ont fait quatre mois de prison ferme parce qu’ils avaient des fumigènes dans leur coffre, et qu’une autre fille est depuis un an en préventive parce qu’elle aurait « voulu » brûler une voiture de police le jour de l’élection présidentielle. Aux États-Unis, une dizaine de personnes seraient enfermées parce qu’elles ont osé organiser une manifestation le jour de la nomination de McCain. Tous sont sous le coup de l’antiterrorisme et de ses lois d’exception. Et tous, sous cette catégorie fantaisiste d’« anarcho-autonome ». Je me suis un peu renseigné là-dessus. Tous les jeunes à qui j’en parlais rigolaient : personne ne s’est jamais revendiqué d’une telle « mouvance », elle n’existe que dans la bouche de la police. C’est juste une manière de nommer ce qu’elle n’arrive ni à comprendre, ni à saisir. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que ces jeunes, comme leurs milliers d’autres camarades, s’organisent ensemble pour la vie et la survie, mais aussi pour pouvoir lutter directement contre ce qu’ils trouvent intolérable dans ce monde.
S’il est pour l’instant très difficile de prévoir la date de libération de Julien, car les enjeux politiques sont depuis le départ immenses, il est très positif de voir que, malgré le lynchage médiatique et la dissociation des partis politiques et des syndicats les quinze premiers jours, maintenant que la bévue de l’antiterrorisme et du gouvernement paraît indéniable, les uns et les autres se rallient au soutien.
Nous comptons donc sur un maximum de gens et d’organisations lors de la manifestation du 31 janvier, à Paris, qui a pour thème « la libération des inculpés, l’arrêt des poursuites » et, plus généralement, le « sabotage de l’antiterrorisme ». En vous remerciant d’avoir laissé s’exprimer dans vos pages quelqu’un d’aussi peu « politisé » que moi.
• Pour plus d’informations sur la mobilisation : soutien11novembre.org